[|(Suite)|]
Je n’en suis encore qu’à la partie dogmatique, strictement métaphysique et spéculative de la religion catholique et déjà l’Imposture nous est apparue, flagrante, indéniable.
Ce n’est qu’un commencement ; nous allons la voir s’étaler, se gonfler, prendre son développement complet dans la partie légendaire du Christianisme pompeusement qualifiée par certains thuriféraires, d’historique.
L’Église a prodigué ses attentions à cette légende ; elle l’a travaillée, cultivée, embellie avec un soin jaloux et c’est incontestablement à cette partie du Dogme chrétien qu’elle est redevable de ses plus éclatants succès et de son prodigieux essor.
L’Église possède à un degré supérieur le sens pénétrant de ce qui plaît à la nature humaine ; elle a la connaissance approfondie de ce qui frappe les imaginations ; elle a poussé très loin et à l’aide de moyens exceptionnellement favorables et qui lui sont propres, la pénétration des sentiments qui agitent, des émotions qui étreignent, des passions qui bouleversent les cœurs. Aussi a‑t-elle deviné, pressenti que, pour faire la conquête de l’Humanité et pour n’avoir pas à défendre incessamment le bénéfice de cette conquête une fois réalisée, il ne suffisait pas de proposer ou d’imposer à la crédulité des foules, la foi en un Dieu perdu dans l’épaisseur des nuées, entouré de Gloire, de Puissance et de Majesté, incompréhensible et mystérieux. Artiste génial ayant conçu et créé l’Univers, Géomètre prodigieux et incomparable Architecte ayant tout merveilleusement calculé, mesuré, consolidé, équilibré. Elle a compris que cette Divinité : froide, impassible, hautaine, terrible, implacable était parfaitement susceptible d’inspirer le respect, la crainte ou l’admiration mais tout à fait incapable de provoquer l’enthousiasme et cet élan spontané, irrésistible qui entraîne, soulève et accomplit des merveilles.
L’Église a présumé que, pour en arriver à cet élan qui déchaîne l’enthousiasme, qui suscite l’esprit de sacrifice, qui transporte la volonté et l’arme d’énergie exceptionnelle, il était nécessaire de ne s’en pas tenir au simple rapprochement entre Dieu et l’Homme, que laisse entrevoir, qu’affirme avec timidité la partie spéculative de Sa Doctrine.
Elle a compris qu’il était indispensable de faire descendre Dieu sur la terre, en chair et en os, d’en faire en tous points un homme comme les autres : naissant, vivant, mourant ; de mêler sa vie à celle de ses contemporains, de le soumettre aux besoins, aux nécessités, aux souffrances, aux passions, aux épreuves communes à tous les mortels, de l’entourer d’une famille, d’amis et d’ennemis, bref, d’en faire une modalité passagère, réelle et vivante, de l’espèce humaine.
Elle a compris que l’Homme-Dieu devait être le personnage central d’un drame sans pareil, mais que devant laisser de son passage ici-bas des traces ineffaçables et d’impérissables souvenirs, il devait multiplier sous ses pas les miracles, que de ses lèvres devaient tomber d’inoubliables enseignements, que de sa vie devaient résulter de frappants exemples, qu’en un mot, ce Dieu fait homme, cet homme qui sans cesser un seul instant d’être Dieu ne cessait pas une seule minute d’être Homme, devait être, pour tous, le type, le modèle de toutes les vertus, ainsi que l’incarnation de toutes les détresses et de toutes les résignations.
La légende chrétienne est connue de tous. Non seulement elle a fait le tour du monde, mais, dans nos pays du moins, elle a retenti du haut de toutes les chaires ; elle a été enseignée dans toutes les familles et toutes les écoles ; elle a été vulgarisée au sein de toutes les classes de la société ; elle a été exposée, commentée, exaltée dans tous les livres, sur toutes les scènes, par tous les Arts ; elle a, durant des siècles, tout envahi, tout pénétré, tout absorbé.
Adam, Eve, Joseph, Marie, Jésus, Pierre, Jean, Judas, les Martyrs, les Saints, les Papes, il n’est pas un de ces personnages, tenant dans la tragédie légendaire un emploi de quelque relief, qui ne soit connu : aimé ou haï, vénéré ou méprisé, de toutes façons populaire.
