La Presse Anarchiste

La foi

La foi, c’est une sorte de convic­tion, de cer­ti­tude que l’on nous a impo­sée du plus ou moins de véra­ci­té d’une idée ou d’un fait. Cette convic­tion est la plus grande entrave que l’on puisse four­nir à un cer­veau qui veut pen­ser et qui veut se rendre compte du pour­quoi des choses. Ceux qui ont été éle­vés dans une reli­gion quel­conque et qui, imbus de leurs idées et de leurs pré­ju­gés, ont été obli­gés de se sou­mettre à l’o­bli­ga­tion morale de com­prendre et de rai­son­ner ont pu, seuls, en appré­cier la triste influence. On ne peut se faire une idée, que quand on y a pas­sé, du nombre et de l’in­ten­si­té des efforts qu’il faut faire pour ne pas admettre en un fait parce qu’il vous est impo­sé par une auto­ri­té scien­ti­fique ou autre et pour le rai­son­ner. Mal­heu­reu­se­ment, dès que nous avons été en âge de com­prendre, nos pre­mières impres­sions ont été celles de la foi. On nous a fait apprendre : Notre Père qui êtes aux cieux… On a cher­ché à nous impo­ser des croyances reli­gieuses quelles qu’elles soient et les impres­sions reçues sont res­tées. Aus­si, la pre­mière fois que nous nous sommes trou­vés en pré­sence d’une affir­ma­tion scien­ti­fique ou sociale, nous avons admis la chose sans cher­cher à la dis­cu­ter et à en contrô­ler l’exactitude.

Plus de foi en quoi que ce soit ! Ne croyons que ce qui est démon­tré et prou­vé expé­ri­men­ta­le­ment ! Vous dit-on que Dieu est, qu’il vous fait vivre, qu’il fait ger­mer le blé, deman­dez des preuves, sinon n’en croyez rien. D’abord, qu’est-ce et qui est-ce que Dieu ? Quel est le vrai ? Est-ce Jésus, Allah, Boud­dha, Brah­ma ou le Wacon­dah ? Où et en quoi avons-nous des mani­fes­ta­tions rai­son­na­ble­ment appré­ciables de sa réa­li­té et de son influence néfaste ou bonne ?

L’homme qui vivra dépour­vu de pré­ju­gés et d’i­dées pré­con­çues sera fort, il com­pren­dra avant les autres et il cher­che­ra la véri­té sans se lais­ser affai­blir par les excom­mu­ni­ca­tions et les rai­son­ne­ments tout de forme de ses adversaires.

De tout temps, l’in­fluence de la foi a été mau­vaise sur l’homme. N’est-ce pas à son pou­voir qu’est dû le mas­sacre de la Saint-Bar­thé­le­my et tant d’autres qui n’ont pas lais­sé, dans notre esprit, assez d’horreur pour nous empê­cher d’a­gir de même à l’égard des pré­ten­dus sauvages ?

Pour arri­ver à vaincre entiè­re­ment ces sortes croyances qui arrêtent l’es­sor intel­lec­tuel, il faut prendre l’homme encore enfant, le lais­ser se déve­lop­per libre­ment, sans lui impo­ser aucune foi, sans forces ses lèvres à pro­non­cer des phrases que son esprit ne com­prend pas. C’est pré­ci­sé­ment par là que l’on ver­ra jusqu’à quel point l’homme est juste en nais­sant. Quel est celui qui n’a pas vu un jeune enfant mani­fes­ter de l’indignation et de l’horreur à mesure que l’on lui dévoile les ini­qui­tés de la vie, ini­qui­tés qui nous semblent presque natu­relles, tel­le­ment nous y sommes habi­tués. Il ne peut com­prendre le meurtre orga­ni­sé de la guerre, et s’il paraît éprou­ver de l’enthousiasme pour le métier de sol­dat, c’est le brillant, c’est le cos­tume de celui-ci qui l’attire. Il est enfant, il aime le plu­met et la dorure, en un mot, tout ce qui peut fas­ci­ner son ima­gi­na­tion et qui lui semble la gloire.

L’enfant que nous aurons ain­si éle­vé, libre de toute croyance impo­sée, ne pour­ra com­prendre d’autres pré­ceptes que ceux de l’anarchie et devien­dra l’homme à venir, celui que nous devons pré­pa­rer et qui ter­mi­ne­ra ce que nous ne pou­vons qu’élaborer.

[/​Georges Enger­rand

Étu­diant en sciences/]

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