La Presse Anarchiste

Bibliographie

Les Voix de l’Au­rore, de M. Achille Steens (1 vol., chez Vanier, 19, quai Saint-Michel). Ce sont des vers d’un sen­ti­ment cha­leu­reux où ne manquent ni les élans vers un meilleur état social, ni l’in­vec­tive à notre bar­ba­rie actuelle. L’in­fluence de Vic­tor Hugo se fait sen­tir çà et là ; dans la Chute de l’aigle, par exemple. Il se trouve aus­si dans ce livre une exal­ta­tion de la Mar­seillaise, ce chant de nègres ivres, peut-être inutile. Mais les mor­ceaux d’in­di­gna­tion véhé­mente dominent. Et c’est ce qui rend ce livre inté­res­sant mal­gré la fai­blesse de la technique.

La Dou­leur uni­ver­selle, par S. Faure, 1 vol., 3 fr. 50, chez Savine, 12, rue des Pyramides.

Comme le titre l’in­dique, Faure, dans son volume, a vou­lu démon­trer que la socié­té actuelle, par sa sépa­ra­tion des indi­vi­dus en castes, en pos­sé­dants et en non-pos­sé­dants, en gou­ver­nants et en gou­ver­nés, n’ap­porte de satis­fac­tion com­plète à per­sonne, que tous, riches ou pauvres, oppres­seurs ou oppri­més, souffrent plus ou moins de cet anta­go­nisme et aspirent à un bon­heur plus parfait.

Et, recher­chant les causes de cette souf­france géné­rale, Faure la trouve dans la seule exis­tence de l’au­to­ri­té, n’en­vi­sa­geant l’ap­pro­pria­tion indi­vi­duelle que comme cause secondaire.

Certes, il serait dif­fi­cile de dire laquelle est née la pre­mière : pro­prié­té ou l’au­to­ri­té ? À l’heure
actuelle, elles font si bien corps ensemble, qu’il est à pré­su­mer que ce pro­blème res­te­ra inso­luble. Mais ce dont nous pou­vons être cer­tain, c’est que, du jour où l’une a fait son appa­ri­tion dans les pre­mières asso­cia­tions humaines, ce ne fut que pour en ouvrir immé­dia­te­ment la porte à son corollaire.

Aujourd’­hui encore, si la pro­prié­té ne se main­tient qu’à l’aide de l’au­to­ri­té, celle-ci n’a d’autre rai­son de s’exer­cer qu’en vue de la défense des inté­rêts de caste. Le com­pa­gnon Faure le constate lui-même : les trois quarts des lois ne sont faites qu’en vue de la sau­ve­garde de la pro­prié­té. C’est donc à tort qu’il reproche aux socia­listes d’a­voir vou­lu cir­cons­crire la lutte dans le domaine éco­no­mique et d’en faire ain­si une ques­tion de ventre, ne vou­lant, lui, voir décou­ler tout le mal que de la seule autorité.

Certes, si la ques­tion sociale se bor­nait à une seule ques­tion de ventre, ça, serait bien mince comme reven­di­ca­tions, et si l’i­déal des révol­tés n’al­lait pas au-delà de se rem­plir la panse, il suf­fi­rait à la bour­geoi­sie, dans chaque révolte, de lais­ser tom­ber au pou­voir des insur­gés des amas de buvaille et de man­geaille pour être à même de les vaincre sûre­ment, après l’or­gie, sans coup férir. Il faut donc.un idéal plus élevé.

C’est pour­tant une bonne note à l’ac­tif des socia­listes d’a­voir démon­tré aux tra­vailleurs que les luttes poli­tiques étaient impuis­santes à les affran­chir, que les trans­for­ma­tions de pou­voir ne signi­fiaient rien, tant qu’on lais­se­rait sub­sis­ter l’or­ga­ni­sa­tion éco­no­mique de la société.

Nous croyons, éga­le­ment, que la ques­tion du ventre tien­dra tou­jours, mal­gré tout, le pre­mier plan dans les reven­di­ca­tions pro­lé­ta­riennes, car c’est de la faim qu’ils souffrent le plus ; la pos­si­bi­li­té de man­ger à sa suf­fi­sance pri­mant tout lors­qu’on crève de faim et de misère.

Il appar­tient à nous, pro­pa­gan­distes, d’é­lar­gir l’i­dée, de faire com­prendre que la pos­si­bi­li­té d’as­sou­vir sa faim n’est pas suf­fi­sante si l’on n’est pas libre, et que cette pos­si­bi­li­té dépend tou­jours du maître, lors­qu’on est esclave.

Les socia­listes ont tort de croire que la solu­tion de la ques­tion sociale tient dans la seule ques­tion d’une amé­lio­ra­tion maté­rielle, mais le Cama­rade Faure a tort de croire que cette ques­tion doive se relé­guer au second plan, et qu’il soit plus pres­sé d’al­ler contre l’autorité.

C’est, au fond, la même erreur de vision des socia­listes qui, s’i­ma­gi­nant le pou­voir la clef de tout, ont aban­don­né, à l’heure actuelle, la lutte éco­no­mique pour la conquête du pou­voir poli­tique. Le cama­rade Faure, lui, c’est pour le détruire, mais, encore une fois, ne scin­dons pas la ques­tion en deux, n’ou­blions pas que les deux enne­mis font corps, et que la lutte poli­tique, seule, ne serait qu’un déri­va­tif de la lutte économique.

Où le cama­rade Faure s’é­gare encore, selon nous, c’est lorsque, pour appuyer sa thèse : la dou­leur uni­ver­selle, il prend au sérieux les lamen­ta­tions élé­giaques de cer­tains « phi­lo­sophes », et voit, dans leurs « déses­pé­rances » — qui ne sont qu’une pose lit­té­raire — un signe du mal qui nous étreint tous. Il oublie que les trois quarts de ces dégoû­tés de la vie sont morts bien tran­quille­ment dans leur lit, que, durant leur vie, ils n’ont cra­ché sur aucune dis­tinc­tion hono­ri­fique, sur aucun de leurs pri­vi­lèges, sur aucune des joies que leur pro­cu­rait leur situa­tion sociale, que leur pes­si­misme n’é­tait que de parade et qu’il en est de même pour nos pes­si­mistes actuels.

« La for­tune ne fait pas le bon­heur », répète Faure avec le vieux pro­verbe, pour prou­ver que le mal découle de l’op­pres­sion poli­tique. Ce dic­ton n’est qu’à moi­tié faux. Dans la socié­té actuelle, si la for­tune ne fait pas le bon­heur, elle contri­bue à cica­tri­ser bien des bles­sures, elle est la géné­ra­trice des trois quarts de nos maux ; ce qui prouve que son action n’est pas indif­fé­rente. Et si les richards souffrent, leur souf­france, au fond, nous laisse abso­lu­ment froid, puisque la dou­leur de ceux qui ne pos­sèdent pas n’est faite que de l’en­tê­te­ment des riches à défendre des pri­vi­lèges qui ne les satisfont
pas.

À part ces légères cri­tiques, nous ne pou­vons qu’en­ga­ger les cama­rades à lire l’ou­vrage de Faure, et à le propager.

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Reçu : Les Ori­gines du droit inter­na­tio­nal, par Ernest de Nys, 1 vol., chez Tho­rin et fils, 4, rue Le Goff, Paris.

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