La Presse Anarchiste

Dans les revues

(suite)

Critique philosophique et sociale

Dans la Revue Socia­liste « l’Or­ga­ni­sa­tion socia­liste » de Jean Jau­rès est un dis­cours en fort beau style, mais un expo­sé très insuf­fi­sant du col­lec­ti­visme. Au début, voi­ci une bonne cri­tique du radi­ca­lisme. « Pour le radi­ca­lisme, le capi­tal est un roi légi­time qu’on ne veut pas détrô­ner, mais qu’on tient sous le fouet. Concep­tion bizarre et tran­si­toire qui est, dans l’ordre éco­no­mique, l’é­qui­valent de la monar­chie consti­tu­tion­nelle dans l’ordre poli­tique. » Il faut louer Jau­rès, d’a­voir défen­du l’i­déal liber­taire en écri­vant : Si l’ordre social rêvé par nous est réa­li­sable, « la liber­té aura place en lui, ou plu­tôt la liber­té en sera l’âme même et l’esprit de feu. Si nous allons vers la liber­té et la jus­tice, ce n’est pas aux dépens de la liber­té : nous ne vou­lons pas enfer­mer les hommes dans des com­par­ti­ments étroits, numé­ro­tés par la force publique. Nous ne sommes pas séduits par un idéal de régle­men­ta­tion tra­cas­sière et humi­liante… Plu­tôt la soli­tude avec tous ses périls que la contrainte sociale ; plu­tôt l’a­nar­chie que le des­po­tisme quel qu’il soit. »

« La Faillite du sys­tème indus­triel », par Pierre Kro­pot­kine, dans la Socié­té Nou­velle de juillet, est une inter­pré­ta­tion très claire, et sou­te­nue par des faits nom­breux, de la ten­dance qu’ont les nations contem­po­raines à fabri­quer elles-mêmes tout ce qui leur est néces­saire. Kro­pot­kine se réjouit de cette évo­lu­tion et pense que les tra­vailleurs s’af­fran­chi­ront plus aisé­ment dans un pays qui vivra de sa propre indus­trie et de sa propre agri­cul­ture. Après que l’I­ta­lie, la Rus­sie, et d’autres régions autre­fois agri­coles deviennent indus­trielles, il conclut ain­si : « C’est par­tout la même chose, et le pro­blème du capi­tal et du tra­vail en est certes, géné­ra­li­sé, — mais il en est aus­si sim­pli­fié. Faire consom­mer le blé et uti­li­ser les articles manu­fac­tu­rés par ceux-là mêmes qui ont semé et culti­vé le blé et qui ont fabri­qué ces articles. C’est la ques­tion à résoudre aujourd’hui… »

Pour moi, je pense que tout pays peut se suf­fire à lui-même ; je crois que si nous fai­sons la révo­lu­tion com­mu­niste d’a­bord sur un seul point, nous pour­rons n’y pas mou­rir de faim, et je me déclare très convain­cu par le beau cha­pitre sur l’A­gri­cul­ture qui ter­mine la Conquête du pain. Dans ce sens, il est vrai de dire que la ten­dance des nations à se suf­fire à elles-mêmes pré­pare la Révo­lu­tion. Mais je n’ad­mets cette cor­res­pon­dance par­faite de la pro­duc­tion et de la consom­ma­tion dans un ter­ri­toire que comme une contrainte. Il est heu­reux qu’elle n’existe pas encore, car le besoin maté­riel que nous avons les uns des autres fait que les riches ont des inté­rêts inter­na­tio­naux et empêche les gou­ver­nants de faire la guerre. La paix a pour base la spé­cia­li­sa­tion indus­trielle et agri­cole ; c’est ce qu’ex­plique très bien le pre­mier cha­pitre de la bro­chure : Pour­quoi sommes-nous inter­na­tio­na­listes, récem­ment publiée par un groupe d’é­tu­diants. Voi­là pour le pré­sent. Après la révo­lu­tion, plus nous aurons de rap­ports les uns avec les autres sur toute la sur­face du globe, plus nous nous déve­lop­pe­rons. Or, les peuples ne com­mu­niquent que si la néces­si­té les y pousse. Voi­là pour­quoi je sou­haite que la spé­cia­li­sa­tion du tra­vail dans chaque pays s’ac­cen­tue. Telles sont les réserves que j’a­jou­te­rais à la conclu­sion de Kro­pot­kine, approu­vant, du reste, sa démons­tra­tion lumi­neuse et positive.

Art et littérature

L’ef­fort de Jean Baf­fier pour tirer la déco­ra­tion de l’i­mi­ta­tion des plantes rap­pelle la renais­sance natu­ra­liste qui rem­pla­ça les orne­ments géo­mé­triques et les gro­tesques des tym­pans et des cha­pi­teaux romans par la déco­ra­tion gothique ins­pi­rée de la flore locale. Puisse-t-il nous déli­vrer de cet abus de corps fémi­nins qui gênent M. Béren­ger parce qu’ils sont nus, et qui nous agacent parce que leurs formes sont tor­dues et bri­sées à faire grin­cer les dents, les poses simples et l’har­mo­nie des traits deve­nant banales, à force d’a­voir servi.

En lit­té­ra­ture, outre la Socié­té Nou­velle, la Revue Blanche et les autres revues éclec­tiques déjà citées, nom­mons le Mer­cure de France, exclu­si­ve­ment consa­cré à l’art. Il en est sor­ti der­niè­re­ment pour recueillir et publier des réponses à la ques­tion sui­vante : « Toute poli­tique mise de côté, êtes-vous par­ti­san de rela­tions intel­lec­tuelles et sociales plus sui­vies entre la France et l’Al­le­magne, et quels seraient, selon vous, les meilleurs moyens pour y par­ve­nir ? » C’est la marque d’un inter­na­tio­na­lisme que je sou­hai­te­rais moins aris­to­cra­tique, mais dont je sens la sin­cé­ri­té en même temps que l’insuffisance.

Encore une fois, nous ne pou­vons tout exi­ger d’un coup, au terme ain­si qu’au début de cet expo­sé, en lisant le Mer­cure de France, comme en ouvrant le Coq Rouge, je suis heu­reux de trou­ver dans des revues exclu­si­ve­ment lit­té­raires la haine consciente de l’au­to­ri­té tra­di­tion­nelle et l’a­mour nais­sant de l’hu­ma­ni­té libre.

[/​Camarade CX./]

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