La Presse Anarchiste

Revue des Journaux

Le vote des femmes

Le fémi­nisme est à l’ordre du jour. Des comi­tés s’agitent. Dans les clubs, des voix de femmes, de plus en plus nom­breuses, reven­diquent les « droits » jusqu’ici réser­vés au sexe laid.

Avo­cates, doc­to­resses, femmes de lettres, poètes, voire pro­fes­seurs d’ésotérisme… La facul­té d’exercer l’une ou l’autre de ces pro­fes­sions dites libé­rales ne suf­fit plus à cer­taines de ces dames qui veulent aller jusqu’au bout et imi­ter l’homme dans ce qu’il fait de plus incon­si­dé­ré. Elles veulent voter. D’innombrables jour­naux ont ouvert des enquêtes sur ce sujet pal­pi­tant. Des hommes poli­tiques se sont pro­non­cés pour, d’autres contre.

Un grand débat à mis aux prises les vieux far­ceurs du Sénat.

Je prends dans l’Humanité cet « argu­ment solide » d’un séna­teur nom­mé Louis Mar­tin, par­ti­san du vote des femmes :

La crise de la nata­li­té, dit l’orateur, n’existe pas dans les pays où la femme vote, la Nou­velle-Zélande, notam­ment, où la mor­ta­li­té infan­tile est la plus faible. La France, où elle ne vote pas, perd chaque année 150.000 tuber­cu­leux ; elle a per­du, depuis 1870, des mil­lions d’enfants. L’Angleterre et la Nor­vège, où elle vote, ont réduit leur mor­ta­li­té de 50 pour cent.

Pour­tant, les séna­teurs, à vingt voix de majo­ri­té, ont décla­ré que cette ques­tion ne les inté­res­sait pas, ce qui n’a pas empê­ché Mme Maria Vérone de crier : Vive la Répu­blique quand même !

Pour nous, anar­chistes, qui ne ces­sons de pro­cla­mer que la femme est l’égale de l’homme, on ne pour­ra nous accu­ser d’antiféminisme, mais on nous lais­se­ra bien dire que si le Sénat avait octroyé aux femmes le droit de voter, il ne les aurait pas libé­rées pour cela, au contraire.

Peut-on vivre sans autorité ?

Cette ques­tion a été posée il y a déjà quelques semaines par l’Idée libre. De nom­breux écri­vains, pen­seurs, etc. ont répon­du. Fan­ny Clar, dans le Jour­nal du Peuple, tient un lan­gage que je ne puis faire que d’approuver :

Les anar­chistes d’il y a quelques années n’eussent point son­gé à deman­der, à qui­conque, si l’autorité pou­vait se consi­dé­rer comme un prin­cipe vital, tel­le­ment convain­cus qu’il faut la com­battre sous ses mul­tiples moda­li­tés, l’arracher de nos vieilles socié­tés, telle la branche morte, seule­ment capable de peser sur l’arbre jeune, et d’étouffer sa croissance.

Ce ne sont pas, Fan­ny Clar, les anar­chistes d’aujourd’hui qui posent cette ques­tion, ce sont ceux qui ont aban­don­né les théo­ries liber­taires comme uto­piques, nua­geuses, sim­plistes, en faveur de spé­cu­la­tions scien­ti­fiques, réa­listes et… littéraires.

Si nous ne sommes que trou­peau, éli­sons vite un meneur, et lais­sons-nous vivre, accep­tant déjà d’être ton­dus. Mais si nous pré­ten­dons nous haus­ser à la digni­té d’individualités pen­santes, grou­pées seule­ment pour l’utilisation des res­sources du pro­grès scien­ti­fique, en vue du bien-être dû aux âges des forces natu­relles asser­vies, bri­sons les formes archaïques d’autorité où l’on veut nous enfer­mer, dès notre pre­mier cri.

Quand on songe que depuis le Code Romain, nous étouf­fons sous la cui­rasse de nos lois, n’est-il point per­mis, à moins que l’on ne s’y résigne sans la moindre dis­cus­sion, de crier au meurtre contre tous les pions, cen­seurs, dic­ta­teurs, tyrans, pre­nant barre sur notre lâche abdication.

Peut-on vivre sans auto­ri­té ? Certes, même, et sur­tout dirais-je presque, en nation civi­li­sée. Sinon, la civi­li­sa­tion n’est que la plus per­ni­cieuse fumis­te­rie qu’on nous ait jamais contée. Les esprits gais ont l’habitude, alors que l’on nie les bien­faits de l’autorité, de vous oppo­ser les voleurs, les assas­sins, et autres mal­fai­sants. Il est aisé de leur rétor­quer que l’autorité orga­ni­sée, telle qu’ils l’acceptent ne paraît empê­cher aucun délit. Encore peut-on leur dire que son prin­cipe même se trouve faus­sé, puisqu’à son impuis­sance de régé­né­res­cence, on peut sub­sti­tuer un sys­tème de défense col­lec­tive basé sur l’utilisation pour le bien des germes malsains.

