Cette question nous tient particulièrement en éveil ; nous ne connaissons que peu d’ouvrages qui traitent le problème d’un point de vue anarchiste : le livre “ le Juif antisémite ” de Camillo Berneri est un de ceux-là [[Cf également “N&R” n°18, “préjugés racistes”.]]. C’est pourquoi nous allons tenter d’envisager le problème dans son ensemble autour de deux questions :
– pourquoi le racisme existe-t-il ?
– comment le faire disparaître ?
Les causes
La race : la question du racisme implique la notion de race. Cette notion est relativement récente (vers 1850), elle est fondée principalement sur les différences crâniennes des êtres humains. Ceci est vrai en théorie mais en pratique, les peuples, les nations sont tellement mélangés que les pays de race pure sont inexistants. Les tenants de cette théorie – Gobineau et autres – voulaient démontrer qu’il existe une hiérarchie dans les races, aussi cherchèrent-ils d’autres arguments pour arriver à leurs fins. La langue, les caractères moraux, la civilisation, etc. devinrent les nouveaux critères de la race, qui tous aboutissaient à une hiérarchie de la race, celle de l’auteur étant, on s’en doute, la meilleure.
Il existe cependant, d’un point de vue biologique, trois grands rameaux raciaux : blanc, jaune, noir, et chacun comprend une demi-douzaine de sous-divisions, sans compter les mélanges. Bref, qu’on retourne la question de tous les côtés, la race est un mythe. Mais ce qui est certain en revanche c’est que le racisme est le paravent d’un antagonisme. Quel antagonisme ? C’est là tout le problème.
Le racisme (c’est-à-dire la haine d’autrui) apparaît dans certaines conditions : cohabitation de plusieurs groupes sociaux différents, pas obligatoirement de races différentes. La preuve en est que les racistes ont appliqué le mot race aux Juifs. Les Juifs, en effet, et l’État d’Israël le prouve, ne sont pas une race, mais un ensemble religieux. Parler de race catholique ou juive, c’est la même bêtise.
Pourtant, dira-t-on, on les voit les Juifs, et le type juif ?
Il faut savoir que le type dit juif, propagé par les antisémites fascistes, correspond au type du juif d’Europe centrale, ou ashkenazi, originaire d’Arabie (du reste le plus parfait représentant du type juif en question est le colonel Nasser – voyez sa photo). En réalité les Juifs sont bien plus mélangés : il y a, à côté des ashkenazim, les sephardim, originaires d’Espagne, et de type espagnol ; en outre, il y a des Juifs jaunes, noirs, et même aztèques. La question juive, la persistance du judaïsme est le fait de l’antisémitisme qui depuis 2 000 ans (cf. plus loin) oblige le Juif à rester juif.
La question est donc claire : le racisme correspond à un antagonisme. Voyons-en les causes.
L’économie :
Le racisme a des bases économiques certaines. Mais pas l’économie telle qu’on l’a ridiculisée chez les apprentis marxistes du PC, en en faisant un dieu qui vient remplacer celui dont on s’est à peine dégrossi.
Le racisme peut naître d’une lutte entre travailleurs de nationalité, voire de races, différentes. Mais en ce cas, il s’agit d’un expédient, d’un subterfuge que le capitalisme et l’État emploient – au même titre que le chauvinisme et l’ignorance – pour diviser les travailleurs. Ainsi, en France, les ouvriers français n’ont pas aidé en général des ouvriers algériens (cf. NR n° 18), pour eux, c’était “ les bicots ”. Les Algériens sont devenus des boucs émissaires responsables de tout.
C’est à cela que sert le racisme : justifier l’exploitation des ouvriers étrangers aux yeux des nationaux, pourtant eux aussi exploités ; et faire diverger tout mouvement de revendication. La récente hausse des prix en URSS, a été précédée par des condamnations à mort de Juifs pour différentes raisons, ce sont les boucs émissaires.
“ Aux Etats-Unis, 16 lois de métier excluent les noirs… Dans de nombreux cas, les blancs vont jusqu’à se mettre en grève pour obliger les noirs à rester à leur place… Travailler à côté d’un noir ne gêne pas un blanc pourvu que le noir soit sous sa direction ” (Fedeli, Umanità Nova, 16/09/1962).
