La Presse Anarchiste

L’imposture religieuse

[|(Suite)|]

Je n’en suis encore qu’à la par­tie dog­ma­tique, stric­te­ment méta­phy­sique et spé­cu­la­tive de la reli­gion catho­lique et déjà l’Imposture nous est appa­rue, fla­grante, indéniable.

Ce n’est qu’un com­men­ce­ment ; nous allons la voir s’étaler, se gon­fler, prendre son déve­lop­pe­ment com­plet dans la par­tie légen­daire du Chris­tia­nisme pom­peu­se­ment qua­li­fiée par cer­tains thu­ri­fé­raires, d’historique.

L’Église a pro­di­gué ses atten­tions à cette légende ; elle l’a tra­vaillée, culti­vée, embel­lie avec un soin jaloux et c’est incon­tes­ta­ble­ment à cette par­tie du Dogme chré­tien qu’elle est rede­vable de ses plus écla­tants suc­cès et de son pro­di­gieux essor.

L’Église pos­sède à un degré supé­rieur le sens péné­trant de ce qui plaît à la nature humaine ; elle a la connais­sance appro­fon­die de ce qui frappe les ima­gi­na­tions ; elle a pous­sé très loin et à l’aide de moyens excep­tion­nel­le­ment favo­rables et qui lui sont propres, la péné­tra­tion des sen­ti­ments qui agitent, des émo­tions qui étreignent, des pas­sions qui bou­le­versent les cœurs. Aus­si a‑t-elle devi­né, pres­sen­ti que, pour faire la conquête de l’Humanité et pour n’avoir pas à défendre inces­sam­ment le béné­fice de cette conquête une fois réa­li­sée, il ne suf­fi­sait pas de pro­po­ser ou d’imposer à la cré­du­li­té des foules, la foi en un Dieu per­du dans l’épaisseur des nuées, entou­ré de Gloire, de Puis­sance et de Majes­té, incom­pré­hen­sible et mys­té­rieux. Artiste génial ayant conçu et créé l’Univers, Géo­mètre pro­di­gieux et incom­pa­rable Archi­tecte ayant tout mer­veilleu­se­ment cal­cu­lé, mesu­ré, conso­li­dé, équi­li­bré. Elle a com­pris que cette Divi­ni­té : froide, impas­sible, hau­taine, ter­rible, impla­cable était par­fai­te­ment sus­cep­tible d’inspirer le res­pect, la crainte ou l’admiration mais tout à fait inca­pable de pro­vo­quer l’enthousiasme et cet élan spon­ta­né, irré­sis­tible qui entraîne, sou­lève et accom­plit des merveilles. 

L’Église a pré­su­mé que, pour en arri­ver à cet élan qui déchaîne l’enthousiasme, qui sus­cite l’esprit de sacri­fice, qui trans­porte la volon­té et l’arme d’énergie excep­tion­nelle, il était néces­saire de ne s’en pas tenir au simple rap­pro­che­ment entre Dieu et l’Homme, que laisse entre­voir, qu’affirme avec timi­di­té la par­tie spé­cu­la­tive de Sa Doctrine.

Elle a com­pris qu’il était indis­pen­sable de faire des­cendre Dieu sur la terre, en chair et en os, d’en faire en tous points un homme comme les autres : nais­sant, vivant, mou­rant ; de mêler sa vie à celle de ses contem­po­rains, de le sou­mettre aux besoins, aux néces­si­tés, aux souf­frances, aux pas­sions, aux épreuves com­munes à tous les mor­tels, de l’entourer d’une famille, d’amis et d’ennemis, bref, d’en faire une moda­li­té pas­sa­gère, réelle et vivante, de l’espèce humaine.

Elle a com­pris que l’Homme-Dieu devait être le per­son­nage cen­tral d’un drame sans pareil, mais que devant lais­ser de son pas­sage ici-bas des traces inef­fa­çables et d’impérissables sou­ve­nirs, il devait mul­ti­plier sous ses pas les miracles, que de ses lèvres devaient tom­ber d’inoubliables ensei­gne­ments, que de sa vie devaient résul­ter de frap­pants exemples, qu’en un mot, ce Dieu fait homme, cet homme qui sans ces­ser un seul ins­tant d’être Dieu ne ces­sait pas une seule minute d’être Homme, devait être, pour tous, le type, le modèle de toutes les ver­tus, ain­si que l’incarnation de toutes les détresses et de toutes les résignations.

