[|(III)|]
L’Égoïsme est : (1) la théorie de la volonté en tant que réaction du moi à un motif quelconque — (2) effectivement toute réaction de ce genre. Cette double définition tient compte de la latitude ordinaire consentie à l’imperfection du langage, à cause de laquelle un terme identique englobe la théorie, le fait individuel et une masse de faits. Je me doute bien qu’en posant cette définition fondamentale, je susciterai la désapprobation de quelques lecteurs, suffisamment versés en matière de philosophie mentale, pour s’apercevoir qu’en acceptant la dite définition il leur faudra rejeter tout droit à une philosophie non égoïste dans le royaume des chimères mentales. Ils m’accuseront en posant cette définition de mendier une question ; or, je ne désire pas poser une définition moins fondamentale que celle qui s’avérera suffisamment compréhensive et exacte dans tout ce qui a rapport au motif rationnel et à l’action et à la volition conséquentes. Lorsque j’aurai rendu justice à l’Altruisme, on verra bien qu’il n’y a pas place pour mendier quelque question que ce soit. Les alternatives proposées par les « altruistes » peuvent s’accorder avec leurs conceptions lorsqu’ils désirent définir « l’Égoïsme », mais à ces conceptions je ne prends aucune part.
Par le « moi » ― le self ― j’entends l’animal ou personne vivante, tel que reconnu par les sens ou la conscience, et non une entité intangible, mystérieuse, une entité supposée quelconque — « âme », ou « esprit », par exemple.
Par « motif », j’entends toute influence — vue, son, bruit, impression, pensée ou autre énergie — agissant sur la personne, y opérant un changement — influence sur ou contre laquelle réagit le moi, tantôt s’emparant de ce qui peut contribuer à sa satisfaction, tantôt rejetant ce qui lui semble de nature à le mécontenter ou à le détruire — ou l’en menace.
Si ma définition est imparfaite, la lacune gît dans mon oubli d’avoir mentionné l’action réflexe comme unie à la volonté. Je considère l’action réflexe comme dépendante d’une sorte de volonté dans les centres nerveux (et dans une substance plastique autre quant aux animaux inférieurs). Quoi qu’il en soit, les actions réflexes ne sont pas sujettes à de sérieuses discussions quant à leur aspect moral spéculatif. L’omission, donc — si omission il y a — ne concernerait que la portée de la définition, non sa qualité. Mais le mérite d’une définition n’est pas dans sa portée ; elle est dans son exactitude. Comme je n’ai pas l’intention d’insister sur la définition de la « volonté », je dirai que l’action réflexe étant acceptée, dans ses effets, comme se considérant elle-même, tout ce qui reste à faire pour universaliser — selon tout ce qui précède — l’admission de la théorie égoïste, est de réduire tout ce qui nous détermine à l’activité volontaire à des réactions, (avec en plus la conscience cérébrale), tout autant qu’à des actions réflexes privées de cette conscience.
Toute controverse concernant la théorie de l’Égoïsme se poursuivra le long de la ligne de « l’action volontaire » ; c’est pourquoi cette partie de l’Égoïsme est essentielle dans une définition. Mais si j’ai omis l’action réflexe dans (1) la théorie, je ne l’ai pas ignorée dans (2) effectivement « toute réaction de ce genre », où « toute » se rapporte à « moi »
Par commodité, j’ai écrit « moi », sous-entendant, soit apparemment, l’ensemble des énergies coordonnées de la personne soit les pouvoirs d’attraction et de répulsion de tout organe ou partie de la personne. Probablement, l’ensemble des énergies d’un animal donné ne s’est jamais tendu d’un seul coup sous l’incitation d’un motif ou d’une combinaison de motifs. D’où il ressort que l’expression ordinaire qui désigne le « moi » est une exagération.
L’étude de l’histoire, de la philosophie, de la science, spécialement la doctrine de l’évolution — associée aux observations qui se peuvent faire personnellement sur les animaux et la vie humaine — une telle étude convaincrait graduellement toute personne intelligente que tous les actes volontaires, y compris une certaine classe d’actes communément mais erronément appelés involontaires, sont causés par des motifs agissant sur le sentiment et la raison de l’Ego et que la réaction de l’Ego à tel ou tel motif se produit aussi sûrement qu’une réaction chimique quelconque ; que la seule difficulté qui se présente à notre entendement est la complexité des influences (motifs) et la composition du sujet sur lequel on agit. Pour éviter cette conclusion, les dogmatistes ont parlé du motif comme s’il s’agissait de quelque chose ayant son origine dans la pensée. Le motif est toute influence qui cause le mouvement. Il doit y avoir une cause à toute pensée et à toute sensation. Cette cause doit affecter l’Ego et l’Ego ne peut que réagir s’il est affecté — selon le caractère du motif et la façon et le degré dont l’Ego est affecté dans l’une quelconque de ses parties autrement il n’y aurait pas de nature, ni de continuité de phénomènes.
Bref, l’homme est partout dans le domaine de la nature — autrement dit la succession régulière de phénomènes apparemment en corrélation.
Un motif semé dans l’Ego (c’est-à-dire dans le « moi ») peut être comparé à une semence enfouie dans le sol. Supposons qu’elle germe, l’effet ordinairement observé est la croissance de bas en haut de la tige et du fruit, analogue à l’action volontaire ; mais j’ai défini l’Égoïsme par rapport au jaillissement d’une pareille action plutôt que par rapport à l’action comme phénomène, pour une raison qui sera comprise en suivant l’analogie jusqu’au bout. Dans le sol, il y a une racine ; la tige de certaines plantes peut être coupée à plusieurs reprises, mais tant que la racine est vivante il y a probabilité de croissance extérieure. C’est en général le cas avec les jeunes plantes. Bien que l’analyse mentale réduise la volonté à un simple terme abstrait, commode pour imaginer un anneau entre le motif et l’acte — et que la volition devienne différenciée ou non pour revêtir un sens plus précis et plus actif — il est nécessaire d’avoir une conception reliant les activités renouvelées avec les anciennes, comme cela arrive dans la plante, sans nécessité d’une nouvelle semence. Cela ne se trouve pas dans l’exemple simple et familier d’une semence qui, pendant quelque temps, ne germera pas, mais dans la germination invisible agissant sous la surface, fournissant énergie et détermination à des formes qui réapparaissent de temps à autre et prennent alors diverses directions selon les obstacles qu’elles rencontrent.
(à suivre).
[/James L.
Traduction E. Armand./]