Le racisme étouffe la solidarité et la conscience ouvrière, il est créé parfois artificiellement pour berner le prolétariat. En Afrique du Sud, les “ petits blancs ”, c’est-à-dire les blancs aux situations modestes, sont les plus opposés à l’accession à l’emploi des prolétaires de couleur car le capitalisme les paie moins pour le même travail. La menace d’amener des Chinois et des Japonais aux USA, Nouvelle-Zélande et Australie pour créer un sous-prolétariat est une menace que l’État emploie pour manœuvrer les ouvriers.
Selon le livre “ le conflit judéo-arabe ” d’Abdel Kader (éditions Maspéro) ce conflit est le reflet de la lutte des impérialismes anglais et français en Égypte et en Syrie ; les Anglais présentant les Juifs comme des espions français, désirant la perte des Arabes. Avec l’installation d’entreprises juives en Palestine, qui employaient des ouvriers arabes, créant un prolétariat et en outre plus payé que dans les grandes propriétés des féodaux arabes, ces derniers réagirent en incitant les masses arabes à l’antisémitisme.
Durant les crises économiques, l’État encourage ou laisse faire, le racisme qui est un exutoire, pendant que les gens tuent un pauvre diable, ils ne pensent pas aux responsables. En 1913, une mévente du coton entraîne une crise en Géorgie, USA ; un Juif est lynché. Du reste, pour le sud des USA, le pourcentage de lynchages des noirs s’accroît avec les difficultés économiques.
Mais ce que l’économie n’explique pas, c’est l’ampleur de la ségrégation, du racisme. Il est évident qu’économiquement, le capital doit donner un salaire suffisant au prolétariat pour qu’il puisse produire. Or, dans le sud des USA, en Afrique du Sud, etc. il semble que le capital préfère moins de production à l’amélioration des conditions de vie du prolétariat de couleur. Son racisme n’est donc pas basé exclusivement sur un raisonnement économique. De même les noirs riches, (donc théoriquement admis par la société), sont toujours en proie au racisme. L’économie n’est pas un facteur créateur, mais bien plutôt un accélérateur du racisme. Pendant la deuxième guerre,
“ Les nazis ont tué six millions de Juifs appartenant à vingt pays différents, riches ou pauvres, célèbres ou inconnus ”.
dit Ehrenbourg, pourtant marxiste.
La religion :
La religion ne sera pas envisagée en tant que puissance spirituelle, mais en tant qu’idéologie masquant et justifiant un système économique ou politique.
Le pélagisme, l’arianisme, sont autant des conflits politiques que théologiques. La Réforme et la Contre-réforme sont une rivalité entre deux systèmes économiques, se développant dans des pays aux buts politiques divergents.
“ Toute révolution religieuse est en réalité une révolution sociale ” (A. Léon, “ Conception matérialiste de la question juive ”, page 142).
La lutte entre Chrétiens et Juifs s’explique par une opposition de conceptions économiques.
Les Juifs sont les héritiers des phéniciens, ce sont des marchands, ils servent pratiquement pendant un millénaire, d’intermédiaires entre les pays, dans le bassin méditerranéen, puis en Europe, et enfin entre l’Orient et l’Occident. Le christianisme dont l’idéologie favorise la démagogie (paradis) et le centralisme (dieu unique) se répand dans les pays de structure agraire, à tendance autarcique. Les intérêts des deux religions divergent et des conflits surgissent :
“ La cause de l’antisémitisme antique est la même que l’antisémitisme médiéval ; l’opposition de toute société basée principalement sur la production des valeurs d’usage à l‘égard des marchands ” (A. Léon, page 6).
Le conflit prend toute son acuité à partir du 12ème siècle avec le développement des échanges avec l’Orient.
En outre des justifications religieuses aggravent le conflit et même le remplacent pour le transformer en racisme purement religieux, c’est-à-dire que le départ économique est complètement dépassé. Les Juifs sont usuriers, l’argent est maudit, ils sont les assassins du Christ. Dans les pays chrétiens on chassait les Juifs et on saisissait leurs biens quand l’État avait besoin d’argent, puis on les laissait revenir, et ainsi de suite. Presque tout autre métier qu’usurier ou banquier leur fut interdit : Saint Louis leur fit porter l’étoile jaune, Saint Vincent Ferrier organisa des pogroms, où des milliers de Juifs furent massacrés et les survivants baptisés.