La légende chré­tienne est connue de tous. Non seule­ment elle a fait le tour du monde, mais, dans nos pays du moins, elle a reten­ti du haut de toutes les chaires ; elle a été ensei­gnée dans toutes les familles et toutes les écoles ; elle a été vul­ga­ri­sée au sein de toutes les classes de la socié­té ; elle a été expo­sée, com­men­tée, exal­tée dans tous les livres, sur toutes les scènes, par tous les Arts ; elle a, durant des siècles, tout enva­hi, tout péné­tré, tout absorbé.

Adam, Eve, Joseph, Marie, Jésus, Pierre, Jean, Judas, les Mar­tyrs, les Saints, les Papes, il n’est pas un de ces per­son­nages, tenant dans la tra­gé­die légen­daire un emploi de quelque relief, qui ne soit connu : aimé ou haï, véné­ré ou mépri­sé, de toutes façons populaire.

Bien que tout le monde connaisse cette légende, il faut que je la rap­pelle briè­ve­ment. En voi­ci le résumé :

[|* * * *|]

Quand Dieu eût ache­vé l’œuvre colos­sale et mira­cu­leuse de la Créa­tion, Il vou­lut, pour mettre la der­nière main à son ouvrage et, en quelque sorte, le cou­ron­ner, créer un Être qui en serait le Roi.

Il prit quelque peu de limon et, l’animant de son souffle, il créa l’Homme, son chef‑d’œuvre.

Il le pla­ça dans un jar­din magni­fique où tout était enchan­te­ment, splen­deur et ravis­se­ment, Para­dis, Éden, séjour d’inexprimables délices, où Adam, le pre­mier Homme, le père de toute l’Espèce, ne devait connaître que des féli­ci­tés sans mélange.

Pour com­plé­ter son œuvre, Dieu son­gea à don­ner une com­pagne à Adam. Pen­dant que celui-ci dor­mait, il lui arra­cha une côte dont il fit Ève : la pre­mière femme, la mère de l’Espèce.

Dans le Para­dis, Adam et Ève goû­taient un bon­heur par­fait, en état d’innocence, igno­rant toute mau­vaise pen­sée, à l’abri de toute ten­ta­tion dangereuse.

Ils vivaient enfin en toute liber­té, Dieu n’avait mis à cette liber­té qu’une limite ; Il n’avait inter­dit à nos parents qu’une seule chose : Il leur avait défen­du de goû­ter au fruit de l’arbre de la Science du Bien et du Mal.

Hélas ! Sous la forme du Ser­pent, le Démon — c’est-à-dire l’Esprit du Mal — se glis­sa près d’Ève, l’incita à cueillir le fruit de l’arbre défen­du, et la pous­sa à le par­ta­ger avec Adam.

Ève céda à la ten­ta­tion et entraî­na Adam dans sa faute.

Ter­rible, écla­tante fut la colère de Dieu, outra­gé à la lois par la déso­béis­sance d’Adam et d’Ève et par l’impardonnable ingra­ti­tude dont cette faute était le témoignage.

Il ordon­na à l’Archange St-Michel de chas­ser immé­dia­te­ment Adam et Ève du Para­dis, après leur avoir signi­fié son arrêt et les avoir frap­pés de sa malédiction.

« Allez, ingrats. Dieu vous chasse du royaume dont sa Bon­té avait fait votre bien­heu­reux séjour. Désor­mais vous gagne­rez votre pain à la sueur de votre front. Vous serez expo­sés au froid, à la faim, à la mala­die, à la mort ; et la malé­dic­tion divine vous pour­sui­vra de géné­ra­tions en générations. »

Alors com­men­ça, pour Adam et Ève, pour leurs enfants, leurs petits-enfants et toutes les géné­ra­tions qui, durant qua­rante siècles se suc­cé­dèrent, une exis­tence de pri­va­tions et de souf­frances, une vie incer­taine, misé­rable, dou­lou­reuse, preuve irré­cu­sable que l’espèce humaine conti­nuait à être acca­blée sous les coups de la malé­dic­tion divine et que le cour­roux du Créa­teur outra­gé ne désar­mait pas.

Mais l’indestructible Espé­rance per­sis­tait clans les pro­fon­deurs de l’âme humaine et, sous la forme mira­cu­leuse de l’inspiration divine dont les Pro­phètes avaient la mis­sion de trans­mettre à leurs contem­po­rains le ras­su­rant Mes­sage, l’Humanité était pro­gres­si­ve­ment ame­née à dési­rer, à espé­rer, à escomp­ter la venue sur la terre d’un Rédemp­teur char­gé d’apaiser le Divin cour­roux, d’apporter aux Hommes le Salut et de leur ouvrir à nou­veau les portes du Paradis.

