La Presse Anarchiste

Chronique des services dits secrets

Nous tien­drons nous aus­si rubrique sur la cor­po­ra­tion, les agisse­ments des­dits étant pain quotidien. 

En fait, jamais désig­na­tion ne fut aus­si impro­pre, à croire même qu’elle fut choisie surtout par antiphrase ou même par déri­sion pure. 

Il est presque sans exem­ple que, mêlés à un événe­ment, on ne con­naisse, en effet, dès le lende­main ou le surlen­de­main, tout le détail de l’opéra­tion, le nom des agents et celui des « manipulants ». 

A cet égard, la moin­dre bande crim­inelle, même la plus ché­tive­ment organ­isée, laisse au moins quelques jours l’au­torité et le pub­lic sur leur faim. 

Au rebours, on sait tout ou à peu près de la dis­pari­tion du leader maro­cain, alors que si les fameux ser­vices jus­ti­fi­aient seule­ment leur éponymie — nous nous plaçons un instant par-delà la morale et même la poli­tique — on en serait encore à s’in­ter­roger sur les con­di­tions exactes du rapt de Saint-Ger­main-des-Prés, faisant peut-être, les uns ou les autres, les con­jec­tures les plus justes mais sans élé­ments de preuve. 

Au lieu de cette igno­rance, c’est l’orgie que l’on sait. 

Et il en est ain­si presque partout et dès les pre­mières heures, que la gigan­tesque C.I.A. soit en cause ou qu’il s’agisse d’of­ficines plus modestes. 

Aux temps arti­sanaux de l’Af­faire Drey­fus, il fal­lut quand même plusieurs années avant qu’on sût qu’une femme de ménage anal­phabète, Mme Bus­t­ian, qual­i­fiée de « voie ordi­naire », dans le jar­gon du « ser­vice », était pour beau­coup dans la genèse du drame par ses récoltes clan­des­tines dans les cor­beilles à papi­er de l’am­bas­sade d’Allemagne. 

Aujour­d’hui, temps cybernéti­ciens, son nom serait con­nu dans les trois jours qui suiv­raient la nais­sance de l’événe­ment et il ne faudrait qu’une huitaine pour que la mois­son des cor­beilles voletât à tra­vers la presse. 

Con­séquence sans doute de l’ère des mass­es, car on en est là dans le ren­seigne­ment comme partout, et peut-être que nous n’avons pas encore vu le plein de l’inflation. 

Les pre­miers symp­tômes sérieux sont de la guerre. Et peut-être que per­son­ne ne s’est exprimé là-dessus mieux que le général de Gaulle, qui pose ain­si l’avers et l’en­vers de la médaille au tome 1er de ses Mémoires (page 129) : 

« Il fal­lait tir­er du néant le ser­vice qui opér­erait sur ce champ de bataille capital. 

Ce n’é­taient pas les can­di­da­tures qui man­quaient autour de moi. Par une sorte d’ob­scure prévi­sion de la nature, il se trou­vait qu’en 1940 une par­tie de la généra­tion adulte était d’a­vance, ori­en­tée vers l’ac­tion clan­des­tine. Entre les deux guer­res, en effet, la jeunesse avait mon­tré beau­coup de goût pour les his­toires du 2e Bureau, de ser­vice secret, de police, voire de coups de main et de com­plots. Les livres, les jour­naux, le théâtre, le ciné­ma, s’é­taient large­ment con­sacrés aux aven­tures de héros plus ou moins imag­i­naires qui prodiguaient dans l’om­bre les exploits au ser­vice de leur pays. Cette psy­cholo­gie allait faciliter le recrute­ment des mis­sions spé­ciales. Mais elle risquait aus­si d’y intro­duire le roman­tisme, la légèreté, par­fois l’e­scro­querie, qui seraient les pires écueils. » 

Ces « pires écueils » n’ont jamais été aus­si évi­dents puisqu’ils vont main­tenant jusqu’à met­tre son pro­pre régime en dif­fi­culté, sinon en péril. 

D’autre part, l’in­flu­ence de la lit­téra­ture et du ciné­ma, dont le général sig­nalait tout le prix pour les années antérieures à 1940, a pour le moins cen­tu­plé avec tous les James Bond et les O.S.S. 117 de la créa­tion. Il n’est main­tenant ruf­fi­an de pre­mière ou de sec­onde enver­gure qui ne rêve du condé mag­ique : l’im­ma­tric­u­la­tion dans quelque bureau spé­cial­isé, à ses fins de débrouil­lage per­son­nel déguisées dans celles de l’É­tat ou de la nation ! 

On voit assez par ce qui précède que notre pro­pos sera ici rien moins que romanesque et que les « pires écueils » nous retien­dront plus par­ti­c­ulière­ment que la chan­son de geste ! 

Com­mençons par l’af­faire Penkovs­ki, qui défraie présen­te­ment les Amériques tout autant que les Russies d’Eu­rope et d’Asie.


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