Cet acharnement est augmenté par le fait que le Juif :
“ … incarne la négation, le refus, la contre-vérité… Si le Juif a raison, la chrétienté n’est qu’une illusion. Si le Chrétien a raison, le Juif est un anachronisme ” (Fëjto, “ Dieu et son Juif ”, page 34).
Ainsi la religion chrétienne a empêché le Juif de sortir de sa condition économique, elle a colporté l’antisémitisme à travers les âges. L’antisémitisme chrétien est inséparable de la politique, d’où le double rôle de l’antisémitisme pour la foi, pour l’État.
La Révolution française vint et modifia pour la première fois la situation des Juifs en faisant d’eux des citoyens (non sans distinguer les séphardim 1789 des ashkenazim 1790). Robespierre eut une formule qu’il est bon de rappeler : “ les vices des Juifs naissent de l’avilissement dans lequel vous les plongez, ils seront bons quand ils pourront trouver quelques avantages à l’être. ”
Cependant l’antisémitisme chrétien réapparaît avec l’affaire Dreyfus. Un évêque breton réclame une descente de lit en peau de Juif, on le voit les nazis n’ont rien inventé. De plus la séparation de l’église et…
“ …de l’État conduit non à l’élimination de l’intolérance, mais à son déplacement de la sphère religieuse vers les sphères politiques, sociales ” (Fëjto, page 35).
Donc le catholicisme est bien l’unique inventeur de l’antisémitisme. Il a créé un climat raciste.
“ … si je préfère l’oubli de moi et l’abstraction, les autres eux, n’oublient pas et continûment, pesamment, se chargeront de me rappeler à moi-même ” (Memmi, “ portrait d’un juif ”, page 15).
Isaac dans “ L’antisémitisme a‑t-il des racines chrétiennes ”, démontre que l’antisémitisme actuel, même s’il n’est plus professé ouvertement par l’Église, (n’oublions pas que Eichmann et d’autres, gagnèrent l’Argentine grâce à une organisation jésuite… de Rome), est catholique dans son essence.
La religion catholique n’a pas que ce racisme à son actif. La découverte de l’Amérique posa le problème des indigènes : est-ce que ce sont des hommes comme nous ? La réponse fut oui à Rome, non en Amérique, où les Jésuites permirent les massacres des Indiens dans les camps de concentration que préfiguraient les mines d’or et d’argent. Un dominicain, Las Casas, rival des Jésuites, dénonça leurs crimes affreux et en toute charité chrétienne demanda qu’on échange la main d’œuvre indienne pour celle des noirs (ce qu’il regretta, dit-on). Comme il n’y avait pas d’autres ordres religieux intéressés par l’Amérique, aucun catholique ne dénonça la traite des nègres.
La religion protestante, en Afrique du Sud seulement, se fonde sur la bible pour bénir le racisme anti-noir. Genèse, IX 25 :
“ Maudit soit Canaan, il sera serviteur des serviteurs de ses frères ”.
Les mariages entre blancs et noirs sont interdits par les pasteurs.
Dans les autres religions, le caractère racial semble moins développé (il est vrai que le racisme est une invention occidentale). Cependant l’Islam, dans le Coran, présente des aspects aussi bien antisémites que philosémites, mais l’antisémitisme arabe a toujours été plus modéré qu’en pays chrétien.
Les doctrines :
Au 18sup>ème et au 19ème siècle, la religion est combattue par les libres-penseurs ; des systèmes philosophiques athées s’élaborent. Rousseau dans le contrat social oppose à la conception d’Aristote justifiant l’esclavage, le fait qu’un homme “ né dans l’esclavage naît pour l’esclavage ” et que donc l’égalité civile,
“ substitue une égalité morale et légitime à ce que la nature a pu mettre d’inégalité physique entre les hommes… Ils deviennent égaux par convention et de droit ”.