Ces pré­dic­tions devinrent de plus en plus pré­cises, à mesure que se rap­pro­chait l’époque de leur réalisation.

Celle-ci vint enfin et, pré­cé­dé de Jean Bap­tiste, le pré­cur­seur, Jésus fit son appa­ri­tion sur la terre. 

Ici se ter­mine la pre­mière par­tie de la légende, celle qu’on pour­rait appe­ler le pre­mier acte du Drame.

[|* * * *|]

C’est la vie de Jésus, du Christ, de l’Oint du Sei­gneur, du Fils de Dieu sur la terre, sa vie depuis sa nais­sance jusqu’à son ascen­sion au Ciel, qui consti­tue la deuxième par­tie de la Légende, le deuxième acte du Drame.

Toute la puis­sance d’émotion dont le Catho­li­cisme est capable se donne ren­dez-vous dans cette deuxième par­tie de la légende ; aus­si abonde-t-elle en récits émou­vants, en épi­sodes tou­chants, en des­crip­tions impres­sion­nantes, en péri­pé­ties dra­ma­tiques, en inci­dents pathé­tiques, sou­le­vant tour à tour l’indignation, la pitié, l’amour et la reconnaissance.

Tout le côté saillant de l’existence de Jésus-Christ sur la Terre est figu­ré par les deux extrêmes qui la limitent : nais­sance et mort, ber­ceau et croix, étable et gibet. Nais­sance pauvre et humble, mort dou­lou­reuse et infa­mante. Ber­ceau de paille, sym­bole d’indigence, croix de bois, emblème d’ignominie. Étable, décor obs­cur, fait pour la nais­sance de moins qu’un homme : un ani­mal ; gibet, décor d’expiation, fait pour le châ­ti­ment de moins qu’un homme : un bandit.

Tout ce qui nous est rap­por­té de la vie de Jésus, en plus de l’avènement et du sup­plice, n’est que de secon­daire impor­tance et d’intérêt anec­do­tique : fuite en Égypte, enfance labo­rieuse de Jésus entre Joseph et Marie, son ado­les­cence pleine de sagesse ; sa jeu­nesse consa­crée au tra­vail manuel ; puis ses voyages, ses pré­di­ca­tions, les miracles semés sur sa route, les ensei­gne­ments tom­bés de ses lèvres, le recru­te­ment de ses Apôtres, la conver­sion de ses pre­miers dis­ciples. Ce sont là, petits évé­ne­ments des­ti­nés uni­que­ment à com­bler le vide qui sépare l’étable du gibet, la nais­sance de la mort.

Les larmes d’apitoiement pro­fond, d’émotion sin­cère, qui ont été arra­chées depuis, aux cen­taines de mil­lions de chré­tiens qui ont peu­plé notre globe, suf­fi­raient, réunies, à for­mer un Océan.

Mort, Jésus-Christ sort vivant du sépulcre, et se fait recon­naître par les Apôtres. Il vit au milieu d’eux pen­dant qua­rante jours, leur pro­di­guant ses pré­ceptes et ses recom­man­da­tions ; les met­tant en pos­ses­sion des ins­truc­tions qu’ils devront obser­ver et trans­mettre à leurs conti­nua­teurs ; leur délé­guant ses pou­voirs avec man­dat de les trans­mettre à leurs suc­ces­seurs ; accom­plis­sant encore des pro­diges et mar­quant chaque jour d’une parole, d’un exemple, d’un sujet d’édification ; ins­ti­tuant, au cours de l’inoubliable Cène, le miracle de l’Eucharistie par lequel, chaque jour, Il des­cen­dra sur l’Autel en chair et en os : « Pre­nez ; man­gez : ceci est mon corps ; buvez : ceci est mon sang ! » à la voix du Prêtre, renou­ve­lant ain­si, jusqu’à la fin du monde, le sacri­fice par lequel le Fils de Dieu a rache­té l’Humanité.

Car le pas­sage de Jésus-Christ sur la terre n’a pas été seule­ment un ensei­gne­ment un exemple, un modèle, une source de miracles et de révé­la­tions ; il a été encore, il a été sur­tout une expiation.

