La Presse Anarchiste

Choses élémentaires

(suite)

Je voudrais aus­si attir­er votre atten­tion sur ceci : toute capac­ité intel­lectuelle mise à part ― et l’on sait si la valeur intel­lectuelle a de l’im­por­tance ― vous avez toutes une cer­taine habileté manuelle. Les unes ont tune dex­térité éton­nante des extrémités dig­i­tales et sont de pre­mière force dans les occu­pa­tions déli­cates ; peut-être envis­ageront-elles avec fruit la broderie, le piano, la lin­gerie, le méti­er de modiste, la machine à écrire, le tulle, les fleurs et les plumes, des travaux de lab­o­ra­toire, la chirurgie même ? D’autres sont plus à leur aise dans des ouvrages moins fins, travaux ménagers, ser­vice de mag­a­sin, cui­sine, cou­ture ; c’est chez elles la main qui agit plus que chaque doigt en par­ti­c­uli­er. Enfin quelques-unes réputées mal­adroites, sont cepen­dant capa­bles de travaux plus mas­sifs peut-être ; elles aimeront à faire la lessive, cul­tiv­er des fleurs, planter des arbustes, soign­er des ani­maux, manier des marchan­dis­es de gros ; c’est tout le bras qui éprou­ve le besoin de se man­i­fester. D’autres, si elles ne présen­tent rien de spé­cial comme capac­ités tac­tiles et manuelles auront par con­tre une vraie facil­ité et une grande joie dans le tra­vail cérébral ; visuelles ou audi­tives, les études leur seront réservées, si elles peu­vent se faire val­oir, et elles entreront dans l’en­seigne­ment, ou dans des fonc­tions admin­is­tra­tives supérieures ― à con­di­tion, ne l’ou­blions pas, qu’elles soient de bonne con­sti­tu­tion, bien équili­brées, rel­a­tive­ment calmes, sans compter vingt autres qualités !

Retenez, mes­de­moi­selles, ces don­nées phys­i­ologiques, ques­tion­nez-vous à leur endroit, si vous ne vous con­nais­sez pas encore. Et vous ver­rez que la mode qui vous pousse par­fois vers une pro­fes­sion risque, par rap­port à votre organ­i­sa­tion même, de vous égar­er. Vous choisirez davan­tage d’après vos pos­si­bil­ités organiques — illu­sions mis­es à part — que selon le goût du jour ou le sim­ple hasard des circonstances.

Quel que soit d’ailleurs le méti­er envis­agé et qui vous apportera, espérons-le, quelque indépen­dance en un temps d’in­sécu­rité latente où il faut compter avant tout sur soi-même et surtout si l’on est femme, il est un sec­ond méti­er que toute jeune fille doit encore appren­dre en quelques mesures au moins sous peine de déboires nom­breux : c’est celui de ménagère, que cela plaise aux fémin­istes ou pas. Ce méti­er a per­du la valeur sociale qu’il mérite et on l’ex­erce comme un pis-aller, ce qui n’est pas pour arranger tou­jours les affaires de la famille. Il est donc excel­lent que les écoles ouvrent de plus en plus, dans tous les milieux, des sec­tions ménagèrent et encour­a­gent les jeunes filles à s’y ren­dre, de même que les cours du soir de divers­es munic­i­pal­ités ou sociétés d’u­til­ité publique pour­ront être fréquen­tés à ce sujet avec une util­ité incon­testable. Je n’ose insister.

