La Presse Anarchiste

Les possibilités matérielles de la réaction

Jus­qu’i­ci, aucun anar­chiste n’a pu déter­mi­ner une quel­conque pos­si­bi­li­té maté­rielle de réac­tion, et ce n’est pas sans bluff, que cer­tains s’y sont en vain effor­cés en essayant de nous don­ner l’illé­ga­lisme comme l’a­bou­tis­sant éco­no­mique de la pra­tique de l’anarchisme.

Nous avons pu voir des études qui durèrent cinq, six et sept semaines, occu­pant deux ou trois colonnes de jour­nal, mais nous n’a­vons pui­sé dans aucune l’é­la­bo­ra­tion d’un sys­tème éco­no­mique à oppo­ser au sys­tème exis­tant. Cet embar­ras mani­feste de tous ceux qui cri­ti­quèrent les bases sociales et ne pré­sentent rien que de la théo­rie comme anti­dote, ce qui ne devrait pas être suf­fi­sant, explique clai­re­ment l’en­goue­ment qui s’est pro­duit vers l’illégalisme.

Ce n’est pas que je veuille par­tir ici en guerre contre l’illé­ga­lisme, au reste l’a­mi Butaud com­men­ça à ce sujet une étude, je ne vou­drais pas faire double emploi. Je tiens tout sim­ple­ment à démon­trer que le dis­tin­guo, que cherchent à éta­blir pas mal de cama­rades entre l’illé­gal et l’ou­vrier, n’existe pas.

L’a­nar­chiste est contre l’ex­ploi­ta­tion c’est un fait acquis. Donc s’il se rend à l’a­te­lier il est illo­gique, car il se fait exploi­ter, disent les défen­seurs de l’illé­ga­lisme et ils ajoutent qu’il manque de cou­rage s’il ne se débrouille pas autre­ment. Ce qui leur per­met de conclure que l’illé­gal, au moins, lui ne se fait pas exploi­ter et fait preuve de cou­rage, consé­quem­ment de déve­lop­pe­ment et de là à dire que ce der­nier est plus anar­chiste que le sala­rié il n’y a plus qu’un pas qu’ils fran­chissent bien vite.

À tout esprit béné­vole les argu­ments cités paraissent très logiques, mais qui pèse, scrute et exa­mine, s’a­per­çoit bien vite que cette logique n’est que super­fi­cielle et qu’au fond elle est plu­tôt fausse. Il suf­fi­rait de quelques lignes citées déjà, je crois dans ce jour­nal, pour le démon­trer. Voyons un peu l’at­ti­tude de l’illé­gal (il est bien enten­du que j’en­vi­sage ici l’illé­ga­lisme comme sys­tème de réac­tion éco­no­mique pré­sen­té par bon nombre d’anarchistes.)

L’illé­gal ne pro­duit pas, c’est une affaire enten­due, par contre il consomme. Où tire-t-il sa consom­ma­tion : de son pro­duit ? je viens de dire qu’il ne pro­dui­sait pas, il fera donc comme nos bons bour­geois, il tire­ra son néces­saire du pro­duit d’au­trui et devien­dra par ce fait un exploi­teur. Donc je retourne la médaille à ceux qui nous disent que l’ou­vrier entre­tient l’ex­ploi­ta­tion en se fai­sant exploi­ter, en leur répon­dant qu’en deve­nant exploi­teur l’illé­gal sou­tient l’ex­ploi­ta­tion. Ce qui revient à dire que le dis­tin­guo que l’on a vou­lu éta­blir entre l’illé­gal et l’ou­vrier n’existe pas ; ils ont tous deux des atti­tudes regret­tables, mais qu’ils ne prennent que par force.

Au sur­plus je pense que la réac­tion éco­no­mique est impos­sible et illu­soire. Notre abou­tis­sant éco­no­mique, le com­mu­nisme, n’est réa­li­sable qu’à condi­tion que la majo­ri­té des indi­vi­dus soit trans­for­mée. C’est dire que je ne m’illu­sionne pas sur cette fameuse réac­tion. Il ne fau­drait cepen­dant pas croire que nous devons négli­ger toute ques­tion éco­no­mique, car une phi­lo­so­phie sans éco­no­mie comme résul­tante, cela n’existe pas.

Je conclus donc en disant que l’a­nar­chisme est sur­tout une atti­tude morale et intel­lec­tuelle de laquelle découlent des actes, qui s’ils ne sont pas la réa­li­sa­tion éco­no­mique de la pra­tique de l’a­nar­chisme — n’en sont pas moins le reflet.

[/​M. Lié­nard/​]

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