La Presse Anarchiste

Bibliographie

[(Nos lec­teurs nous demandent des indi­ca­tions de lec­ture. Nous avons com­men­cé à le faire dès les pre­miers numé­ros. D’or­di­naire, nous ferons ces indi­ca­tions au hasard des cir­cons­tances. Nous don­ne­rons le plus sou­vent une notice biblio­gra­phique. Les livres recom­man­dés ne seront pas for­cé­ment des livres de pro­pa­gande. La culture géné­rale est néces­saire à l’es­prit. Le bour­rage de crâne abê­tit. Il faut connaître les opi­nions les plus diverses sur le monde et l’hu­ma­ni­té. Nous éprou­vons tous aus­si le besoin de nous dis­traire en lisent des œuvres pure­ment lit­té­raires, à condi­tion qu’elles soient bien faites. Or, la publi­ci­té de librai­rie ne ren­seigne aucu­ne­ment sur la valeur et l’in­té­rêt des ouvrages pré­sen­tés. Au contraire, le public se trouve le plus sou­vent ame­né a ache­ter des livres médiocres. Nous espé­rons donc rendre ser­vice à nos lec­teurs en don­nant une rubrique bibliographique.)]

Nous avons reçu le nou­veau livre d’É­mile Guillau­min : Notes pay­sannes et vil­la­geoises (Biblio­thèque d’E­du­ca­tion, 15, rue de Clu­ny, éditeur).

Je sup­pose que nos lec­teurs connaissent Émile Guillau­min. Simple culti­va­teur à Ygrande, dans le Bour­bon­nais, il a essayé, autre­fois, de grou­per métayers et ouvriers agri­coles contre l’ex­ploi­ta­tion des pro­prié­taires et des fer­miers géné­raux. Son effort n’a pas eu de suc­cès durable, et il a racon­té sa décon­ve­nue dans le Syn­di­cat de Bau­gi­gnoux.

Guillau­min est arri­vé à la noto­rié­té avec La Vie d’un Simple (1904). C’est la vie toute nue d’un simple métayer du Bour­bon­nais, racon­tée par un paysan.

Nous n’a­vions guère eu jus­qu’a­lors sur la vie des ter­riens que les études ou les notes de lit­té­ra­teurs cita­dins, la plu­part incom­pré­hen­sifs. Les Pay­sans, de Bal­zac, ne décrivent que le mau­vais côté de l’âme pay­sanne ; on y sent véri­ta­ble­ment la haine et le mépris du bour­geois pour le campagnard.

Zola, dans La Terre, ne met en relief que l’â­pre­té et la cupi­di­té des pay­sans. Je ne vois guère, dans les écri­vains du der­nier siècle, qu’Er­ck­mann-Cha­trian qui ait par­lé avec sym­pa­thie et com­pré­hen­sion du pauvre culti­va­teur (His­toire d’un Pay­san). Je ne parle pas des romans de George Sand qui sont un peu trop des bergerades.

Pour com­prendre et décrire la vie des pay­sans, il fal­lait un homme de ce milieu-là, un homme qui eût souf­fert et pei­né avec ceux qu’il décrit, un homme qui eût com­pris leurs souf­frances et leur peine. La Vie d’un simple est une véri­table mono­gra­phie socio­lo­gique. Ce n’est pas un roman au même titre que Jac­qou le Croyant, d’Eu­gène Leroy.

Dans son nou­vel ouvrage, Guillau­min, se montre encore socio­logue plu­tôt que lit­té­ra­teur. Il note ce qu’il a remar­qué, mais sans la séche­resse du socio­logue officiel.

Dans l’é­tude sociale, le dés­in­té­res­se­ment et l’in­sen­si­bi­li­té sont une incom­pré­hen­sion. Guillau­min sent et com­prend. Je ne puis m’empêcher de le rap­pro­cher de Pierre Hamp, qui, avec un métier beau­coup plus brillant, montre dans ses études ouvrières les mêmes qualités.

Les Notes pay­sannes et vil­la­geoises pré­sentent un ordre et un plan évi­dents, bien que Guillau­min les pré­sente dans sa pré­face comme un fouillis hété­ro­clite. Il s’ex­cuse de ne pas appor­ter de thèse, de ne pré­sen­ter que des faits en dehors de toute géné­ra­li­sa­tion systématisée.

