La Presse Anarchiste

Lu, vu et entendu

Alberto Giacometti

À Mon­trouge, dans son modeste ate­lier éclai­ré d’une seule ampoule élec­trique, puis­sante il est vrai, mais nue, entre sa femme Annette et son frère Die­go, ses modèles et ses aides tous deux aus­si indif­fé­rents que lui au confort bour­geois, Alber­to Gia­co­met­ti ne pour­sui­vra plus des recherches qui sem­blaient sans fin et qui, au point où il les a lais­sées, font de lui certes un des grands artistes mais aus­si, à l’a­vis de beau­coup, en sculp­ture le plus ori­gi­nal créa­teur de notre temps. 

À l’âge de 13 ans, en 1914 à Stam­pa (son vil­lage natal en Suisse) il fai­sait un pre­mier buste, déjà celui de son frère. Après avoir tra­vaillé à Genève, à Venise, à Flo­rence, à Rome, dès sa ving­tième année il s’ins­tal­lait à Paris. On sait com­ment, après l’en­sei­gne­ment de Bour­delle, il subit l’in­fluence cubiste, puis se joi­gnit au mou­ve­ment sur­réa­liste, avant de trou­ver son plein et ori­gi­nal épa­nouis­se­ment. Ses com­bi­nai­sons abs­traites, ses « jolis méca­nismes pré­cis qui ne servent à rien », ses per­son­nages fili­formes, ses longues pou­pées de plâtre, ses figu­rines que son frère agran­dis­sait, ne ces­se­ront de nous han­ter. C’é­tait aus­si un extra­or­di­naire des­si­na­teur et un peintre d’une sin­cé­ri­té aiguë, quoi­qu’il fût essen­tiel­le­ment sculpteur. 

Fidèle à ses sou­ve­nirs, Gia­co­met­ti était allé pas­ser les fêtes de fin d’an­née à Stam­pa, où un infarc­tus du myo­carde l’a brus­que­ment ter­ras­sé. Dans les articles qui lui sont consa­crés, il est sou­vent ques­tion de sa « pré­sence » à cer­tains égards géniale, de la flamme qui l’ha­bi­tait… et en effet, l’homme était fas­ci­nant. Mieux encore : mal­gré la consé­cra­tion qui lui était venue au cours des der­nières années, il était res­té le plus simple des hommes, tou­jours pareil à lui-même, tel que le dépei­gnait il y a dix ans James Lord dans la revue l’Œil : “Il s’i­den­ti­fie si com­plè­te­ment avec son œuvre que ses besoins maté­riels ne dépassent guère ses moyens d’ar­tiste : la terre glaise, le plâtre, les matières colo­rantes, le papier, la toile, le bois et les métaux néces­saires à l’ex­pres­sion de sa sen­si­bi­li­té. La puis­sance phy­sique de Gia­co­met­ti est immé­dia­te­ment per­cep­tible sous des vête­ments qui très évi­dem­ment n’ont d’autre sens pour lui que de le couvrir.” 

Sa tête est grosse, posée direc­te­ment sur des épaules fortes. Les mains sont longues, vigou­reuses, faites pour la sculp­ture, jamais com­plè­te­ment débar­ras­sées des salis­sures de son tra­vail et jamais immo­biles. Sur une table de café ou de res­tau­rant, les doigts de Gia­co­met­ti tracent conti­nuel­le­ment des des­sins invi­sibles tan­dis qu’il mange et boit. Son expres­sion est intense, quoique déta­chée, fixée à la fois direc­te­ment sur ses com­pa­gnons, et au-delà d’eux… Il accepte gen­ti­ment les gens tels qu’ils se pré­sentent. Sa soli­tude n’est pas sociale. Par exemple, aucun visi­teur ne s’en retourne sans avoir été reçu par lui. Incon­nus et amis sont reçus de la même façon, avec la même cour­toi­sie et le même accueil sympathique.” 

Découverte et consécration

Sous ce titre, la Gale­rie Mar­cel-Bern­heim nous pré­sente un groupe de onze peintres ani­més d’un même esprit tra­di­tion­nel. Que réserve l’a­ve­nir à ces jeunes expo­sants ? On sou­haite que quelques-uns au moins d’entre eux, dont les qua­li­tés de métier sont évi­dentes, sachent se libé­rer de leurs chaînes sco­laires pour lais­ser s’ex­pri­mer leur per­son­na­li­té. En atten­dant et pre­nant les choses comme elles sont, disons que Jean-Jacques Coe­pel, avec de vio­lentes images, Magnin avec son colo­ris bru­tal, se font remar­quer aux côtés de : Hen­ri Bru­neau, Michèle Dele­vaux, Eli­sa Hanio­ti, Made­leine Huau, Michel Mar­gue­ray, Paul A. Mul­ler, M. A. Nada­lon Hui­lez, Georges Thorix. 