Dieu le Fils s’est offert en holo­causte à Dieu le Père afin d’effacer l’offense faite à celui-ci par une répa­ra­tion pro­por­tion­née à cette offense. L’offense faite à Dieu ne pou­vait être effa­cée que par l’expiation impo­sée à une vic­time Divine. Cette expia­tion a eu lieu ; elle a été consom­mée par Jésus expi­rant sur la croix, du sup­plice le plus igno­mi­nieux et de la mort la plus atroce.

« Paix, désor­mais sur la Terre, aux Hommes de bonne volon­té. La récon­ci­lia­tion s’est opé­rée entre le Ciel et la Terre. Les portes de « l’Éternité bien­heu­reuse ont ces­sé d’être fer­mées aux des­cen­dants d’Adam et Ève. L’œuvre de Rédemp­tion si long­temps annon­cée par les Pro­phètes si impa­tiem­ment atten­due, si ardem­ment dési­rée, est enfin cou­ron­née. Gloire au Sauveur ! »

Dans cette deuxième par­tie de la légende — qui se ter­mine par l’ascension de Jésus-Christ au Ciel — ce qui frappe, ce qui reste constam­ment au pre­mier plan, c’est le soin dont le Catho­li­cisme ne se dépar­tit pas un ins­tant, avec lequel il évoque aux yeux de ses adeptes et rap­pelle à leurs sou­ve­nirs, l’image d’un Dieu accep­tant, par pur amour, les condi­tions de vie les moins enviables, subis­sant volon­tai­re­ment les humi­lia­tions et les sar­casmes, s’exposant aux injures et aux coups, suc­com­bant enfin au milieu des plus cruels tour­ments, frap­pé de la condam­na­tion la plus ignominieuse.

Quand j’en aurai fini avec l’exposé de la légende dont il me reste encore à résu­mer la troi­sième et der­nière par­tie, j’expliquerai et on com­pren­dra pour­quoi l’Église Catho­lique a tant insis­té sur l’abîme de dou­leurs, de misères et de déchéances que fut, d’après elle, la vie de son fon­da­teur et on embras­se­ra dans toute leur éten­due alors, les incroyables pro­por­tions de l’Imposture dont je parle.

[|* * * *|]

La troi­sième par­tie de la Légende, le troi­sième acte du Drame, com­mence avec la fon­da­tion de l’Église et se pour­suit avec le déve­lop­pe­ment his­to­rique de celle-ci.

Si le Catho­li­cisme a consa­cré à la deuxième par­tie de la légende toutes les res­sources émo­tives dont il dis­pose, il a dépen­sé dans cette troi­sième par­tie tous les tré­sors de finesse, de sub­ti­li­té, de sou­plesse, de ruse, de diplo­ma­tie, d’artifice, de stra­té­gie et… je lâche le mot car il n’est pas trop fort et ne dépasse pas ma pen­sée, de four­be­rie, qu’il possède.

Ce troi­sième acte du Drame est un Monu­ment de patience et d’artifice ; mais il est plus encore un chef‑d’œuvre de dis­si­mu­la­tion. Il est un modèle de finesse et de diplo­ma­tie ; mais il est, plus encore, un pro­dige d’hypocrisie. Je ne tar­de­rai pas à jus­ti­fier mes dires, en appor­tant la preuve pal­pable, déci­sive des accu­sa­tions que je for­mule contre l’Église Catholique.

Mais ter­mi­nons d’abord le résu­mé de la légende.

Jésus a quit­té la Terre ; mais Il y a lais­sé des Apôtres char­gés de ses Pou­voirs, des Dis­ciples, pour­vus de ses Ensei­gne­ments, des conti­nua­teurs ayant ses Ins­truc­tions tou­chant la fon­da­tion et le déve­lop­pe­ment de son Église.

Ils se mettent cou­ra­geu­se­ment à l’œuvre. Le sort réser­vé aux dis­ciples ne dif­fère pas de celui qui la été infli­gé au Maître : c’est la raille­rie, le ridi­cule, l’insulte et, par sur­croît, la condam­na­tion, le sup­plice, la mort.

Temps héroïques où, par mil­liers et mil­liers, les Confes­seurs de la Foi Nou­velle s’offrirent joyeu­se­ment à la tor­ture et firent allè­gre­ment le sacri­fice de leur vie, plu­tôt que de renier ou sim­ple­ment de taire leurs croyances !

