La Presse Anarchiste

L’action, remède du pessimisme

L’ac­tion est, de sa nature, une syn­thèse réal­isée, une déci­sion prise qui résout ou tranche un ensem­ble de points. Elle les tranche sans doute pro­vi­soire­ment, mais l’homme doit se rap­pel­er qu’il vit dans le pro­vi­soire, non dans l’éter­nel ; que, d’ailleurs, ce qu’il y a de plus éter­nel dans cet univers, c’est peut-être l’ac­tion même, le mou­ve­ment, la vibra­tion de l’atome et l’on­du­la­tion qui tra­verse le grand Tout. Celui qui agit n’a pas le temps de s’api­toy­er sur son cher moi, ni de dis­sé­quer ses sen­ti­ments. Les autres formes de l’ou­bli sont involon­taires et par­fois en dehors de notre pou­voir, mais il est une chose qu’on peut tou­jours oubli­er, c’est soi. Le remède à toutes les souf­frances du cerveau mod­erne est dans l’élar­gisse­ment du cœur.

L’ac­tion seule donne la con­fi­ance en soi, dans les autres, dans le monde. La pure médi­ta­tion, la pen­sée soli­taire finit par vous ôter les forces vives.

Quand on se tient trop longtemps sur les hauts som­mets, une sorte de fièvre vous prend, de las­si­tude infinie, on voudrait ne plus redescen­dre, s’ar­rêter, se repos­er, les yeux se fer­ment ; mais si l’on cède au som­meil, on ne se relève plus ; le froid péné­trant des hau­teurs vous glace jusqu’à la moelle des os ; l’ex­tase indo­lente et douloureuse dont vous vous sen­tiez envahit était le com­mence­ment de la mort.

L’ac­tion est le vrai remède du pes­simisme, qui d’ailleurs peut avoir sa part de vérité et d’u­til­ité quand il est pris dans son sens le plus haut. Le pes­simisme, en effet, con­siste à se plain­dre, non de ce qui est dans la vie, mais de ce qui n’y est pas.

Le vrai pes­simisme se ramène dans le fond au désir de l’in­fi­ni ; le haut dés­espoir se ramène à l’e­spoir infi­ni ; c’est pré­cisé­ment parce qu’il est infi­ni et inex­tin­guible qu’il se change en dés­espoir. La con­science de la souf­france à quoi se réduit-elle, elle-même, en grande par­tie ? À la pen­sée qu’il serait pos­si­ble de lui échap­per, à la con­cep­tion d’un état meilleur, c’est-à-dire d’une sorte d’idéal.

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L’ac­tion, en sa fécon­dité, est aus­si un remède au scep­ti­cisme ; elle se fait à elle-même, nous l’avons dit, sa cer­ti­tude intérieure. Que sais-je si je vivrai demain, si je vivrai dans une heure, si ma main pour­ra ter­min­er cette ligne qui se com­mence ? La vie, de toutes parts, est envelop­pée d’inconnu.

Pour­tant, j’agis, je tra­vaille, j’en­tre­prends ; et dans tous mes actes, dans toutes mes pen­sées, je pré­sup­pose cet avenir sur lequel rien ne m’au­torise à compter.

Mon activ­ité dépasse à chaque minute l’in­stant présent, débor­de sur l’avenir.

Je dépense mon énergie, sans crain­dre que cette dépense soit une perte sèche, je m’im­pose des pri­va­tions en comp­tant que l’avenir les rachètera, je vais mon chemin.

Cette incer­ti­tude qui, me pressent de toutes parts égale­ment, équiv­aut pour moi à une cer­ti­tude et rend pos­si­ble ma lib­erté, c’est l’un des fonde­ments de la morale spécu­la­tive avec tous ses risques. Ma pen­sée va devant elle, comme mon activ­ité ; elle arrange le monde, dis­pose de l’avenir. Il me sem­ble que je suis maître de l’in­fi­ni, parce que mon pou­voir n’est équiv­a­lent à aucune quan­tité déter­minée ; plus je fais et plus j’espère.

[/J.-M. Guyau/]


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