« Ces notes, dit-il, ne pré­tendent point à trans­for­mer les cer­veaux, les cœurs et l’é­tat social, mais à ser­vir la véri­té à appor­ter sur des ques­tions igno­rées ou défor­mées par le par­ti pris quelques lueurs, quelques pré­ci­sions, quelques suggestions. »

Après quelques notes sur la vie du front en Alsace où Guillau­min fut mobi­li­sé, l’au­teur passe insen­si­ble­ment au pro­blème de la vie chère, dont on fit retom­ber, après la guerre, toute la res­pon­sa­bi­li­té sur le pay­san. Il s’é­lève contre les pré­ju­gés cou­rants du culti­va­teur gagnant des mille et des cents, sans grande peine d’ailleurs, pour ain­si dire sans risque. Il rap­pelle la dure fatigue des tra­vaux de la terre et les aléas qui s’y attachent. Certes, on y gagne davan­tage qu’a­vant la guerre, mais avant la guerre, la vie du ter­rien était tout à fait misé­rable. Et puis, il faut dis­tin­guer entre les caté­go­ries de culti­va­teurs, depuis le tout petit pro­prié­taire qui doit négli­ger son lopin pour aller tra­vailler chez les autres jus­qu’au grog pro­prié­taire de plus de cent hectares.

En pas­sant, je copie cette réflexion (p. 54) :

« Pour­quoi toutes les lois de pro­tec­tion sociale sont-elles conçues plu­tôt de façon à déve­lop­per les ins­tincts de bas­sesse et de fla­gor­ne­rie ? On met aux prises la digni­té et l’in­té­rêt : l’in­té­rêt natu­rel­le­ment, l’emporte toujours. »

Il montre plus loin que l’en­ri­chis­se­ment n’est pas tou­jours, comme le disent les éco­no­mistes bour­geois, l’ai­guillon qui pousse les hommes à tra­vailler. Car c’est sur­tout la spé­cu­la­tion – et non le labeur utile – qui donne l’en­ri­chis­se­ment. « Cette idée serait dan­ge­reuse et pénible qu’il n’est plus que les imbé­ciles pour soi­gner les bêtes, labou­rer, semer ; que celui-là est un bien pauvre hère qui, pour gagner sa vie, n’a pas d’autre apti­tude que de savoir tra­vailler. » (p. 59).

Dans la deuxième par­tie, qui s’in­ti­tule : Les Faits et les Mœurs, Guillau­min montre l’é­vo­lu­tion des mœurs pay­sannes, et il rap­pelle les dures condi­tions de la vie patriar­cale d’au­tre­fois et pour les ouvriers de ferme [[À ce, pro­pos, j’in­dique un ouvrage inté­res­sant sur la vie de l’ou­vrier rural en Bre­tagne, un roman de Ch. Géniaux : L’Homme de peine.]] et pour les membres mêmes de la famille. Je les rap­pel­le­rai moi-même plus tard à ceux qui nient le pro­grès moral et social.

Guillau­min note le pro­grès des condi­tions de vie. Mais la cam­pagne se dépeuple. La vie y est sou­vent trop dure encore. Il cite ces lignes de Bache­lin (Le Vil­lage) : « Le pay­san, un homme qui ne se lève que pour tra­vailler et ne se couche que pour être debout le len­de­main, à la pre­mière heure. » « Il faut bien mar­cher, le tra­vail com­mande. » Mais c’est exac­te­ment les condi­tions de mon tra­vail même, la plus grande par­tie de l’an­née. Et je n’ai, moi, ni la tran­quilli­té des repas, ni celle des nuits. Dan­ger des défi­ni­tions sim­plistes, que je signale à l’auteur.

La vie est sans dis­trac­tions, sur­tout pour les femmes. Le logis, sou­vent sor­dide, sans clar­té, sans hygiène, sans aucune com­mo­di­té, n’est pas pour rete­nir les jeunes géné­ra­tions à la terre. Cette igno­mi­nie du loge­ment frappe encore davan­tage quand on revient d’un voyage à cer­tains pays étran­gers, de la Suisse, par exemple, où j’ai tou­jours admi­ré les demeures cam­pa­gnardes. Il y a en ce domaine beau­coup à faire.