Mais voi­ci que les âges héroïques ont pris fin ; la semence des Mar­tyrs a por­té ses fruits ; elle a cou­vert le sol de mois­sons abon­dantes. Las de per­sé­cu­ter et redou­tant de frap­per des enne­mis deve­nus nom­breux et puis­sants, les oppres­seurs ont crû pré­fé­rable de vivre en bonne intel­li­gence avec les conti­nua­teurs du Christ et d’admettre dans leurs rangs les digni­taires de son Église.

Dès cette époque, la légende entre dans une phase par­ti­cu­lière et his­to­rique. Le moment approche, où, oubliant de plus en plus, la parole du Maître : « mon Royaume n’est pas de ce monde », l’Église catho­lique par le tru­che­ment de ses Papes et de ses Pré­lats, va entrer en négo­cia­tions avec les dépo­si­taires de la force tem­po­relle et des pou­voirs terrestres.

Le catho­li­cisme insiste dès cette époque sur l’ordre que lui a inti­mé le Christ d’exercer sur les âmes un empire abso­lu ; il insiste sur le conseil qui lui a été don­né d’établir par­tout l’entente et l’appui réci­proques entre les rois de la terre et le Roi du Ciel, en ren­dant à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu.

Il se fau­file petit à petit dans la consti­tu­tion poli­tique des États qui sont à cette époque de monar­chie abso­lue. L’Église enseigne que tous ceux qui, sur la terre, détiennent une par­celle de l’Autorité la tiennent de Dieu. Elle affirme que Dieu est la source unique de tout Pou­voir légi­time et res­pec­table et que, n’étant qu’une repro­duc­tion en petit de l’Univers, la Terre est gou­ver­née par ces Pro­vi­dences minus­cules que sont les Monarques, comme l’Univers est gou­ver­né par le Monarque suprême : Dieu.

Se mêlant d’une façon plus intime à la vie des peuples, l’Église déclare que l’empire qu’elle a reçu de Dieu la mis­sion sublime d’exercer sou­ve­rai­ne­ment sur les âmes ne petit pas plus être sépa­ré de l’empire à exer­cer sur les corps qu’il n’est pos­sible de sépa­rer ici-bas les corps des âmes. Elle, réclame en consé­quence sa part d’Autorité tem­po­relle et la reven­dique d’autant plus consi­dé­rable qu’elle place l’âme bien au-des­sus du corps et consi­dère que le pou­voir tem­po­rel doit être subor­don­né au pou­voir spi­ri­tuel dans la mesure où la matière est subor­don­née à l’esprit.

Elle n’hésite pas à pro­cla­mer que la vie ter­restre n’est que la pré­face ou l’introduction à la Vie céleste, qu’elle est une pré­pa­ra­tion à celle-ci et qu’il est impos­sible de pré­pa­rer, comme il convient, le Royaume de Dieu dans l’au-delà sans l’avoir éta­bli le plus pos­sible ici-bas.

Quant aux pou­voirs confé­rés par le Christ à son Église, ils sont presque divins. Voyez plutôt :

« Nul ne sera sau­vé, s’il n’a été, par les eaux puri­fi­ca­trices du bap­tême lavé du pêché ori­gi­nal. Le Bap­tême est le sacre­ment qui donne accès dans l’Église et de l’homme fait le Chrétien.

« Nul ne sera sau­vé qui n’aura pas stric­te­ment obser­vé les Com­man­de­ments de l’Église, au même titre que les Com­man­de­ments de Dieu.

« Quelque soit l’énormité du péché dont il s’est ren­du cou­pable, le Catho­lique peut en rece­voir la rémis­sion par l’absolution au tri­bu­nal de la Péni­tence, par le Prêtre à qui le pécheur fait l’aveu com­plet et sin­cère de ses fautes, de ses crimes, tient de l’église, c’est-à-dire de Dieu lui-même le droit de lier et de délier, au Ciel et sur la Terre.

« Ne sont hon­nêtes et pures que les rela­tions intimes entre hommes et femmes qui ont été unies par le Sacre­ment du Mariage. Toute union qui n’a pas été consa­crée par l’Église est cri­mi­nelle au même titre que le concubinage.

« L’Église est consti­tuée par la tota­li­té des fidèles qui ont reçu le bap­tême. Elle est pla­cée sous l’autorité sou­ve­raine du Pape, le vicaire de Jésus-Christ sur la Terre, le suc­ces­seur de St-Pierre, pierre angu­laire de l’Église. Le Pape est élu par une assem­blée des princes de l’Église, les Car­di­naux réunis en Conclave.

