Qu’on me permette aujourd’hui de m’adresser aux jeunes filles en âge de quitter l’école et d’entrer en apprentissage.
On a remarqué que, par force ou par gré, la moitié au moins des jeunes personnes s’égarent, dans des professions qui ne leur conviennent pas. Elles y mènent bientôt une existence désenchantée. Le plaisir d’une activité bien adaptée aux goûts personnels, à des conditions de travail agréables, à une rémunération normale, fait place à un petit train train de vie médiocre, ou trop monotone, ou pleine d’amertume, et l’on cherche parfois des compensations qui ne sont pas toujours des plus relevées. Le choix d’une profession est donc chose importante, et il ne faut point, pour rappeler un mot de Pascal, que le hasard en dispose.
Il y a dans les questions qui nous préoccupent deux problèmes :
Le pays dans lequel nous vivons, et l’étranger aussi, ont certainement besoin d’un certain nombre de professionnels. Ceux qui dirigent l’industrie, le commerce, l’enseignement ; cherchent à trouver les personnes qui conviennent le mieux à la tâche qui attend. Les plus aptes, les mieux préparés, ceux ou celles qui savent se tirer d’affaire par des ressources multiples de savoir, d’habileté, de bonne volonté, de santé – je ne veux pas parler de favoritisme – sont choisis de préférence. C’est la sélection professionnelle.
Enfin, second problème, et c’est celui qui nous retiendra. Il s’agit de diriger le jeune homme ou la jeune fille qui vont entrer dans la vie pratique, sur la voie qui leur conviendra le mieux, et que la collectivité en soit satisfaite. C’est ce qu’on appelle l’orientation professionnelle.
Disons de suite que pour ce qui concerne cette orientation professionnelle, le problème est double :
Il y a un côté négatif à envisager : écarter l’enfant des professions pour lesquelles il n’a pas d’aptitudes ;
Et un côté positif : trouver un métier précis ou un groupe de professions où il puisse faire son choix, et qui lui agrée.
Vous voyez que nous resserrons déjà la question et que l’orientation professionnelle comporte pour toute jeune personne un certain nombre d’observations et du discernement. Car, encore une fois, n’importe qui n’est pas capable de faire n’importe quoi, vous le savez bien.
Il y a là, des valeurs constantes à connaître, et pour cela je me placerai au point de vue de l’hygiéniste qui est celui de mon métier, sachant fort bien que l’apprentissage tient encore à de nombreuses variantes, en particulier à des conditions économiques, individuelles et collectives, de première importance : ressources des parents, nombre de places disponibles sur le marché du travail, avenir lointain réservé au métier appris, nécessité éventuelle de s’expatrier – conditions à débattre en famille, avec les maîtres et à la Chambre syndicale.
Donc, il est nécessaire, tout d’abord, de se connaître, de savoir ce que vaut sa propre guenille, pour employer un terme irrévérencieux. Eh bien ! si drôle que cela puisse paraître, il n’est pas dit que vous vous connaissiez même dans ce domaine, en somme relativement simple, de la santé.
De nombreuses recherches ont montré qu’à votre âge de croissance intense, de transformation même, il y a des moyennes de taille, de poids, de développement thoracique qu’on peut considérer comme des normales, et que des combinaisons bien comprises de ces moyennes, de ces normales, donnent comme des indices de constitution, des signes de santé. Ce que je vous dis n’a rien d’absolu, il y a des cas d’espèces, mais enfin voici les données que vous pouvez prendre en considération :
Âge | Taille | Poids | Périmètre thoracique | Indice de Piguet moyen |
13 ans | 147 cm. | 40 kg. | 65 cm. | 40 à 44 |
14 — | 153 — | 46 — | 68 — | 37 à 41 |
15— | 156 — | 50— | 73 — | 31 à 35 |
16 — | 158 — | 53 — | 78 — | 25 à 29 |
17 — | 160 — | 55 — | 81 — | 22 à 26 |
Le poids et la taille ne suffisent pas pour définir schématiquement la valeur constitutionnelle d’un individu. On ajoute à cette anthropométrie la mesure du thorax qui nous indique la valeur des poumons, ces organes si essentiels à la vie et, hélas, si facilement compromis par une maladie fréquente et grave qui s’appelle la tuberculose. Le périmètre thoracique se mesure au moyen du centimètre de couturière, un peu au-dessus des seins.
