La Presse Anarchiste

Chiens écrasés

S’il est des noms dif­fi­ciles à por­ter, il semble bien que le plus com­pli­qué soit de n’en pas por­ter du tout. 

Ce nom qui est nous-même plus que le corps et l’es­prit, ne s’en défait pas qui veut — même en cas d’ur­gente néces­si­té — assor­ti qu’il se trouve, un peu plus chaque jour, de numé­ros annexes, d’empreintes qui ne sont encore que digi­tales, de pho­to­gra­phies et de cartes diverses pour consi­gner le tout. 

La ten­dance moderne n’est point, en la matière, pour le relâ­che­ment. L’é­vo­lu­tion de la science chi­rur­gi­cale aidant, il sera bien­tôt plus com­mode de chan­ger de visage que de chan­ger de nom. 

Un homme — nous ne le nom­me­rons pas et pour cause — refuse cepen­dant son patro­nyme. Il a choi­si d’être Mon­sieur Per­sonne, las sans doute d’être mon­sieur-tout-le-monde. Arrê­té il y a quatre mois pour vaga­bon­dage, c’est-à-dire dépour­vu d’argent et, pis encore, de papiers, il a résis­té cal­me­ment, vic­to­rieu­se­ment, à tous les interrogatoires. 

 — Nom, pré­noms, âge et qualité ? 

 — Néant. 

Lieu de nais­sance, adresse, pro­fes­sion : néant. Père et mère inconnus. 

Quatre mois de pri­son. Et puis ?

On recom­mence à tour­ner en rond autour de cette ombre, à contem­pler cette inclas­sable fiche blanche. 

En face de cet ano­nyme, l’ad­mi­nis­tra­tion est per­due, la socié­té déso­rien­tée, on manque de prise. 

Fâcheux exemple ! 

« Le droit de por­ter un nom — a décla­ré le sub­sti­tut du pro­cu­reur — est l’un des droits les plus sacrés. Y renon­cer, c’est nier sa personnalité. » 

Vous trouvez ? 

Tant de gens s’a­gitent, intriguent pour se faire un nom sans trop regar­der aux moyens d’y parvenir ! 

Celui-là, tout seul, avec sa façon têtue de blo­quer les machines électroniques…

Déci­dé­ment, il nous plaît beau­coup ce Mon­sieur Quelqu’un.

[| — O —|]

À Paris, ave­nue Hoche, des cam­brio­leurs bâillonnent une vieille dame qu’ils trouvent chez elle au moment choi­si par eux pour visi­ter son appar­te­ment, coupent les fils télé­pho­niques ; routine. 

Puis — étrange dépra­va­tion des mœurs — lui passent les menottes. 

Déplo­rable signe des temps ! 

On ne dis­tin­guait plus déjà, entre truands-poli­ciers et argou­sins-gang­sters. Les méthodes, l’ou­tillage, 1a « men­ta­li­té » de ceux qui « cassent » et de ceux qui sont payés pour les en empê­cher, deve­nant chaque jour un peu plus les mêmes, il sera bien­tôt impos­sible à nos enfants de jouer aux gen­darmes et aux voleurs. 

À qui, fina­le­ment, revien­drait le pri­vi­lège de por­ter les « bracelets » ? 

[| — O —|]

En voi­là six qui, dans la région de Fon­tai­ne­bleau, jouaient aux voleurs sans gen­darmes. Six bam­bins de huit à douze ans. Les gen­darmes ne sont venus qu’a­près, dans la par­tie, sans y être le moins du monde invités. 

Ils ont retrou­vé dans dif­fé­rentes caches telles que les grottes de la forêt, pour plu­sieurs mil­liers de francs de marchandises. 

Les gosses jouaient — ont-ils dit — aux pirates. 

Sou­hai­tons leur de gar­der long­temps cette pure­té d’âme et qu’ils trouvent leur exemple plu­tôt dans Car­touche et Man­drin que dans Lopez et Bouchesseiche. 

[| — O —|]

À la qua­tor­zième chambre cor­rec­tion­nelle se pour­suit le plus grand pro­cès d’a­vor­te­ment qu’on ait jamais vu.

[/(Les journaux.)/]

À Saint-Pierre-des-Corps, un enfant est mort de faim. Ses six frères et soeurs, voués par les parents à la men­di­ci­té, attendent patiem­ment leur tour de quit­ter ce monde pour un autre qui dans tous les cas, ne peut qu’être meilleur pour eux. 

Que vou­lez-vous, tous les braves gens qui ont com­pris leur devoir envers la socié­té en se repro­dui­sant à mul­tiples exem­plaires, n’ont pas tou­jours une aus­si claire conscience de leurs devoirs de parents. 

Ça fait du déchet, ça fausse les sta­tis­tiques, ces petits qui n’ar­rivent pas à maturité. 

Vous ver­rez que ça n’empêchera pas des cen­taines de mil­liers d’in­cons­cientes, indif­fé­rentes aux allo­ca­tions fami­liales et tout à fait étran­gères aux consi­dé­ra­tions morales de ten­ter de se faire avor­ter, les malheureuses ! 

[| — O —|]

D’a­près Le Figa­ro, un ingé­nieur anglais a dit : « la catas­trophe de Fey­zin fut une pre­mière mondiale ». 

N’est-ce pas gen­ti­ment imagé ? 

Sou­hai­tons cepen­dant qu’elle reste long­temps une exclu­si­vi­té française !

Jacques San­vignes

La Presse Anarchiste