« Dépo­si­taire de la Véri­té éter­nelle, le Pape, quand il parle ex cathe­dra, quand il s’exprime comme chef suprême de l’Église sur des matières qui touchent direc­te­ment au Dogme, est infaillible.

« Au-des­sous du Pape et au-des­sus de la mul­ti­tude des simples fidèles s’interpose toute la hié­rar­chie des pou­voirs ecclésiastiques.

« L’Église catho­lique est consti­tuée en dio­cèses que dirigent les arche­vêques et les évêques et les dio­cèses sont orga­ni­sés en paroisses à la tête des­quelles se trouvent les curés et leurs vicaires.

« Les Catho­liques qui se sentent appe­lés par une voca­tion spé­ciale à embras­ser la Vie reli­gieuse, peuvent faire choix de l’Ordre ou de la Congré­ga­tion dont ils dési­rent faire par­tie. Ils doivent ensuite se confor­mer non seule­ment à toutes les obli­ga­tions catho­liques, mais aux pres­crip­tions de la règle à laquelle ils appartiennent. »

[|* * * *|]

J’ai ter­mi­né ce résu­mé de la légende catho­lique et de l’organisation de l’Église. Je sens com­bien cet abré­gé, limi­té aux grandes lignes, est insuf­fi­sant à don­ner une idée même légère de l’impression que ce récit fabu­leux ne man­qua pas de pro­duire sur le cour et l’imagination de presque tous ceux à la connais­sance do qui il parvint.

Pour mesu­rer l’étendue et l’intensité de cette impres­sion, il faut, non seule­ment, se remé­mo­rer les innom­brables péri­pé­ties de ce Drame gigan­tesque, la qua­li­té des héros qu’il met en scène, les situa­tions pathé­tiques, dont il four­mille et les émo­tions déli­rantes, dont il déborde, mais encore l’époque à laquelle se situe la par­tie pal­pi­tante de ce drame : la deuxième, celle qui domine les deux autres et qui, tel le cœur, pla­cé entre la tête et les pieds, dis­tri­bue par­tout le sang, com­mu­nique la vie aux deux autres actes.

Il faut se sou­ve­nir que cette époque fut pleine d’obscurité, sorte de nuit pro­fonde et longue jetée entre le cré­pus­cule des civi­li­sa­tions antiques dis­pa­rues ou en pleine déca­dence et, par consé­quent à la veille de dis­pa­raître, et l’aurore des civi­li­sa­tions à naître et dont les pre­miers élé­ments se pro­fi­laient indé­cis et trem­blants, sur l’avenir.

Cer­tains esprits, qui veulent aper­ce­voir en toutes choses une inter­ven­tion pro­vi­den­tielle enfan­tant le miracle, ont avan­cé qu’on devait tenir pour mira­cu­leux, le déve­lop­pe­ment du Chris­tia­nisme qui, s’il n’eût été des­ti­né, par Dieu lui-même, à réno­ver le Monde et à sau­ver l’Humanité, eût été étouf­fé par l’indifférence à laquelle il se heur­ta à l’origine et par les per­sé­cu­tions qui ten­tèrent de l’accabler par la suite.

Je ne vois nul­le­ment ici « la main de Dieu ». Le Chris­tia­nisme, comme, du reste, tout grand évé­ne­ment his­to­rique, arri­vait à son heure : il n’aurait pu appa­raître ni dix siècles avant, ni dix siècles après. Dix siècles plus tôt c’eût été trop tôt, et dix siècles plus tard c’eût été trop tard. Il est né au milieu et par suite de cir­cons­tances dont le concours l’appelait à naître et, si modestes qu’aient été les débuts du mou­ve­ment chré­tien, si chan­ce­lant et fra­gile qu’il ait été au com­men­ce­ment, ce mou­ve­ment ne pou­vait que vivre et se déve­lop­per, parce qu’il trou­vait, dans le sol où il jetait timi­de­ment et à l’aventure ses pre­mières racines les élé­ments de crois­sance et de fécon­di­té qui lui étaient nécessaires.

Lorsque, dans une suc­ces­sion de faits, on ne com­prend pas l’enchaînement qui les rat­tache, c’est un pro­cé­dé étran­ge­ment com­mode, que d’attribuer cet enchaî­ne­ment à la Pro­vi­dence. Quand, recu­lant devant l’étude à pour­suivre et la recherche à mener à bien, on se laisse aller à la paresse regret­table de l’esprit, c’est une simple lâche­té, à moins que ce ne soit un cal­cul, que de faire inter­ve­nir la sagesse divine dans les évé­ne­ments quelque peu touf­fus dont il s’agit de sai­sir l’évolution.