Enfin, il est des élé­ments qui dans n’im­porte quelle pro­fes­sion jouent un rôle décisif, pour ce s’ag­it d’y réus­sir. C’est la volon­té et l’adapt­abil­ité. Êtes-vous élas­tique de tem­péra­ment, c’est-à-dire, après quelques essais, épreuves, arrivez-vous facile­ment à exé­cuter ce que vous désirez, alors le choix des pro­fes­sions pos­si­bles est assez éten­du. Avez-vous par con­tre une peine inouïe à assur­er une nou­velle besogne, détestez-vous les change­ments et vous faut-il vrai­ment beau­coup de temps pour vous adapter à la sit­u­a­tion qui se présente, alors restez-en au vœu pie de beau­coup de par­ents et devenez une fonc­tion­naire. Mais atten­tion, n’al­lons pas pren­dre pour une fac­ulté d’adap­ta­tion ce qui n’est que papil­lon­nage, ver­sa­til­ité, impuis­sance de touche-à-tout, car les touche-à-tout ont besoin au con­traire de maîtres ou maîtress­es qui les suiv­ent et les guident, ain­si que les apathiques du reste. La volon­té d’aboutir, et c’est l’autre élé­ment dont je tiens à par­ler, est bien peut-être, ce qui pour­ra cor­riger les natures peu douées, ce qui pour tous est la qual­ité maîtresse req­uise dans toutes les pro­fes­sions. Une forte volon­té — elle se développe chez ceux qui l’ex­er­cent — arrive à bout de dif­fi­cultés inimag­in­ables. Jointe à une bonne cul­ture générale et à une san­té con­ven­able, la volon­té est un bien pré­cieux que je vous souhaite à toutes de pos­séder à un haut degré d’ac­quérir, car alors nous aurons la con­vic­tion que vous serez plus tard des femmes de valeur.

Pour vous faire touch­er du doigt les préoc­cu­pa­tions de l’ori­en­ta­tion pro­fes­sion­nelle, je veux vous sor­tir deux de ces fich­es que les bureaux nou­velle­ment créés tien­nent en réserve pour les jeunes per­son­nes qui ont jeté leur dévolu sur une pro­fes­sion don­née. Une demoi­selle pré­tend-elle par exem­ple se faire cou­turière ? on la con­fronte avec la fiche que voici :

Méti­er du type visuel, quoique l’acuité visuelle n’ait pas besoin d’être très bonne, il ne faut pas de dal­ton­isme. Bonne ouïe, san­té moyenne, pas d’haleine forte ; à décon­seiller aux nerveuses, anémiques, dys­pep­tiques chroniques, hémor­roï­daires ; tuber­cu­lose, con­tre-indi­ca­tion absolue. Pas de ver­tiges ni tran­spi­ra­tion des mains, ni gerçures en hiv­er. Atten­tion très néces­saire, grand sens d’ob­ser­va­tion, mémoire des formes ; coup d’œil rapi­de et sûr. Adresse des mains et des doigts, qui doivent être sou­ples et flex­i­bles ; mobil­ité des artic­u­la­tions, savoir tra­vailler des deux mains ; touch­er fin et déli­cat. Élo­cu­tion facile. S’adapter aux exi­gences des clientes, affa­bil­ité, bonne tenue, beau­coup d’or­dre et de soins ; cal­cul utile, géométrie utile, dessin linéaire et d’orne­ment ; être économe de la matière.

Désire-t-on devenir garde-malade ? II faut être de bonne con­sti­tu­tion, même forte ; pas de mal­adie de cœur, n’avoir rien d’anor­mal aux poumons ; pour les solides, pas de ner­vosité ; du sang-froid, ne pas faire la dégoûtée, avoir un bon coup d’œil, être d’une bonne volon­té, à toute épreuve, atten­tive, dis­crète, avoir de l’ini­tia­tive tout en restant dans les lim­ites fixées par le médecin. Il faut dans cette pro­fes­sion, non seule­ment une instruc­tion générale assez poussée, mais s’in­téress­er aux travaux de ménage, car on demande surtout à l’in­fir­mière de rem­plac­er la maîtresse de mai­son malade elle-même ou occupée par des malades que d’as­sur­er les soins pre­scrits. C’est en somme un méti­er dif­fi­cile, pénible, sou­vent ingrat, où le bluff est vite dépisté, mais évidem­ment d’une vraie beauté morale.

Et voilà quelques-uns des prob­lèmes que la vie pose à cha­cune, tout à tour — ce qui me per­met de ter­min­er en dis­ant que le charme de l’ex­is­tence se joue en tout cas sur une déci­sion : le métier.

[/Jean Wintsch/]

Annexe

Voici quelques don­nées de ce que l’ingénieur Mau­vezin appelle la « rose des métiers » :

Dorure d’art : comme le méti­er de relieur, est com­pat­i­ble avec la faib­lesse des mem­bres inférieurs ; coup d’œil rapi­de, pas de dal­ton­isme ; force moyenne, atten­tion soutenue, adresse des doigts, sens artis­tique, dessin linéaire, ornementation.

