Pourquoi un auteur à la recherche d’un sujet neuf n’écrirait-il pas une « Histoire de la pensée de Jean Cau » ? Ce serait passionnant.
Jean Cau, on le sait, est l’ancien secrétaire de Sartre. Il a écrit quelques livres (dont un, le Coup de barres. où il niait toute littérature, mais dont il ne dédaignait tout de même pas de signer les services de presse), il a, bien sûr, collaboré aux Temps Modernes, il fut également à l’Express, du temps où celui-ci n’était pas encore “un magazine” et il connut là sa meilleure période. La guerre d’Algérie battait son plein et donnait chaque semaine l’occasion à Jean Cau d’étaler sa verve, son indignation, son talent, sa mauvaise humeur.
Un jour, Jean Cau inaugura une nouvelle série dans l’Express : celle des interviews. Il s’agissait chaque semaine de rendre visite à une personnalité quelconque, de bavarder avec elle, puis d’écrire un article… C’était toujours parfaitement réussi, vivant, alerte, avec la dose de vacherie nécessaire : du Françoise Giroud qui se refusait d’être mondain. Ainsi Jean Cau fut amené à aller voir Lacoste-Lareymondie, député de droite, Algérie française et tout. Ce fut la divine surprise, le début du chemin de Damas : Jean Cau découvrait un homme de droite qui n’était pas Poujade et ce fut une révélation. Rien n’était exprimé, mais l’avenir de Jean Cau était brusquement aveuglant et nous fûmes quelques-uns à penser dès lors que Jean Cau finirait à Match.
Depuis, son destin n’a cessé de se préciser. ll s’aperçut que la gauche était composée de gredins asexués et de traîtres. Il fut au Figaro (littéraire), à Candide (pour un article sur le livre de poche, empli d’un mépris souverain pour le pauvre lecteur moyen qui achète Rimbaud, mais qui ne peut rien y comprendre et retourne à son vomissement). Après avoir fait un détour par la tauromachie et le pastiche de Sartre, il écrivit Meurtre d’un enfant où, toujours plein de verve et de talent, il traçait, vingt ans après, un tableau de la libération de Paris que n’eussent désavoué ni Rebatet ni Jacques Laurent et où il découvrait, toujours vingt ans après, qu’à Nuremberg, c’était les assassins de Dresde qui avaient condamné à la potence les assassins d’Ukraine et de Pologne.
Jean Cau n’est encore entré à Match que derrière un micro où il joue les gaullistes contre un Claude Roy qui, par parenthèse, semble à certains moments plus gaulliste que lui — mais l’avenir reste plein de possibilités.
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