Ne vous formalisez pas de ce que vos mesures correspondent peut-être à celles d’une camarade de deux ou trois ans plus jeune que vous. Il existe des retards de croissance assez fréquents, dans les 20 % des cas environ. Le plus souvent ces retards sont rattrapés, mais encore ne peut-on exiger les travaux d’une jeune fille de dix-sept ans, par exemple, d’une personne qui a la stature d’un enfant de quatorze ans. Maîtres et élèves doivent parfois savoir attendre, et ce que j’en dis peut être aussi vrai dans la sphère intellectuelle que dans celle des efforts physiques. Ainsi, les nombres que je vous donne sont des moyennes qui, prises isolément, n’ont pas de signification. Un grand flandrin qui aurait. 1m. 80 de taille avec un poids de 50 kilogs et un thorax de 65 cm, malgré sa hauteur, ne serait vraiment qu’un être inquiétant, d’une constitution singulièrement faible. Il faut donc tenir compte des rapports qui existent entre les diverses parties du corps pour savoir s’il y a harmonie, bonne stature, santé. Un auteur, nommé Piguet, a imaginé pour apprécier la constitution des jeunes gens, l’indice que voici :
De la taille T il soustrait la somme du poids et du périmètre thoracique P+C, et il trouve un nombre qui est l’indice recherché :
Indice de Piguet = T – (P + C)
Exemple : une demoiselle de 17 ans a une taille de 1m. 60, un poids de 50 kilogs et un périmètre thoracique de 80 cm. L’indice de Piguet sera :
160 – (50 + 80) = 30
I1 s’agit en l’occurrence d’une personne maigre, de poids relativement insuffisant si l’on considère sa taille. Son indice devrait aller de 22 à 26. Plus l’indice est bas, meilleur il est. Aussi dans notre cas, le nombre 30 correspond-il à un indice de constitution faible.
Remarquons d’ailleurs que pendant l’adolescence l’indice d’une constitution normale varie. Il va de 42 environ à 13 ans, à 24 environ à 17 ans. Depuis l’âge de 18 ans, époque à laquelle l’organisme à atteint à peu près sa croissance maximum, l’indice de santé de Piguet, reste stable et alors :
lorsqu’il est de 10 | la constitution est très bonne |
– 11 – 20 | – bonne |
– 21 – 25 | – moyenne |
– 26 – 30 | – faible |
– 31 – 35 | – très faible |
– 36 et plus | – insuffisante |
Chacune d’entre vous peut établir son indice de constitution, le mettre en rapport avec son lige, en tenant compte, le cas échéant, des retards de croissance, et cela facilement, puisqu’on peut se faire toiser et mesurer partout. Ces quelques données, un peu figées à la vérité, vous feront voir tout de même où vous en êtes. Et celles qui auront des indices de Piguet au-dessus des moyennes indiquées, devront d’abord, par une hygiène ou des exercices appropriés, développer leur thorax et améliorer leur santé pour pouvoir entrer dans des professions fatigantes telles que celles de demoiselle de magasin ou d’institutrice. Pour être exact, j’ajoute que l’indice de Piguet, a été corrigé, et on utilise volontiers d’autres moyennes qui éliminent par exemple la longueur des jambes, fort variable et peu significative. Bref, la question de la constitution est primordiale dans le choix de la profession. Celles qui auront une excellente stature bénéficieront naturellement d’un choix de professions plus grand que les jeunes filles fluettes, aptes tout au plus à un travail assis dans un bureau.
