La Presse Anarchiste

Chez les bolchévistes

Sup­pri­mée par le tzar, la « vod­ka » fut auto­ri­sée par le gou­ver­ne­ment des Soviets. C’est affreux, inima­gi­nable, mais c’est ainsi.

D’a­près le Troud, organe des syn­di­cats de Mos­cou, les ravages cau­sés par l’al­coo­lisme sont ter­ri­fiants. Le fameux « lun­di », en voie de dis­pa­ri­tion dans l’Eu­rope occi­den­tale, pro­voque en Rus­sie des inci­dents sans nombre. De même, les jours de paye, les len­de­mains de paye sont presque exclu­si­ve­ment consa­crés à l’i­vro­gne­rie. Les chefs des exploi­ta­tions d’État redoutent ces jours qui voient triom­pher la vodka.

Ces jours-là, un nombre sans cesse plus consi­dé­rable d’ou­vriers, et aus­si d’ou­vrières, sont tota­le­ment inca­pables de tra­vailler ou, s’ils tra­vaillent en par­tie, ils se blessent, brisent outils et machines, accu­mulent les mal­fa­çons, comme le font les ivrognes de tous les pays.

Et tout ceci, indé­pen­dam­ment des mala­dies ter­ribles que pro­voque l’al­coo­lisme, affecte dan­ge­reu­se­ment la pro­duc­tion d’État, dont le ren­de­ment en qua­li­té et en quan­ti­té s’a­baisse constam­ment, en dépit des sta­tis­tiques offi­cielles, sou­vent contra­dic­toires d’ailleurs.

Pour boire de la vod­ka, l’ou­vrier russe vend tout ce qu’il pos­sède, dépense tout ce qu’il gagne. Il s’en­dette, il pille, il vole.

D’a­près le Troud, non sus­pect de com­plai­sance, la consom­ma­tion de cette bois­son a sex­tu­plé depuis un an. On peut s’i­ma­gi­ner aisé­ment quels peuvent être les ravages cau­sés par un tel fléau social, pro­gres­sant à cette allure.

Et c’est le gou­ver­ne­ment des Soviets qui est le seul res­pon­sable de cet état de choses.

Mais pour­quoi, sachant ce qui allait adve­nir, a‑t-il, à nou­veau, auto­ri­sé la vente de la vodka ?

Pour régle­men­ter une fabri­ca­tion et une vente clan­des­tines, nous assure-t-on ? N’est-ce pas aus­si pour « tirer reve­nu » de ce tra­fic en le léga­li­sant ? N’est-ce pas encore et sur­tout pour abru­tir à « doses mas­sives » un peuple qu’il s’a­git de main­te­nir dans l’as­ser­vis­se­ment ?

Les pra­tiques des Soviets nous rap­pellent de sem­blables choses obser­vées en Tuni­sie, en Indo-Chine, en Afrique Centrale.

De même que le gou­ver­ne­ment sovié­tique, son congé­nère fran­çais a abru­ti avec la « liqueur de feu » les peuples colo­niaux. Il en a « tiré reve­nu » et les domine, les exploite, par la satis­fac­tion de ce vice qu’on leur a « inculqué ».

Les Anglais, les Amé­ri­cains, ne se condui­sirent pas autre­ment avec les Indiens qu’il s’a­gis­sait de dépos­sé­der et de faire dis­pa­raître sans leur faire la guerre.

Si on conçoit que des gou­ver­ne­ments capi­ta­listes agissent ain­si, que pen­ser du gou­ver­ne­ment soi-disant pro­lé­ta­rien de Rus­sie, dont on vante tant ici toutes les vertus.

Nous sommes abso­lu­ment convain­cus que la régle­men­ta­tion de la fabri­ca­tion et de la vente de la vod­ka, que la trans­for­ma­tion de cette indus­trie et de ce com­merce clan­des­tins en indus­trie et com­merce légaux, n’ont pas eu pour but de pro­cu­rer des res­sources à l’État.

Les com­mis­saires du peuple — qui ne sont pas des ânes bâtés — savaient per­ti­nem­ment que les res­sources décou­lant de la vente de la vod­ka seraient, tout compte fait, infé­rieures au défi­cit que subi­rait la pro­duc­tion, par suite de la dimi­nu­tion consi­dé­rable de la capa­ci­té de tra­vail des intoxi­qués ; ils savaient aus­si que ces intoxi­qués seraient tel­le­ment nom­breux que la pro­duc­tion géné­rale en serait consi­dé­ra­ble­ment affectée.

Enfin, ils ne pou­vaient igno­rer que la consom­ma­tion de la vod­ka attein­drait la race non seule­ment dans sa vita­li­té pré­sente, mais encore dans sa descendance.

Est-ce que le com­mis­saire à la San­té publique, qui est si actif par ailleurs, nous dit-on, n’a­vait rien à dire, en l’oc­cur­rence ? À‑t-il pro­tes­té ou s’est-il tu ?

Il a subi, en tout cas !

La véri­té, la seule, est celle-ci : Comme Louis XV, les maîtres actuels de la Rus­sie pensent que ça dure­ra bien aus­si long­temps qu’eux et peu leur importe le déluge qui sui­vra.

Mais ils sont là en place, et ils pré­tendent y res­ter. Pour cela, tous les moyens leur sont bons, y com­pris celui qui consiste à abru­tir, à tuer leurs contem­po­rains, en satis­fai­sant leur vice au lieu de le combattre.

Et c’est ain­si que, sous l’œil de ceux qui pré­tendent régé­né­rer le monde, un peuple de 130 mil­lions d’hommes a conquis le droit de se « saou­ler » chaque jour, sous le contrôle de l’État.

Ah ! révo­lu­tion, que de crimes on com­met en ton nom. Mais celui-ci est bien le pire de tous !

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