Pho­tographe : bonne vue et yeux solides ; vision cré­pus­cu­laire, touch­er déli­cat, ordre, exac­ti­tude, bon goût, un peu de chimie ; méti­er mi-debout, mi-assis ; voies res­pi­ra­toires saines.

Ouvrière en cheveux : assez bonne vue, déli­catesse du touch­er, ordre et soins, coup, d’œil rapi­de ; audi­tion, poumons, dal­ton­isme, ver­tiges, hernies, varices, engelures, tran­spi­ra­tion des mains, tout cela est indifférent.

Repasseuse : bonnes jambes, sans varice, cœur solide, forte san­té, adresse des bras, atten­tion, ordre et soins.

Cuisinière : bonne con­sti­tu­tion, poumons sains, vue assez bonne, mais pas de lunettes (buées) ; sens du goût et de l’odor­at, sobriété, pro­preté, atten­tion, mémoire et patience ; pas de mal­adie de cœur, ni gas­trite, ni ver­tiges, ni engelures, ni pieds plats, ni varices, tuber­cu­lose ni anémie ; habileté des mains, coup d’œil rapi­de, intel­li­gence dévelop­pée. Méti­er à con­seiller dans ces conditions.

Col­oreuse en cap­sules métalliques, tim­breuse en bouteilles : ni ver­tiges, ni éblouisse­ments, très grande rapid­ité de mou­ve­ments, grande adresse des doigts.

Vendeuse : posi­tion debout, pas de varices ; irrégu­lar­ité du tra­vail ; réac­tions rapi­des, être leste ; extérieur agréable, savoir par­ler (ni bégaiement ni autres défauts), pas d’haleine forte ; bonnes oreilles ; s’il y a manu­ten­tion de couleurs, pas de dal­ton­isme ; patience ; langues étrangères, bon cal­cul men­tal, mémoire des per­son­nes et des prix.

Employée de bureau : bonne écri­t­ure, instruc­tion soignée, bonne mémoire. Pour la sténo-dacty­lo­graphe, orthographe excel­lente out­re la dex­térité des doigts. Compt­able : grande pondéra­tion. Cais­sière : doigts très déliés, dis­cré­tion, courtoisie.

Gan­tière : méti­er assis, bonne vue, audi­tion indif­férente, pas de moi­teur des mains, con­naître couleurs et nuances ; être économe de la matière ; patience, minu­tie. Mêmes qual­ités pour les cuirs et peaux.

Four­rures : notions de cou­ture ; bonne vue ; adresse manuelle ; poumons résis­tants (pous­sières malsaines).

Tulle, fleurs et plumes : force moyenne, bonne vue, dex­térité manuelle ; pas de tran­spi­ra­tion des mains ; ordre et soins.

Modiste : méti­er assis ; assez bonne vision ; pas de prédis­po­si­tion à l’anémie ; pas d’haleine forte ; pas de dal­ton­isme, pas de moi­teur des mains ; bonne ouïe, mémoire et sens des formes, coup d’œil rapi­de, adresse manuelle ; bonne tenue, affa­bil­ité ; être ordonnée.

Broderie mécanique : vue bonne, pas de dal­ton­isme, beau­coup d’at­ten­tion sens des couleurs ; poumons et audi­tion indif­férents. Dans la bon­neterie mécanique, bons poumons, vue moyenne, dex­térité des mains et des doigts.

Broderie à la main : vue très bonne et con­nais­sance par­faite des couleurs ; pas de tran­spi­ra­tion des mains ; beau­coup d’at­ten­tion, adresse manuelle, minutie.

Den­tel­lière : dal­ton­isme pos­si­ble ; dex­térité. Méti­er assis, comme le précédent.

Cal­lotière : bonne vue, adresse manuelle, beau­coup d’or­dre. Cos­tumes d’en­fants : pas de dal­ton­isme, ni tran­spi­ra­tion des mains, ni engelures ; coup d’œil rapi­de, adresse manuelle, sens des formes ; ordre et soins, Corsetières, lingères : mêmes qual­ités ; précision.


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