Parce que la société actuelle est basée sur une morale, certains ont dit : comme je suis anarchiste, je veux être immoral.
Pourtant tout individu base sa vie sur une morale. Le chrétien sur la soumission et la résignation. Le bourgeois sur l’autorité et la force. L’anarchiste, lui, — contre l’autorité — base sa morale sur la raison intervenant dans ses rapports avec autrui.
Chaque individu ne vivant que pour lui, n’accomplit tout acte qu’en vue d’assurer son bonheur. Mais lorsqu’un Briand pour s’assurer la gloire et l’argent n’hésite pas à renier ses idées et faire massacrer des hommes ; lorsqu’un Métivier fait emprisonner ses propres camarades ; lorsqu’un patron vole chaque jour ses ouvriers pour pouvoir entretenir le luxe dont il s’entoure ; ces individus n’ont écouté que leurs penchants et cherché à assurer leur bonheur en faisant le moins d’efforts possible, sans se soucier de la souffrance des autres, je dirai donc que ces individus n’ont pas raisonné leurs actes avant de les commettre, ils ont laissé la brute qui est en tout individu agir inconsciemment et selon son instinct.
Blanqui qui passa sa vie à chercher à soulager les hommes et qui pour cela passa une bonne partie de sa vie en prison et y mourut ; un nihiliste qui quoique sachant que la bombe qu’il va jeter le tuera aussi — mais vengera ses camarades martyrisés ; un Bill qui supprime un dénonciateur et de ce fait risque sa tête ; ou un Dubois qui courageusement se fait assassiner par d’ignobles brutes, afin de pouvoir prolonger la vie d’un réfractaire traqué ; de ceux-là aucun ne s’est sacrifié.
Ils ont agi pour leur propre satisfaction, car ils ne pouvaient vivre à côté d’autres qui souffraient, en cherchant à diminuer la souffrance ils se satisfaisaient, la vie leur paraissait exécrable dans cette atmosphère de vice et d’hypocrisie : eux seuls ont vécu en hommes.
Il est impossible qu’un homme puisse vivre essentiellement de et par lui-même, à moins de retourner au sauvagisme ; des siècles ont fait de nous d’autres hommes, dont la constitution ne pourrait s’adapter à cette vie de primitifs. Aussi l’individu ayant des besoins physiologiques, moraux et intellectuels à satisfaire, trouvera dans l’association des avantages qu’il ne connaîtrait pas isolé dans la lutte pour la vie.
De cette association jaillira une morale qui élèvera la mentalité de l’homme et en fera un être conscient et irréprochable dans ses rapports avec ses co-associés.
Si celui, qui sous prétexte de s’éviter une souffrance ne veut pas mater ses mauvais instincts ou ses vices, préfère patauger dans le bourbier qu’est la société actuelle à seule fin de pouvoir se donner pleine et entière satisfaction, sous prétexte que les autres ne l’intéressent pas, celui-là ne vit pas, il végète dans l’erreur et est aussi nuisible que les autres gens quelconques, car il perpétue la société actuelle — où chacun se débrouille envers et contre tous.
Lutter c’est souffrir, mais c’est vivre et si je lutte pour les autres, c’est aussi pour moi, car si je suis entourée d’individus conscients et raisonnables nous pourrons nous passer d’autorité. Pour cela il n’est pas besoin d’une révolution ce sera le résultat de l’attitude des anarchistes, découlant d’une morale de réciprocité et d’entre aide. On peut dès maintenant être soi, non pas en marchant sur les autres, mais en recherchant un bonheur en harmonie avec celui des autres.
[/Henriette