Bien que tout le monde connaisse cette légende, il faut que je la rappelle brièvement. En voici le résumé :
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Quand Dieu eût achevé l’œuvre colossale et miraculeuse de la Création, Il voulut, pour mettre la dernière main à son ouvrage et, en quelque sorte, le couronner, créer un Être qui en serait le Roi.
Il prit quelque peu de limon et, l’animant de son souffle, il créa l’Homme, son chef‑d’œuvre.
Il le plaça dans un jardin magnifique où tout était enchantement, splendeur et ravissement, Paradis, Éden, séjour d’inexprimables délices, où Adam, le premier Homme, le père de toute l’Espèce, ne devait connaître que des félicités sans mélange.
Pour compléter son œuvre, Dieu songea à donner une compagne à Adam. Pendant que celui-ci dormait, il lui arracha une côte dont il fit Ève : la première femme, la mère de l’Espèce.
Dans le Paradis, Adam et Ève goûtaient un bonheur parfait, en état d’innocence, ignorant toute mauvaise pensée, à l’abri de toute tentation dangereuse.
Ils vivaient enfin en toute liberté, Dieu n’avait mis à cette liberté qu’une limite ; Il n’avait interdit à nos parents qu’une seule chose : Il leur avait défendu de goûter au fruit de l’arbre de la Science du Bien et du Mal.
Hélas ! Sous la forme du Serpent, le Démon — c’est-à-dire l’Esprit du Mal — se glissa près d’Ève, l’incita à cueillir le fruit de l’arbre défendu, et la poussa à le partager avec Adam.
Ève céda à la tentation et entraîna Adam dans sa faute.
Terrible, éclatante fut la colère de Dieu, outragé à la lois par la désobéissance d’Adam et d’Ève et par l’impardonnable ingratitude dont cette faute était le témoignage.
Il ordonna à l’Archange St-Michel de chasser immédiatement Adam et Ève du Paradis, après leur avoir signifié son arrêt et les avoir frappés de sa malédiction.
« Allez, ingrats. Dieu vous chasse du royaume dont sa Bonté avait fait votre bienheureux séjour. Désormais vous gagnerez votre pain à la sueur de votre front. Vous serez exposés au froid, à la faim, à la maladie, à la mort ; et la malédiction divine vous poursuivra de générations en générations. »
Alors commença, pour Adam et Ève, pour leurs enfants, leurs petits-enfants et toutes les générations qui, durant quarante siècles se succédèrent, une existence de privations et de souffrances, une vie incertaine, misérable, douloureuse, preuve irrécusable que l’espèce humaine continuait à être accablée sous les coups de la malédiction divine et que le courroux du Créateur outragé ne désarmait pas.
Mais l’indestructible Espérance persistait clans les profondeurs de l’âme humaine et, sous la forme miraculeuse de l’inspiration divine dont les Prophètes avaient la mission de transmettre à leurs contemporains le rassurant Message, l’Humanité était progressivement amenée à désirer, à espérer, à escompter la venue sur la terre d’un Rédempteur chargé d’apaiser le Divin courroux, d’apporter aux Hommes le Salut et de leur ouvrir à nouveau les portes du Paradis.
Ces prédictions devinrent de plus en plus précises, à mesure que se rapprochait l’époque de leur réalisation.
Celle-ci vint enfin et, précédé de Jean Baptiste, le précurseur, Jésus fit son apparition sur la terre.
Ici se termine la première partie de la légende, celle qu’on pourrait appeler le premier acte du Drame.
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C’est la vie de Jésus, du Christ, de l’Oint du Seigneur, du Fils de Dieu sur la terre, sa vie depuis sa naissance jusqu’à son ascension au Ciel, qui constitue la deuxième partie de la Légende, le deuxième acte du Drame.
Toute la puissance d’émotion dont le Catholicisme est capable se donne rendez-vous dans cette deuxième partie de la légende ; aussi abonde-t-elle en récits émouvants, en épisodes touchants, en descriptions impressionnantes, en péripéties dramatiques, en incidents pathétiques, soulevant tour à tour l’indignation, la pitié, l’amour et la reconnaissance.