Ray­mond Gari­no, dans sa dis­cré­tion et sa modes­tie (six toiles de petit et moyen for­mat), appa­raît par­ti­cu­liè­re­ment sym­pa­thique et doué : sa scène de tau­ro­ma­chie contient mieux que des promesses. 

La Cri d”Archimède, par Arthur Koestler. Traduit de l’anglais par Geores Fradier. Editeur : Calmann-Lévy. 

Si le rire, selon Rabe­lais, est le propre de l’homme, Arthur Koest­ler nous rap­pelle que cer­tains ani­maux domes­tiques (chiens, chim­pan­zés) « paraissent capables d’ex­pri­mer un cer­tain humour et de prendre part à des taqui­ne­ries ». Ain­si l’au­teur du Zéro et l’In­fi­ni, reve­nant ici à la phi­lo­so­phie après un long détour par la poli­tique, vola­ti­lise-t-il d’emblée les clas­si­fi­ca­tions étroites et les défi­ni­tions som­maires. On lui sait gré d’ou­vrir sur le rire, le pro­blème de l’hu­mour et les moments de véri­té, ce livre impor­tant, qui échappe aux rou­tines, et dont le psy­cho­logue anglais, Sir Cyril Burt écrit qu’il est « une contri­bu­tion hau­te­ment ori­gi­nale à la psy­cho­lo­gie moderne, une étude soli­de­ment docu­men­tée sur l’his­toire des décou­vertes scien­ti­fiques et un éton­nant essai d’a­na­lyse de la créa­tion lit­té­raire ». À l’heure où la psy­cho­lo­gie offi­cielle tend à réduire nos com­por­te­ments à des auto­ma­tismes et à des condi­tion­ne­ments, Koest­ler repose le pro­blème de la créa­tion — consi­dé­rant comme jus­ti­fiables d’une même recherche la créa­tion bio­lo­gique et la créa­tion de l’esprit. 

Remar­quable tra­duc­tion de Georges Fradier.

Sommes-nous tous fou ?

Au cours de l’in­ter­view publiée dans Arts (du 12 au 18 jan­vier) le pro­fes­seur Roger Bas­tide ne se pro­nonce pas à ce sujet. L’au­teur de « Socio­lo­gie des mala­dies men­tales » (édit. Flam­ma­rion), estime en effet impos­sible de répondre à la ques­tion car par­ler de folie revient à por­ter un juge­ment de valeur. 

Ain­si : la culture Kwa­kiutl favo­rise la consti­tu­tion para­noïde et toute l’é­du­ca­tion ten­dra à culti­ver chez l’en­fant les germes de para­noïa. C’est l’en­fant doux, sou­mis, qui sera consi­dé­ré comme anor­mal. Tout dépend du cadre social, de ses coor­don­nées his­to­riques et géo­gra­phiques. À André Pari­naud qui lui demande : 

– Qu’est-ce qui est normal ?

– Le concept de nor­mal, répond M. Bas­tide, est une variante du concept de bon ; une action nor­male est une action bonne, approu­vée par la col­lec­ti­vi­té, en accord avec l’i­déal du groupe. 

Rap­pe­lant que les mala­dies men­tales sont dépen­dantes des dif­fé­rentes classes sociales, Roger Bas­tide dresse un bilan de psy­cho­so­cio­lo­gie moderne à médi­ter par les éven­tuels « concer­nés ». Donc avis :
– Si vous êtes un intel­lec­tuel espa­gnol, vous ris­quez une toxicomanie.
– Si vous êtes un étu­diant en phi­lo­so­phie ou en théo­lo­gie, vous êtes un schi­zo­phrène en puissance.
– Seriez-vous agent de police ? Le délire de per­sé­cu­tion vous guette.
– Si vous dis­po­sez d’un loge­ment de 8 à 10 m par per­sonne, vous êtes sujet à des troubles d’a­gres­si­vi­té, à des fugues, au vol, à la ner­vo­si­té. La pri­son est au bout du couloir.
– De 14 à 16 m2 par per­sonne, vous avez quelque chance de rede­ve­nir un hon­nête citoyen.

De cet entre­tien, on retien­dra aus­si la conclu­sion de Roger Bastide :

Rêvons d’un monde où même des clo­chards auraient leur droit recon­nu à la liberté.