Pas davan­tage l’autorité ne demeu­re­rait néces­saire à l’accomplissement des formes du tra­vail, si les consciences étaient éveillées à leurs exactes responsabilités.

Et détes­table sous ses manières répres­sives sociales, l’autorité ne devient pas meilleure de s’exercer au nom de la famille. Les méfaits de l’autorité de l’époux, du père, ne se comptent plus. La puis­sance pater­nelle est une de ces pré­ro­ga­tives qui, sous cou­leur de liber­té du citoyen, accordent à l’autorité une de ses plus odieuses formes d’oppression.

Par­tout, l’autorité pour­rait se rem­pla­cer par l’apprentissage de la volon­té adap­tée au ser­vice de l’intérêt bien com­pris de l’individu.

Cet appren­tis­sage, nous le croyons pos­sible, et c’est pour­quoi nous sommes anarchistes.

Mais pour voir suc­cé­der à l’autorité repré­sen­ta­tive d’une force dure, mau­vaise, sté­rile, une ère pos­sible d’harmonie, il faut subir l’apprentissage d’une maî­trise dont je n’entends guère par­ler, celle que l’individu acquiert sur ses tra­vers, ses fai­blesses, ses lâche­tés, par une ana­lyse constante et sans indul­gence. Fort peu acceptent de la subir, alors qu’elle seule se devrait imposer.

Rien à faire de bon, sans son contrôle. Aus­si, tant qu’elle ne sera pas la loi per­son­nelle d’autorité consen­tie, l’autorité d’audace bru­tale gou­ver­ne­ra le monde avec la plus déplo­rable fantaisie.

Tant que les gre­nouilles deman­de­ront un roi, qu’on le leur donne. Acca­blées de tous les maux de la ser­vi­tude, elles crie­ront : Vivat celui-ci ou celui-là, et quand on fera quelque grand car­nage, elles expi­re­ront en mur­mu­rant : Merci !

Hélas !

Patrio­tisme… de gauche

Le congrès radi­cal qui vient de se tenir a été mar­qué par un inci­dent qui a don­né l’occasion aux lea­ders de ce par­ti de démon­trer qu’en fait de patrio­tisme ils sont aus­si bor­nés ou aus­si canailles que leurs concur­rents de droite.

Un ora­teur, M. Audi­bert ayant pré­co­ni­sé le ren­ver­se­ment des alliances et un rap­pro­che­ment fran­co, anglo, russe, cela fit un beau tapage :

La poli­tique que pro­pose M. Audi­bert, déclare M. Ripault, ce n’est pas une poli­tique de paix, c’est une poli­tique de guerre. Au sur­plus, on ne change pas de poli­tique comme on change de veste. L’ami, c’est l’Anglais ; l’ennemi, c’est le Boche.

Et le dépu­té Her­riot dont les sou­ve­nirs de Rus­sie furent si appré­ciés de l’Huma­ni­té, d’ajouter :

L’internationalisme sin­cère, est celui qui se super­pose au vrai patrio­tisme. Celui qui veut tra­vailler à amé­lio­rer l’humanité, c’est l’homme qui aime d’abord sa patrie. Ren­ver­ser les alliances, allons donc ! Nous ne rom­prons pas le lien qui a été tis­sé pen­dant la guerre. Nous ne dénon­ce­rons pas l’alliance qui est attes­tée sur le sol de France par tant de tom­beaux. L’Anglais et le Fran­çais sont deux peuples com­plé­men­taires. Ce serait mal tra­vailler pour la paix que de sacri­fier ce que nous devons à la guerre.

Une salve d’applaudissements éclate à ces paroles écrit le cor­res­pon­dant du Petit Pari­sien.

Cela ne nous étonne pas. Il faut pos­sé­der une dose de naï­ve­té peu com­mune pour espé­rer d’un bloc de gauche quel­conque une amé­lio­ra­tion sociale. Tous les poli­ti­ciens se valent.

Révo­lu­tion… bienfaisante !…

En atten­dant le fias­co auquel logi­que­ment il doit abou­tir, le fias­co triomphe en Italie.

Cela rem­plit de joie nos plu­mi­tifs rétro­grades au sujet du dic­ta­teur Mus­so­li­ni. Mer­meix écrit dans le Gau­lois :

Pour par­ler sans images, il veut pro­cé­der à une de ces réformes si pro­fondes de l’État qu’elles méritent le nom tou­jours un peu effrayant de Révo­lu­tion — .