Tout le côté saillant de l’existence de Jésus-Christ sur la Terre est figuré par les deux extrêmes qui la limitent : naissance et mort, berceau et croix, étable et gibet. Naissance pauvre et humble, mort douloureuse et infamante. Berceau de paille, symbole d’indigence, croix de bois, emblème d’ignominie. Étable, décor obscur, fait pour la naissance de moins qu’un homme : un animal ; gibet, décor d’expiation, fait pour le châtiment de moins qu’un homme : un bandit.
Tout ce qui nous est rapporté de la vie de Jésus, en plus de l’avènement et du supplice, n’est que de secondaire importance et d’intérêt anecdotique : fuite en Égypte, enfance laborieuse de Jésus entre Joseph et Marie, son adolescence pleine de sagesse ; sa jeunesse consacrée au travail manuel ; puis ses voyages, ses prédications, les miracles semés sur sa route, les enseignements tombés de ses lèvres, le recrutement de ses Apôtres, la conversion de ses premiers disciples. Ce sont là, petits événements destinés uniquement à combler le vide qui sépare l’étable du gibet, la naissance de la mort.
Les larmes d’apitoiement profond, d’émotion sincère, qui ont été arrachées depuis, aux centaines de millions de chrétiens qui ont peuplé notre globe, suffiraient, réunies, à former un Océan.
Mort, Jésus-Christ sort vivant du sépulcre, et se fait reconnaître par les Apôtres. Il vit au milieu d’eux pendant quarante jours, leur prodiguant ses préceptes et ses recommandations ; les mettant en possession des instructions qu’ils devront observer et transmettre à leurs continuateurs ; leur déléguant ses pouvoirs avec mandat de les transmettre à leurs successeurs ; accomplissant encore des prodiges et marquant chaque jour d’une parole, d’un exemple, d’un sujet d’édification ; instituant, au cours de l’inoubliable Cène, le miracle de l’Eucharistie par lequel, chaque jour, Il descendra sur l’Autel en chair et en os : « Prenez ; mangez : ceci est mon corps ; buvez : ceci est mon sang ! » à la voix du Prêtre, renouvelant ainsi, jusqu’à la fin du monde, le sacrifice par lequel le Fils de Dieu a racheté l’Humanité.
Car le passage de Jésus-Christ sur la terre n’a pas été seulement un enseignement un exemple, un modèle, une source de miracles et de révélations ; il a été encore, il a été surtout une expiation.
Dieu le Fils s’est offert en holocauste à Dieu le Père afin d’effacer l’offense faite à celui-ci par une réparation proportionnée à cette offense. L’offense faite à Dieu ne pouvait être effacée que par l’expiation imposée à une victime Divine. Cette expiation a eu lieu ; elle a été consommée par Jésus expirant sur la croix, du supplice le plus ignominieux et de la mort la plus atroce.
« Paix, désormais sur la Terre, aux Hommes de bonne volonté. La réconciliation s’est opérée entre le Ciel et la Terre. Les portes de « l’Éternité bienheureuse ont cessé d’être fermées aux descendants d’Adam et Ève. L’œuvre de Rédemption si longtemps annoncée par les Prophètes si impatiemment attendue, si ardemment désirée, est enfin couronnée. Gloire au Sauveur ! »
Dans cette deuxième partie de la légende — qui se termine par l’ascension de Jésus-Christ au Ciel — ce qui frappe, ce qui reste constamment au premier plan, c’est le soin dont le Catholicisme ne se départit pas un instant, avec lequel il évoque aux yeux de ses adeptes et rappelle à leurs souvenirs, l’image d’un Dieu acceptant, par pur amour, les conditions de vie les moins enviables, subissant volontairement les humiliations et les sarcasmes, s’exposant aux injures et aux coups, succombant enfin au milieu des plus cruels tourments, frappé de la condamnation la plus ignominieuse.
