La Presse Anarchiste

Entre nous

Les anar­chistes indi­vi­dua­listes ne comptent pas par­mi les nom­breuses ver­tus, qui les carac­té­risent, quelques bribes de modes­tie, il est à croire que s’ils ignorent le terme, ils ne connaissent pas non plus la chose. La pré­ten­tion de cer­tains est fla­grante et éclate à tous pro­pos. C’est avec désin­vol­ture que les moins éru­dits, les plus igno­rants, se hasardent à trai­ter les sujets les plus com­plexes et les plus ardus. Tel jeune, par exemple, n’ayant fait com­merce avec aucun phi­lo­sophe, socio­logue ou auteur en matière, n’ayant lu dans le grand livre de la vie que quelques pages, se per­met de poser l’es­quisse des lois qui régissent les clans, les tri­bus, les familles et l’humanité.

Quelques for­mules apprises au hasard des lec­tures quo­ti­diennes et gra­vées par une mémoire pro­di­gieuse, vous sont ser­vies, sans attrait, sans habi­le­té, gros­sières et indi­gestes, comme le résul­tat de pro­fondes médi­ta­tions ou de mul­tiples études (

Tel autre ayant, ouvert celui-là, des auteurs modernes dans toutes les branches du savoir, qui abordent des sujets pro­fonds de science abs­traite, vous servent le résul­tat de leurs lec­tures comme le point culmi­nant et final de toute science alors que ces auteurs ne posent géné­ra­le­ment leurs concepts que comme des hypo­thèses, tou­jours modi­fiables, variables et transitoires.

C’est ain­si que nos jour­naux exposent très mal des choses bien dites dans des bou­quins de vul­ga­ri­sa­tion. Il en est de cela de presque tous les jour­naux anar­chistes en géné­ral et de la « Vie anar­chiste » en par­ti­cu­lier : on croit en la pos­si­bi­li­té de connaître des aper­çus nou­veaux et inex­plo­rés, on se jette avi­de­ment sur des articles dont le titre vous attire – mais une décep­tion vous attend, – on recon­naît vite par la forme, confuse et embrouillée, le manque d’ar­gu­ments, la lour­deur du style, que l’au­teur de l’ar­ticle parle de choses qu’il ignore ou connaît imparfaitement.

Un autre s’est tor­tu­ré le cer­veau pour écrire des choses que tout le monde connaît ou encore, veut trai­ter un sujet impar­fai­te­ment réflé­chi, mûri, et le cadre de l’ar­ticle dépasse la capa­ci­té de son auteur.

Certes, il est bien per­mis à qui­conque d’a­bor­der des sujets de haute médi­ta­tion intel­lec­tuelle, de dire son mot sur les pro­blèmes en sus­pend, d’é­mettre son opi­nion dans tel ou tel domaine scien­ti­fique ; mais il faut au préa­lable appro­fon­dir le sujet dont on veut par­ler, étu­dier les auteurs qui s’oc­cu­pèrent de la ques­tion, ana­ly­ser les opi­nions diverses et contra­dic­toires pour en déduire la sienne. Et lorsque le désir d’i­ni­tier, — non de pala­brer — vous anime, on cite les auteurs qui étayent vos argu­ments et ceux qui donnent un autre son de cloche ; mais l’on ne traite pas de but en blanc d’une façon pon­ti­fiante, par exemple, un sujet de psy­cho­lo­gie sociale sans d’a­vance étu­dier ce qu’est la psychologie.

Voyons ! alors qu’une géné­ra­tion, des géné­ra­tions de savants ont accu­mu­lé docu­ments sur docu­ments, sont mortes à la peine sans avoir dit le der­nier mot dans une seule branche du savoir humain, des cama­rades traitent, au pied levé, et résolvent tous les pro­blèmes et cela dans toutes les sciences (

Je ne pré­tends pas qu’il faille pos­sé­der des titres et des diplômes pour abor­der des sujets et faire des hypo­thèses dans telle ou telle branche du savoir, mais je sou­tiens qu’il faut avoir des connais­sances et des qua­li­tés pour les enseigner.

À moins d’être un éter­nel bavard, il est au moins pré­ten­tieux, de vou­loir cau­ser sur tout sans avoir rien appris.

[/​H. Richard/​]

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