[|* * * *|]

Ne per­dons pas notre temps à de tels jeux et de cette par­tie légen­daire du Catho­li­cisme met­tons en pleine lumière l’imposture de l’Église ain­si que nous l’avons fait de sa par­tie dogmatique.

Résu­mons :

Dans ce Drame fabu­leux, trois actes :

Pre­mier acte : de la Créa­tion de l’Homme à la nais­sance du Rédempteur ;

Deuxième acte : La nais­sance, la vie, la mort, la résur­rec­tion et l’ascension du Sauveur ;

Troi­sième acte : Fon­da­tion de l’Église, son exten­sion consi­dé­rable, son alliance avec les Puis­sances tem­po­relles, sa mis­sion, ses ensei­gne­ments, ses pou­voirs et son organisation.

De ces trois actes, celui qui m’intéresse le plus, le seul qui, à dire vrai, touche direc­te­ment au sujet que je traite, c’est le troi­sième ; les deux pre­miers n’y figurent que comme accessoires.

Il est évident que le pre­mier acte n’a qu’un but : enga­ger l’action qui amène le second acte et le rend nécessaire.

Il est évident que si Dieu le Père n’avait pas été offen­sé, Adam et Ève n’auraient pas été expul­sés du Para­dis, ni pour­sui­vis, de géné­ra­tion en géné­ra­tion, par la malé­dic­tion divine.

Il est évident que, sans cette malé­dic­tion et sa péren­ni­té, la Rédemp­tion n’aurait pas eu sa rai­son d’être. Le Père n’aurait pas envoyé son Fils sur la Terre ; celui-ci ne serait pas mort sur la Croix et, après sa résur­rec­tion, remon­té au Ciel.

Il est évident que, sans le séjour de Jésus-Christ sur la Terre, l’Église n’eût pas été fon­dée, que Jésus n’aurait eu à lui trans­mettre ni ses ensei­gne­ments, ni ses exemples, ni ses pouvoirs.

Il est évident que n’ayant reçu de Dieu aucune mis­sion à accom­plir ici-bas l’Église n’aurait pu se dire ni la dépo­si­taire des Véri­tés révé­lées, ni la gar­dienne des Ins­ti­tu­tions divines, ni la char­gée d’affaires de Dieu dans ce monde, ni la dis­pen­sa­trice des Béa­ti­tudes éternelles.

Il est évident que, de l’enchaînement rigou­reux de toutes les évi­dences qui pré­cèdent, on peut conclure que les deux pre­mières par­ties de la légende catho­lique n’ont pas d’autre fin que de tendre à jus­ti­fier les affir­ma­tions men­son­gères de l’Église, à asseoir sa domi­na­tion sur la Parole de Dieu, à confé­rer aux usur­pa­tions qu’elle appelle « ses Pou­voirs » un carac­tère sur­na­tu­rel, divin, indis­cu­table ; toutes choses en quoi consiste la scan­da­leuse impos­ture dont ce livre fait la démonstration.

Ce qu’il y a de remar­quable dans cette légende chré­tienne c’est sa par­faite ordon­nance ; on n’y trouve pas de ces lacunes qui rendent par­fois dif­fi­ciles à com­prendre ces récits où le fan­tas­tique se mêle au réel ; on n’y ren­contre pas de ces inco­hé­rences trop cho­quantes qui jettent le dis­cré­dit sur la légende tout entière. Il y en a, certes, de ces inco­hé­rences ; il y en a beau­coup, il y en a de fortes. Mais cha­cune se trouve enchâs­sée dans un ensemble si artis­te­ment arran­gé et pré­sen­té que ces inco­hé­rences, si fortes qu’elles soient, ne font pas scan­dale. Cha­cune d’elles est com­pa­rable à une de ces phrases inci­dentes qui, grâce au contexte, passent à peu près inaper­çues, alors que, en réa­li­té, elles ont une signi­fi­ca­tion réelle et importante.

Toutes les par­ties de cette légende sont étroi­te­ment liées les unes aux autres ; cha­cune d’elles fait suite régu­liè­re­ment à celle qui la pré­cède et amène logi­que­ment celle qui la suit. Il n’en est pas une qui ne soit néces­saire, et il n’en est pas une qui ne se trouve juste à la place qu’elle doit occuper.