Quand j’en aurai fini avec l’exposé de la légende dont il me reste encore à résumer la troisième et dernière partie, j’expliquerai et on comprendra pourquoi l’Église Catholique a tant insisté sur l’abîme de douleurs, de misères et de déchéances que fut, d’après elle, la vie de son fondateur et on embrassera dans toute leur étendue alors, les incroyables proportions de l’Imposture dont je parle.
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La troisième partie de la Légende, le troisième acte du Drame, commence avec la fondation de l’Église et se poursuit avec le développement historique de celle-ci.
Si le Catholicisme a consacré à la deuxième partie de la légende toutes les ressources émotives dont il dispose, il a dépensé dans cette troisième partie tous les trésors de finesse, de subtilité, de souplesse, de ruse, de diplomatie, d’artifice, de stratégie et… je lâche le mot car il n’est pas trop fort et ne dépasse pas ma pensée, de fourberie, qu’il possède.
Ce troisième acte du Drame est un Monument de patience et d’artifice ; mais il est plus encore un chef‑d’œuvre de dissimulation. Il est un modèle de finesse et de diplomatie ; mais il est, plus encore, un prodige d’hypocrisie. Je ne tarderai pas à justifier mes dires, en apportant la preuve palpable, décisive des accusations que je formule contre l’Église Catholique.
Mais terminons d’abord le résumé de la légende.
Jésus a quitté la Terre ; mais Il y a laissé des Apôtres chargés de ses Pouvoirs, des Disciples, pourvus de ses Enseignements, des continuateurs ayant ses Instructions touchant la fondation et le développement de son Église.
Ils se mettent courageusement à l’œuvre. Le sort réservé aux disciples ne diffère pas de celui qui la été infligé au Maître : c’est la raillerie, le ridicule, l’insulte et, par surcroît, la condamnation, le supplice, la mort.
Temps héroïques où, par milliers et milliers, les Confesseurs de la Foi Nouvelle s’offrirent joyeusement à la torture et firent allègrement le sacrifice de leur vie, plutôt que de renier ou simplement de taire leurs croyances !
Mais voici que les âges héroïques ont pris fin ; la semence des Martyrs a porté ses fruits ; elle a couvert le sol de moissons abondantes. Las de persécuter et redoutant de frapper des ennemis devenus nombreux et puissants, les oppresseurs ont crû préférable de vivre en bonne intelligence avec les continuateurs du Christ et d’admettre dans leurs rangs les dignitaires de son Église.
Dès cette époque, la légende entre dans une phase particulière et historique. Le moment approche, où, oubliant de plus en plus, la parole du Maître : « mon Royaume n’est pas de ce monde », l’Église catholique par le truchement de ses Papes et de ses Prélats, va entrer en négociations avec les dépositaires de la force temporelle et des pouvoirs terrestres.
Le catholicisme insiste dès cette époque sur l’ordre que lui a intimé le Christ d’exercer sur les âmes un empire absolu ; il insiste sur le conseil qui lui a été donné d’établir partout l’entente et l’appui réciproques entre les rois de la terre et le Roi du Ciel, en rendant à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu.
Il se faufile petit à petit dans la constitution politique des États qui sont à cette époque de monarchie absolue. L’Église enseigne que tous ceux qui, sur la terre, détiennent une parcelle de l’Autorité la tiennent de Dieu. Elle affirme que Dieu est la source unique de tout Pouvoir légitime et respectable et que, n’étant qu’une reproduction en petit de l’Univers, la Terre est gouvernée par ces Providences minuscules que sont les Monarques, comme l’Univers est gouverné par le Monarque suprême : Dieu.
Se mêlant d’une façon plus intime à la vie des peuples, l’Église déclare que l’empire qu’elle a reçu de Dieu la mission sublime d’exercer souverainement sur les âmes ne petit pas plus être séparé de l’empire à exercer sur les corps qu’il n’est possible de séparer ici-bas les corps des âmes. Elle, réclame en conséquence sa part d’Autorité temporelle et la revendique d’autant plus considérable qu’elle place l’âme bien au-dessus du corps et considère que le pouvoir temporel doit être subordonné au pouvoir spirituel dans la mesure où la matière est subordonnée à l’esprit.