Telle est la révo­lu­tion qu’annonce M. Mus­so­li­ni quand, après avoir fait ren­trer le com­mu­nisme dans ses tavernes, il dit qu’il va rema­nier le suf­frage uni­ver­sel en ne comp­tant pas seule­ment les têtes, mais en mesu­rant aus­si les capa­ci­tés ; quand il dit qu’il va ins­ti­tuer des Chambres éco­no­miques et pro­fes­sion­nelles qui légi­fé­re­ront, cha­cune dans sa spé­cia­li­té, concur­rem­ment avec le par­le­ment poli­tique ; quand il dit enfin qu’il veut res­tau­rer la dis­ci­pline en Italie.

Et cette res­tau­ra­tion se fait natu­rel­le­ment sans bru­ta­li­tés, dans l’ordre et par l’autorité. Il n’y a pas de Ter­reur fas­ciste !… On ne peut être plus cynique.

Les bien­faits de la Dictature

M. Her­riot, auquel quelques semaines en Rus­sie ont suf­fi pour le ren­sei­gner sur tout ce qui se passe dans cet immense pays, a publié dans le Petit Pari­sien la rela­tion de son voyage. Voi­ci les décla­ra­tions que lui a faites M. Kras­sine au sujet des paysans :

— Com­pre­nez, me dit-il, que notre pay­san a réa­li­sé de très grands pro­grès du fait de la guerre. À la guerre, il a vu tout un maté­riel nou­veau pour lui : des camions, des trac­teurs, des pro­jec­teurs, de véri­tables usines ambu­lantes ; il a fait connais­sance avec l’électricité. Comme jadis, en Ita­lie, l’armée a fait beau­coup pour l’éducation et l’unification du peuple. Et, dans la guerre civile, le même pay­san, a dû apprendre à se gou­ver­ner loca­le­ment. Il a pu com­pa­rer notre régime avec ceux que lui offraient si mal­adroi­te­ment Deni­kine, Wran­gel et Kolt­chak. La ville eut besoin de lui ; elle lui a pris son grain mais elle lui a, en échange, envoyé dans son izba des pro­duits manu­fac­tu­rés, même des bijoux et des pia­nos. Nous lui avons appris à se ser­vir de la tourbe. Autre­fois, il ter­mi­nait son tra­vail vers le 20 juillet, parce que, dès cette date, il avait gagne les 80 ou 100 roubles qui lui suf­fi­saient ; main­te­nant, il tra­vaille tout l’été. Avant la guerre, le pro­fes­seur Engel­hardt consacre douze années pour apprendre aux pay­sans de son dis­trict l’utilité des super­phos­phates. Nous, par un seul décret, nous avons intro­duit la culture du maïs.

Heu­reux pay­sans russes. Que manque-t-il encore à votre bon­heur ? que votre gou­ver­ne­ment réta­blisse par un décret le mono­pole d’État de l’alcool, et en recon­naisse ain­si offi­ciel­le­ment la vente et la fabri­ca­tion ? Si j’en crois La Prav­da, ce nou­veau bon­heur ne sau­vait man­quer avant long­temps, de vous échoir.

Une opi­nion :

E. Armand res­sus­cite dans l’En-dehors, l’« indi­vi­dua­lisme-anar­chiste que nous cri­ti­quons par­fois, mais chez les par­ti­sans duquel nous avons eu et nous trou­vons encore tant de sympathies.

Armand reste dans la bonne tra­di­tion anti­au­to­ri­taire, et tous les efforts faits dans cette voie sont à encourager.

J’extrais ce pas­sage d’une magis­trale lettre ouverte qu’il adresse à Vic­tor Kibalt­chiche, alias Le Rétif deve­nu Vic­tor Serge et au ser­vice du gou­ver­ne­ment russe :

Si je me pla­çais au point de vue vieillot, sur­an­né et ouvrié­riste de la révo­lu­tion sal­va­trice, j’estimerais que le triomphe de la manière bol­ché­viste et les évé­ne­ments qui l’ont sui­vie — Troi­sième Inter­na­tio­nale et Nou­velle Éco­no­mie Poli­tique — ont cau­sé un tort irré­pa­rable à la cause pro­lé­ta­rienne dans le monde entier. La méthode bol­ché­viste de com­pres­sion bru­tale des pro­tes­ta­tions et des récla­ma­tions des ouvriers russes a influé sur les atteintes que les gou­ver­ne­ments bour­geois font actuel­le­ment subir à la légis­la­tion ouvrière, comme la jour­née de huit heures, par exemple. Le bol­che­visme porte sa part de res­pon­sa­bi­li­té dans l’éclosion du fas­cisme et dans la pra­tique de ses méthodes répu­gnantes ; le Mus­so­li­nisme est une réplique à la dic­ta­ture de Moscou.

Et je ne parle que pour mémoire des dégoûts que la basse cui­sine des appé­tits des meneurs du Par­ti pro­voque par­mi les mieux doués de la classe ouvrière, mais le point de vue ouvrié­riste n’est pas le mien.

C’est le nôtre, ou tout au moins celui de bon nombre de com­mu­nistes anar­chistes. Et les rai­sons que donne E. Armand sont à considérer.

[/​Pierre Mual­dès./​]

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