La Presse Anarchiste

Mouvement social

On se sou­vient du mas­sacre som­maire dont furent vic­times, il y a quelques mois, les anar­chistes envoyés à la Guyane. Ces gens-là sont très gênants, avec leur esprit d’in­dé­pen­dance, qu’ils pro­pagent à tout venant, ils auraient pu conta­mi­ner le bagne et faire com­prendre à toutes ces vic­times de l’ordre social bour­geois et capi­ta­liste tout ce que leur situa­tion a d’in­juste. On trou­va bien plus com­mode de les fusiller en masse ; on pré­tex­ta une révolte, et avec le sans-gêne qui carac­té­rise les assas­sins de gou­ver­ne­ment, on se débar­ras­sa des fortes têtes.

Par un hasard inex­pli­cable, Girier échap­pa au car­nage. Mais rien n’é­tait per­du. Dès que l’ad­mi­nis­tra­tion s’est aper­çue de l’ou­bli, elle s’est empres­sée de le répa­rer. Girier vient d’être condam­né à mort. Il est fort pro­bable qu’il sera exé­cu­té, car il est de ceux il qui on ne fait pas grâce. Ce fut, toute sa vie, un révol­té dans toute la force du terme. Dès l’âge de qua­torze ans, il fût condam­né à être enfer­mé pen­dant quatre ans dans une mai­son de cor­rec­tion pour rébel­lion à un com­mis­saire de police. Doué d’un cer­tain talent ora­toire, il cau­sa, dans diverses réunions publiques, quelques désa­gré­ments aux gues­distes. Ces der­niers, dont on connaît le sec­ta­risme et la mau­vaise foi habi­tuelle, s’ef­for­cèrent de le salir et firent cou­rir le bruit que c’é­tait un mou­chard. En outre, comme Girier avait été condam­né à Rou­baix sous le nom de Lorion et qu’il se cachait au Havre, les gues­distes, fai­sant, comme tou­jours, œuvre de mou­chards, le dénon­cèrent. Arrê­té, Girier se défen­dit à coups de revol­ver, ce qui lui valut dix ans de tra­vaux for­cés. Dans quelques jours, grâce à leurs excel­lents amis et alliés les gues­distes, les bour­geois n’au­ront plus à trem­bler en son­geant à ce ter­rible adver­saire. Jus­tice sera faite !

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Une grève ana­logue à celle qui se pro­dui­sit, il y a quelques années, vient d’é­cla­ter à Car­reaux. Aux der­nières élec­tions, les ouvriers de Car­maux élurent un de leurs cama­rades, l’ou­vrier ver­rier Bau­dot. Il n’en fal­lut pas moins pour que celui-ci fût aus­si­tôt ren­voyé sous le pré­texte de nom­breuses absences de son tra­vail. Les ver­riers se sont mis aus­si­tôt en grève, en exi­geant la réin­té­gra­tion de leur cama­rade. Le direc­teur de la ver­re­rie a refu­sé de rece­voir et d’en­tendre les délé­gués ver­riers. Ces tra­vailleurs donnent là un exemple de soli­da­ri­té à remar­quer, bien qu’il s’ap­plique à une mau­vaise cause. Il n’en est pas moins digne d’é­loges, quel qu’en soit le mobile.

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Dimanche der­nier, le per­son­nel diri­geant de la mine d’Aniche fêtait le 50e anni­ver­saire de l’en­trée dans la Com­pa­gnie de M. Vuille­min, ingé­nieur-direc­teur. Une messe solen­nelle venait d’être dite à cette inten­tion. Au sor­tir de l’é­glise, un mineur, nom­mé Decoux, ren­voyé de la Com­pa­gni- d’A­niche à la suite de la grève de 1893, s’ap­pro­cha du groupe des ingé­nieurs, déchar­gea cinq coups de revol­ver sur le direc­teur et, tirant une bombe qu’il dis­si­mu­lait sous son vête­ment, allait la lan­cer quand elle écla­ta, pro­je­tant Decoux à quelques mètres de là. Quelques per­son­nages furent atteints. Il s’a­git très vrai­sem­bla­ble­ment d’une ven­geance per­son­nelle. Car, s’il faut en croire les détails que l’un des rédac­teurs de l’É­cho de Paris donne sur le carac­tère du direc­teur, celui-ci devait semer une haine vivace sur son passage.

« M. Vuille­min, dit-il, était l’âme de la résis­tance patro­nale aux récla­ma­tions des gré­vistes. Par­ve­nu, et par­ve­nu d’as­sez bas, puisque, cin­quante ans aupa­ra­vant, on l’a­vait vu arri­ver dans le Pas-de-Calais comme simple garde-mine, il s’ex­pri­mait, à l’é­gard des ouvriers, en homme qui, à mesure que gran­dit sa for­tune, sent muer son espèce tri­marde en espèce fai­sant trimarder.

« Ses pro­pos étaient sévères pour le pré­fet du Pas-de-Calais. Il le trou­vait mou contre les gré­vistes. Il savait bien le moyen de les réduire ! Et son poing se fer­mait. Il fré­mis­sait d’un désir d’au­to­ri­té et de bataille. Il jouis­sait, au fond, d’in­car­ner la pro­prié­té minière, de repré­sen­ter le patron qui tient bon contre la grève, d’être atta­qué comme tel par les jour­naux socia­listes. Peu lui impor­tait d’être détes­té, pour­vu qu’il fût redou­té et de n’être salué par aucun des hommes qu’il employait, pour­vu qu’ils des­cen­dissent dans les mines aux condi­tions qu’il avait dictées. »

Que de deuils, un tel homme a dû semer dans sa car­rière de chien de garde du capitalisme !

C’est sou­vent dans le carac­tère de ceux qui en sont vic­times qu’il faut recher­cher la cause de bien des actes de violence.

[/​André Girard/​]

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