Ce que “sela donner” veut dire

Les rédac­teurs de l’Express feraient bien de « se la don­ner », sur­tout quand ils ont affaire à Figon. Dans le récit désor­mais fameux qu’ils publièrent le 10 cou­rant, ils nous disent en effet qu’ils durent plus d’une fois tra­duire de l’ar­got. Ain­si Figon, dans le docu­ment ori­gi­nal invo­qué, aurait dit que Ben Bar­ka, voyant sur­gir quatre hommes dans la vil­la de Bou­che­seiche où il était déte­nu, se la serait don­née, expres­sion éso­té­rique qu’on a pré­ten­du rendre à l’Express par « aurait pris peur » ! Tra­duc­tion un peu for­cée, « se la don­ner » ne signi­fiant aus­si bien pour le Petit Simo­nin que pour le récent Auguste le Bre­ton, au titre vrai­ment de cir­cons­tance : Langue verte et noirs des­seins que « se méfier » (page 118). Et le Dic­tion­naire des argots, de Gas­ton Esnault (Larousse) ne fait que dire, plus clas­si­que­ment encore : « prendre garde ».

Il est vrai que l’in­for­tu­né Ben Bar­ka n’é­tait pas seule­ment fon­dé à « se la don­ner », mais bien davan­tage encore à craindre le pire.

Être ou ne pas être “au parfum”

Les tropes argo­tiques fleu­rissent d’ailleurs tout alen­tour de cette affaire Ben Bar­ka. Ne voi­là-t-il pas qu’un des poli­ciers incri­mi­nés vient de nous décla­rer fort mon­dai­ne­ment qu’une des plus hautes auto­ri­tés de l’É­tat « était au par­fum » de l’en­tre­prise ? Que d’ef­fluves qui auraient dû trou­bler des odo­rats, qu’on nous a dit fort sub­tils à prendre le vent ! 

Et M. Charles d’A­ra­gon, ancien dépu­té des Hautes-Pyré­nées, qui, s’é­pre­nant d’une tâche sté­rile : débar­bou­zer la Répu­blique, écri­vait l’autre soir dans le Monde, mais sans trop expli­ci­ter son pro­pos : « Quand on me parle de Condé, je ne pense vrai­ment pas au vain­queur de Rocroy ! » 

Tour et détour allu­sifs à un « truand… à la fois repris de jus­tice et hono­rable cor­res­pon­dant » et qui serait au béné­fice de tolé­rances accor­dées par le pou­voir ou tel ou tel de ses innom­brables compartiments. 

À res­ter dans la séman­tique stricte des « ser­vices » et non plus dans celle de l’ar­got, l’ex-hono­rable se méprend d’ailleurs, en prê­tant un autre genre d’« hono­ra­bi­li­té » au cor­res­pon­dant en ques­tion, celui-ci, d’a­près les papiers publiés çà et là, s’en­tendent par­fai­te­ment à sti­pu­ler le prix de son silence. L’ « hono­ra­bi­li­té », dans le patois des « agents », sup­pose en effet la gra­tui­té des prestations.

Papon n’est pas recordman

L’Au­rore de lun­di pré­tend à pro­pos de Papon, qui dure bou­le­vard du Palais depuis 1958, qu’il aura éta­bli le record dans l’emploi. Voire, Lépine, outre qu’il occu­pa deux fois le poste, se main­tint lors de sa seconde pro­mo­tion, faite en 1899, pas moins de qua­torze années bou­le­vard du Palais puis­qu’il ne l’a­ban­don­na qu’en 1913, à Céles­tin Hen­nion. Papou a donc chance de voir encore quelques enlè­ve­ments avant d’at­teindre sinon de battre la per­for­mance lépinienne.

Modernisation du matériel

Titre du « Jour­nal du Dimanche » : « Les sol­dats rem­pla­cés à Paris par les chasse-neige et les pelles mécaniques ». 

Excel­lente mesure à géné­ra­li­ser. S’il n’y avait au Viet-Nam et ailleurs que des chasse-neige et des pel­le­teuses, la face du monde serait changée.

Un impatient

La lutte contre le tau­dis est entrée à Lille dans sa phase active.

Un homme a fait flam­ber son bara­que­ment où il vivait avec sa femme et ses cinq enfants.

Ini­tia­tive pure­ment indi­vi­duelle et que les mal-logés ne man­que­ront pas de blâmer.

Il est bien facile de com­prendre que l’ad­mi­nis­tra­tion ne peut consi­dé­rer un incen­diaire comme inter­lo­cu­teur valable.

[/​Les Trois/​]

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