Guillau­min finit en mon­trant les solu­tions pos­sibles : asso­cia­tion du tra­vail indus­triel et du tra­vail agri­cole, remem­bre­ment, dis­per­sion des fermes, sans grand éloi­gne­ment, autour d’un centre propre, pour­vu d’une pro­me­nade agréable et d’un lieu de réunion avec biblio­thèque choi­sie, T.S.F., etc. Et puis l’instruction.

Un pro­gramme plus souple, moins uni­forme, lais­sant aux maîtres une large part d’initiative.

Mais il est illo­gique que l’en­fant soit, à neuf, douze ou qua­torze ans, livré à la vie, sans plus. Beau­coup de choses qui n’at­ti­raient pas l’at­ten­tion de l’en­fant inté­ressent le jeune homme.

Donc, orga­ni­sa­tion de l’en­sei­gne­ment pro­fes­sion­nel des ado­les­cents ; stage annuel obli­ga­toire de trois mois dans une ferme-école can­to­nale pour les gar­çons de qua­torze à dix-huit ans.

Après cet âge, spé­cia­li­sa­tion des élèves : les uns, en petit nombre, les mieux doués, diri­gés vers les grandes écoles d’a­gri­cul­ture ; les autres spé­cia­li­sés dans la branche qui les intéresse.

Et voi­ci la conclusion :

« Si, en ce der­nier siècle, les grands pro­prié­taires eussent employé à recons­truire leurs fermes, à répa­rer les che­mins, une large part de leurs reve­nus, cela eût été plus effi­cace pour rete­nir les gens à la terre que toutes les homé­lies et adjurations.

« Il faut que la pro­fes­sion pay­sanne soit à éga­li­té dans l’es­prit public avec l’ar­ti­sa­nat, les emplois du com­merce, les petites fonc­tions d’É­tat ; quelle pro­cure à cha­cun des condi­tions de vie sor­tables et aux indi­vi­dua­li­tés d’é­lite, riches de bonne volon­té, mais pauvres d’argent, les moyens de par­ve­nir à une situa­tion qui vaille ; que son côté pas­to­ral et pri­mi­tif s’al­lie de plus en plus avec les élé­ment de la science moderne, sous la sau­ve­garde de règles sociale équi­tables ; que le contraste soit moins grand entre la terre vue des livres, mon­trée en beau par des gens qui n’ont jamais eu à en tirer leur sub­sis­tance, et la dure réa­li­té de l’exis­tence du domes­tique, du jour­na­lier, du métayer.

« Quand les libé­rés de longue date revien­dront volon­tai­re­ment et en nombre, ils pous­se­ront aux trans­for­ma­tions utiles ; ils contri­bue­ront à moder­ni­ser, à réha­bi­li­ter la glèbe. Alors les assu­jet­tis son­ge­ront moins à par­tir, car le peuple subit tou­jours l’in­fluence des plus haut pla­cés. Le métier, d’ailleurs, ne sera plus incom­pa­tible avec l’é­du­ca­tion, ni avec la culture intel­lec­tuelle : avan­ta­geux et consi­dé­ré, il occu­pe­ra sa place nor­male dans l’har­mo­nie du monde. »

Voi­ci deux livres qui nous semblent intéressants :

Archi­noff. – His­toire du mou­ve­ment mak­no­viste. – Mak­no fut le chef de par­ti­sans qui tinrent long­temps le sud de l’U­kraine contre la domi­na­tion bolcheviste.

Lucie Cous­tu­rier. – Des incon­nus chez moi. — édi­tions de la Sirène. – Mme. Cous­tu­rier qui vient de mou­rir, a eu à soi­gner des noirs séné­ga­lais pen­dant la guerre et a noté leurs réac­tions morales en pré­sence de notre civi­li­sa­tion. Après la guerre, Lucie Cous­tu­rier est allée elle-même au Séné­gal et a écrit sur ce voyage, sous le titre géné­ral de « Mes incon­nus chez eux » deux livres : Mon amie Fatou, cita­dine, et Mon ami Sou­ma­ré Lap­tot (ce der­nier pas encore paru).

[/M.P/]

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