Vous connais­sez ces jeux de construc­tion des­ti­nés à amu­ser les enfants, tout en exer­çant leur patience et en déve­lop­pant chez eux le sens de l’observation et le goût de l’ordre : trente, qua­rante, cin­quante petits mor­ceaux de bois, de tailles et de formes extrê­me­ment variées des­sinent, par exemple, un châ­teau. Chaque mor­ceau de bois doit occu­per une place ; cette place seule lui convient, c’est la sienne. Il ne s’emboîte, ne s’ajuste exac­te­ment qu’à cette place. Sépa­rés, ces petits mor­ceaux de bois ne disent rien à l’œil ; mais réunis, assem­blés dans l’arrangement vou­lu, ils repré­sentent très net­te­ment un château.

Eh bien ! Toutes les par­ties de la légende chré­tienne sont ces petits mor­ceaux de bois : on les a rap­pro­chés les uns des autres et cha­cun d’eux occu­pant la place qui lui convient et où il s’emboîte exac­te­ment, le tout — pas un mor­ceau de bois n’est de trop et pas un ne manque — repré­sente un châ­teau splen­dide aux impo­santes pro­por­tions, au style superbe, à l’aspect majes­tueux : ce monu­ment for­mi­dable c’est l’Église catho­lique, apos­to­lique et romaine.

Monu­ment dont chaque pierre est un men­songe. Chaque pierre, exac­te­ment pla­cée à l’endroit même qu’elle doit occu­per, apporte aux pierres voi­sines une soli­di­té égale à celle qu’elle en reçoit elle-même ; et, de même que l’édifice doit de se main­te­nir en équi­libre, depuis des siècles, mal­gré vents et tem­pêtes, à cette somme d’appuis mutuels dont chaque pierre est une uni­té, de même l’imposture que nous étu­dions doit de résis­ter, depuis des siècles, aux assauts qui lui sont livrés, à cette somme de secours mutuels dont chaque men­songe est une unité.

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Quand j’ai pré­ci­sé le sens que je donne au mot « Impos­ture », j’ai eu soin de spé­ci­fier que l’imposture est faite de deux élé­ments consti­tu­tifs, c’est-à-dire essen­tiels : le pre­mier, un cer­tain nombre de men­songes, savam­ment com­bi­nés, adroi­te­ment asso­ciés ; le second, un but unique en vue duquel tous ces men­songes sont grou­pés. C’est de la tota­li­té de ces men­songes se pro­po­sant une fin com­mune que découle la Doc­trine qui, elle-même, consti­tue l’imposture.

Dans la par­tie légen­daire de la Doc­trine catho­lique, comme dans sa par­tie dog­ma­tique, les men­songes foi­sonnent ; ils se com­binent adroi­te­ment ; enfin ils concourent tous au même but : la Domi­na­tion de l’Église. Toutes les condi­tions qu’implique l’Impos­ture sont donc réunies ici, ce n’est pas contestable.

Un peu plus haut, par le moyen d’une cas­cade d’évi­dences, qui a dû frap­per l’attention du lec­teur, j’ai mon­tré l’enchaînement qui relie rigou­reu­se­ment l’une à l’autre les trois par­ties de la légende, et, dans cha­cune de ces par­ties, les frac­tions entr’elles. J’ai fait tou­cher du doigt le lien qui rat­tache les uns aux autres les frag­ments de la légende ; enfin, j’ai clai­re­ment prou­vé que tous les men­songes dont cette légende est faite ont pour but unique et com­mun : le triomphe sur cette ter­ré de l’Église catholique.

J’estime, fran­che­ment, que je pour­rais me dis­pen­ser d’insister ; mais comme c’est ici que nous tou­chons au fond même de la ques­tion à l’étude ; comme il s’agit, pour moi, de jus­ti­fier, quelque sévère qu’il soit, le terme « Impos­ture » appli­qué à la Reli­gion et à l’Église catho­liques ; comme j’ai à cœur d’établir irré­fu­ta­ble­ment que cette expres­sion est celle qui sied — et la seule qui soit propre — je veux reprendre quelques traits de cette par­tie légen­daire, reve­nir sur quelques-unes de ses par­ti­cu­la­ri­tés, pour enfon­cer plus pro­fon­dé­ment la clou de ma démonstration.

[/​Sébastien Faure./​]

La Presse Anarchiste