Elle n’hésite pas à proclamer que la vie terrestre n’est que la préface ou l’introduction à la Vie céleste, qu’elle est une préparation à celle-ci et qu’il est impossible de préparer, comme il convient, le Royaume de Dieu dans l’au-delà sans l’avoir établi le plus possible ici-bas.
Quant aux pouvoirs conférés par le Christ à son Église, ils sont presque divins. Voyez plutôt :
« Nul ne sera sauvé, s’il n’a été, par les eaux purificatrices du baptême lavé du pêché original. Le Baptême est le sacrement qui donne accès dans l’Église et de l’homme fait le Chrétien.
« Nul ne sera sauvé qui n’aura pas strictement observé les Commandements de l’Église, au même titre que les Commandements de Dieu.
« Quelque soit l’énormité du péché dont il s’est rendu coupable, le Catholique peut en recevoir la rémission par l’absolution au tribunal de la Pénitence, par le Prêtre à qui le pécheur fait l’aveu complet et sincère de ses fautes, de ses crimes, tient de l’église, c’est-à-dire de Dieu lui-même le droit de lier et de délier, au Ciel et sur la Terre.
« Ne sont honnêtes et pures que les relations intimes entre hommes et femmes qui ont été unies par le Sacrement du Mariage. Toute union qui n’a pas été consacrée par l’Église est criminelle au même titre que le concubinage.
« L’Église est constituée par la totalité des fidèles qui ont reçu le baptême. Elle est placée sous l’autorité souveraine du Pape, le vicaire de Jésus-Christ sur la Terre, le successeur de St-Pierre, pierre angulaire de l’Église. Le Pape est élu par une assemblée des princes de l’Église, les Cardinaux réunis en Conclave.
« Dépositaire de la Vérité éternelle, le Pape, quand il parle ex cathedra, quand il s’exprime comme chef suprême de l’Église sur des matières qui touchent directement au Dogme, est infaillible.
« Au-dessous du Pape et au-dessus de la multitude des simples fidèles s’interpose toute la hiérarchie des pouvoirs ecclésiastiques.
« L’Église catholique est constituée en diocèses que dirigent les archevêques et les évêques et les diocèses sont organisés en paroisses à la tête desquelles se trouvent les curés et leurs vicaires.
« Les Catholiques qui se sentent appelés par une vocation spéciale à embrasser la Vie religieuse, peuvent faire choix de l’Ordre ou de la Congrégation dont ils désirent faire partie. Ils doivent ensuite se conformer non seulement à toutes les obligations catholiques, mais aux prescriptions de la règle à laquelle ils appartiennent. »
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J’ai terminé ce résumé de la légende catholique et de l’organisation de l’Église. Je sens combien cet abrégé, limité aux grandes lignes, est insuffisant à donner une idée même légère de l’impression que ce récit fabuleux ne manqua pas de produire sur le cour et l’imagination de presque tous ceux à la connaissance do qui il parvint.
Pour mesurer l’étendue et l’intensité de cette impression, il faut, non seulement, se remémorer les innombrables péripéties de ce Drame gigantesque, la qualité des héros qu’il met en scène, les situations pathétiques, dont il fourmille et les émotions délirantes, dont il déborde, mais encore l’époque à laquelle se situe la partie palpitante de ce drame : la deuxième, celle qui domine les deux autres et qui, tel le cœur, placé entre la tête et les pieds, distribue partout le sang, communique la vie aux deux autres actes.
Il faut se souvenir que cette époque fut pleine d’obscurité, sorte de nuit profonde et longue jetée entre le crépuscule des civilisations antiques disparues ou en pleine décadence et, par conséquent à la veille de disparaître, et l’aurore des civilisations à naître et dont les premiers éléments se profilaient indécis et tremblants, sur l’avenir.
Certains esprits, qui veulent apercevoir en toutes choses une intervention providentielle enfantant le miracle, ont avancé qu’on devait tenir pour miraculeux, le développement du Christianisme qui, s’il n’eût été destiné, par Dieu lui-même, à rénover le Monde et à sauver l’Humanité, eût été étouffé par l’indifférence à laquelle il se heurta à l’origine et par les persécutions qui tentèrent de l’accabler par la suite.