D’autres notions utiles sont celles qu’on peut avoir et qu’il faut avoir quant au fonctionnement des yeux. Voyez-vous bien de loin et bien de près, sans aucune gêne ni fatigue particulières, et en essayant alternativement chaque œil (et en fermant l’autre pendant ce temps), alors tout va bien. Si vous voyez par exemple des lettres telles qu’un E majuscule haut, de 1 cm et d’une épaisseur de trait de 2 mm, à une distance de 8 mètres, de l’œil gauche, de l’œil droit, votre vue est suffisante et n’exige pas de soins. Il en est de même, approximativement, si vous pouvez lire sans peine de l’œil gauche, puis de l’œil droit, un texte placé à 30 cm et correspondant aux plus petits caractères des horaires de chemins de fer. Mais y a‑t-il après le travail, dans la vision de près ou de loin, de la fatigue des yeux, des rougeurs, des conjonctives, du larmoiement, d’un côté ou de l’autre, alors consultez un oculiste. Vous avez un défaut, peut-être corrigible, en tout cas à examiner de près. Dans les cas anormaux, et lorsqu’une correction suffisante ne peut être obtenue, certains métiers à ouvrages très fins seront contre-indiqués : la peinture en miniature, la broderie, les travaux microscopiques, les corrections typographiques. Heureusement le choix judicieux de lunettes (même à écaille) rétablit la justice, et des myopes peuvent alors prétendre aux métiers les plus méticuleux.
Corrigée ou naturelle, une bonne vision permettra d’exercer les professions de brodeuse dont je parlais, de sténo-dactylographe, de dentellière, de lingère, de photographe-retoucheuse, de télégraphiste, toutes autres conditions réservées. Une acuité visuelle moyenne est permise aux employées de bureaux, infirmières, vendeuses, modistes, institutrices, coiffeuses, margeuses d’imprimerie, relieuses, brocheuses, sommelières, emballeuses, cigarières. Les repasseuses ou les cuisinières pourront sans trop d’ennui n’avoir qu’une faible vision.
Mêmes soucis d’investigation pour ce qui concerne l’acuité auditive. Vous devez entendre une montre ordinaire de dame, sans la regarder, et en bouchant l’autre oreille avec le petit doigt, à un mètre environ – dans le silence du cabinet, ça va sans dire ; la voix chuchotée, dos tourné, devra être perçue à cinq mètres. À défaut, méfiez-vous, faites-vous examiner et n’entrez pas dans des professions en relation avec le public.
Puis, je veux rappeler que l’état des poumons est d’une importance fort grande, toujours, et en particulier dans toute profession enfermée, ou dégageant de la poussière, ou exercée dans un milieu peu éclairé, ou exigeant de gros efforts de phonation, ou une position assise, penchée : cuisinières, vendeuses, fourreuses, institutrices, petites mains. Par contre, les prédisposés à la tuberculose se trouveront fort bien des travaux en plein air, fleuriste, culture maraîchère.
Un cœur malade – cas fort rare d’ailleurs – ne pourra pas résister longtemps des efforts physiques répétés et le choix devra être restreint aux professions assises, tranquilles, sédentaires, d’un travail régulier. Je ne veux pas m’appesantir davantage sur toutes sortes d’infirmités qui a fortiori vont handicaper telle personne pour telle profession : la moiteur des mains pour la broderie, la confection de dentelles, la dactylographie, la fine couture, la fabrication de gants, le métier de modiste ; le daltonisme ou confusion dans les couleurs, si l’on veut faire la couture, la broderie mécanique ou à la main, la colorieuse ou timbreuse en capsules de bouteilles, la reliure d’art, la dorure, certaines parties dans la vente au public, la modist ; l’ozène ou puanteur du nez pour le métier de coiffeuse ; les varices pour les professions où il faut se tenir debout et immobile, repasseuse, blanchisseuse, cuisinière ; la dureté de l’ouïe pour devenir musicienne, bibliothécaire, sténographe, maîtresse d’école ; la nervosité dans le commerce et les magasins, dans l’enseignement ou dans la fonction de caissière, dans les professions médicales et auxiliaires de la médecine, dans toutes celles qui exigent le travail de nuit, actrice, téléphoniste. Et ainsi de suite.
(à suivre)
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