Je ne vois nullement ici « la main de Dieu ». Le Christianisme, comme, du reste, tout grand événement historique, arrivait à son heure : il n’aurait pu apparaître ni dix siècles avant, ni dix siècles après. Dix siècles plus tôt c’eût été trop tôt, et dix siècles plus tard c’eût été trop tard. Il est né au milieu et par suite de circonstances dont le concours l’appelait à naître et, si modestes qu’aient été les débuts du mouvement chrétien, si chancelant et fragile qu’il ait été au commencement, ce mouvement ne pouvait que vivre et se développer, parce qu’il trouvait, dans le sol où il jetait timidement et à l’aventure ses premières racines les éléments de croissance et de fécondité qui lui étaient nécessaires.
Lorsque, dans une succession de faits, on ne comprend pas l’enchaînement qui les rattache, c’est un procédé étrangement commode, que d’attribuer cet enchaînement à la Providence. Quand, reculant devant l’étude à poursuivre et la recherche à mener à bien, on se laisse aller à la paresse regrettable de l’esprit, c’est une simple lâcheté, à moins que ce ne soit un calcul, que de faire intervenir la sagesse divine dans les événements quelque peu touffus dont il s’agit de saisir l’évolution.
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Ne perdons pas notre temps à de tels jeux et de cette partie légendaire du Catholicisme mettons en pleine lumière l’imposture de l’Église ainsi que nous l’avons fait de sa partie dogmatique.
Résumons :
Dans ce Drame fabuleux, trois actes :
Premier acte : de la Création de l’Homme à la naissance du Rédempteur ;
Deuxième acte : La naissance, la vie, la mort, la résurrection et l’ascension du Sauveur ;
Troisième acte : Fondation de l’Église, son extension considérable, son alliance avec les Puissances temporelles, sa mission, ses enseignements, ses pouvoirs et son organisation.
De ces trois actes, celui qui m’intéresse le plus, le seul qui, à dire vrai, touche directement au sujet que je traite, c’est le troisième ; les deux premiers n’y figurent que comme accessoires.
Il est évident que le premier acte n’a qu’un but : engager l’action qui amène le second acte et le rend nécessaire.
Il est évident que si Dieu le Père n’avait pas été offensé, Adam et Ève n’auraient pas été expulsés du Paradis, ni poursuivis, de génération en génération, par la malédiction divine.
Il est évident que, sans cette malédiction et sa pérennité, la Rédemption n’aurait pas eu sa raison d’être. Le Père n’aurait pas envoyé son Fils sur la Terre ; celui-ci ne serait pas mort sur la Croix et, après sa résurrection, remonté au Ciel.
Il est évident que, sans le séjour de Jésus-Christ sur la Terre, l’Église n’eût pas été fondée, que Jésus n’aurait eu à lui transmettre ni ses enseignements, ni ses exemples, ni ses pouvoirs.
Il est évident que n’ayant reçu de Dieu aucune mission à accomplir ici-bas l’Église n’aurait pu se dire ni la dépositaire des Vérités révélées, ni la gardienne des Institutions divines, ni la chargée d’affaires de Dieu dans ce monde, ni la dispensatrice des Béatitudes éternelles.
Il est évident que, de l’enchaînement rigoureux de toutes les évidences qui précèdent, on peut conclure que les deux premières parties de la légende catholique n’ont pas d’autre fin que de tendre à justifier les affirmations mensongères de l’Église, à asseoir sa domination sur la Parole de Dieu, à conférer aux usurpations qu’elle appelle « ses Pouvoirs » un caractère surnaturel, divin, indiscutable ; toutes choses en quoi consiste la scandaleuse imposture dont ce livre fait la démonstration.
Ce qu’il y a de remarquable dans cette légende chrétienne c’est sa parfaite ordonnance ; on n’y trouve pas de ces lacunes qui rendent parfois difficiles à comprendre ces récits où le fantastique se mêle au réel ; on n’y rencontre pas de ces incohérences trop choquantes qui jettent le discrédit sur la légende tout entière. Il y en a, certes, de ces incohérences ; il y en a beaucoup, il y en a de fortes. Mais chacune se trouve enchâssée dans un ensemble si artistement arrangé et présenté que ces incohérences, si fortes qu’elles soient, ne font pas scandale. Chacune d’elles est comparable à une de ces phrases incidentes qui, grâce au contexte, passent à peu près inaperçues, alors que, en réalité, elles ont une signification réelle et importante.
Toutes les parties de cette légende sont étroitement liées les unes aux autres ; chacune d’elles fait suite régulièrement à celle qui la précède et amène logiquement celle qui la suit. Il n’en est pas une qui ne soit nécessaire, et il n’en est pas une qui ne se trouve juste à la place qu’elle doit occuper.
Vous connaissez ces jeux de construction destinés à amuser les enfants, tout en exerçant leur patience et en développant chez eux le sens de l’observation et le goût de l’ordre : trente, quarante, cinquante petits morceaux de bois, de tailles et de formes extrêmement variées dessinent, par exemple, un château. Chaque morceau de bois doit occuper une place ; cette place seule lui convient, c’est la sienne. Il ne s’emboîte, ne s’ajuste exactement qu’à cette place. Séparés, ces petits morceaux de bois ne disent rien à l’œil ; mais réunis, assemblés dans l’arrangement voulu, ils représentent très nettement un château.
Eh bien ! Toutes les parties de la légende chrétienne sont ces petits morceaux de bois : on les a rapprochés les uns des autres et chacun d’eux occupant la place qui lui convient et où il s’emboîte exactement, le tout — pas un morceau de bois n’est de trop et pas un ne manque — représente un château splendide aux imposantes proportions, au style superbe, à l’aspect majestueux : ce monument formidable c’est l’Église catholique, apostolique et romaine.
Monument dont chaque pierre est un mensonge. Chaque pierre, exactement placée à l’endroit même qu’elle doit occuper, apporte aux pierres voisines une solidité égale à celle qu’elle en reçoit elle-même ; et, de même que l’édifice doit de se maintenir en équilibre, depuis des siècles, malgré vents et tempêtes, à cette somme d’appuis mutuels dont chaque pierre est une unité, de même l’imposture que nous étudions doit de résister, depuis des siècles, aux assauts qui lui sont livrés, à cette somme de secours mutuels dont chaque mensonge est une unité.
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Quand j’ai précisé le sens que je donne au mot « Imposture », j’ai eu soin de spécifier que l’imposture est faite de deux éléments constitutifs, c’est-à-dire essentiels : le premier, un certain nombre de mensonges, savamment combinés, adroitement associés ; le second, un but unique en vue duquel tous ces mensonges sont groupés. C’est de la totalité de ces mensonges se proposant une fin commune que découle la Doctrine qui, elle-même, constitue l’imposture.
Dans la partie légendaire de la Doctrine catholique, comme dans sa partie dogmatique, les mensonges foisonnent ; ils se combinent adroitement ; enfin ils concourent tous au même but : la Domination de l’Église. Toutes les conditions qu’implique l’Imposture sont donc réunies ici, ce n’est pas contestable.
Un peu plus haut, par le moyen d’une cascade d’évidences, qui a dû frapper l’attention du lecteur, j’ai montré l’enchaînement qui relie rigoureusement l’une à l’autre les trois parties de la légende, et, dans chacune de ces parties, les fractions entr’elles. J’ai fait toucher du doigt le lien qui rattache les uns aux autres les fragments de la légende ; enfin, j’ai clairement prouvé que tous les mensonges dont cette légende est faite ont pour but unique et commun : le triomphe sur cette terré de l’Église catholique.
J’estime, franchement, que je pourrais me dispenser d’insister ; mais comme c’est ici que nous touchons au fond même de la question à l’étude ; comme il s’agit, pour moi, de justifier, quelque sévère qu’il soit, le terme « Imposture » appliqué à la Religion et à l’Église catholiques ; comme j’ai à cœur d’établir irréfutablement que cette expression est celle qui sied — et la seule qui soit propre — je veux reprendre quelques traits de cette partie légendaire, revenir sur quelques-unes de ses particularités, pour enfoncer plus profondément la clou de ma démonstration.
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