L’égalité absolue est proclamée et partout le racisme est condamné généralement, car Voltaire est antisémite. Le fait n’est pas pour surprendre car les premiers athées empruntaient, sans les discuter, pensées et préjugés de la religion même qu’ils combattaient.
Prétention biologique :
Reprenant le flambeau raciste aux catholiques, les doctrines racistes naissent. Prenons le livre de Carrel, prix Nobel, “ L’homme cet inconnu ” (éditions Livre de poche), lisons :
“ Il faut se demander si la grande diminution de la mortalité pendant l’enfance et la jeunesse, ne présente pas quelques inconvénients. En effet, les faibles sont conservés comme les forts. La sélection naturelle ne joue plus ”.
Vous voulez des éclaircissements ? (page 140) :
“ Il ne faut pas donner aux jeunes filles la même formation intellectuelle, le même genre de vie, le même idéal qu’aux garçons ”.
Page 162 :
“ L’homme est le plus résistant de tous les animaux. Et la race blanche qui a construit notre civilisation, est la plus résistance de toutes les races ”.
(Remarquez le style de catéchisme de ces phrases).
Page 300 :
“ En France, les populations du Nord sont bien supérieures à celles des bords de la Méditerranée. Les races inférieures habitent généralement les régions où la lumière est violente et la température moyenne élevée ”.
Encore une petite précision, page 308 :
“ Elle (la passion de conquérir) est l’inspiratrice de toutes les grandes aventures. Elle a mené Pasteur à la rénovation de la médecine, Mussolini à la construction d’une grande nation ”.
Sans commentaires, sauf que le livre a été écrit en 1939.
Page 374 :
“ La standardisation des êtres humains par l’idéal démocratique a assuré la prédominance des faibles ”.
Page 408 :
“ On rencontre, même chez les prolétaires des sujets capables d’un haut développement. Mais ce phénomène est peu fréquent. En effet, la répartition de la population d’un pays en différentes classes, n’est pas l’effet du hasard, ni des conventions sociales. Elle a une base sociologique profonde… Ceux qui sont aujourd’hui des prolétaires doivent leur situation à des défauts héréditaires de leur corps et de leur esprit ”.
Page 409 :
“ Pour la perpétuation d’une élite, l’eugénisme est indispensable ”.
Page 411 :
“ En fait, l’eugénisme demande le sacrifice de beaucoup d’individus ”
(Les Juifs l’ont remarqué).
La dernière phrase, page 439 :
“ Sur la voie nouvelle, il faut dès à présent nous avancer (!) ”.
À la lecture du français Carrel, on devine ce que pouvaient dire les biologistes nazis, mais examinons les arguments de Carrel. La sélection permettrait d’avoir une élite, et donc l’hérédité serait quelque chose d’assez semblable aux plantes, on pourrait isoler certains caractères, et les améliorer spectaculairement. Malheureusement Carrel oublie de dire que tout cela, la biologie ne le permet pas actuellement. Rostand, sur le même sujet dit (en 1942 pourtant) :
“ Les mécanismes de l’hérédité, on l’a vu permettent à des individus de transmettre des caractères qu’ils ne possèdent pas, ou de ne pas transmettre ceux qu’ils possèdent ” (“ L’homme ”, collection Idée, page 78).
“ Le certain, c’est qu’à tous les niveaux de la société, il y a de bons et de mauvais gènes, à peu près dans les mêmes proportions. Pour le biologiste, il n’y a pas de classes, il n’y a que des individus ” (page 82).
“ Lorsque nous parlons de l’homme et de la femme, il ne faut jamais oublier que nous comparons non pas deux types naturels et biologiques, mais deux types artificiels et sociaux ” (page 98).
Cependant Rostand est d’accord avec Carrel sur la sélection :
“ … Par effet de la civilisation, nul progrès à espérer pour l’animal humain, mais une décadence à craindre ” (page 138).
Sur l’eugénisme des réserves :
“ L’eugénique négative (suppression des êtres trop déshérités) ne vise qu’à raréfier les tares héréditaires. Elle est incapable de faire progresser l’humanité ” (page 145).
On voit comment des idées pseudo-scientifiques, sélection et eugénisme, peuvent être déformées au point de servir la pire des idéologies.
Le fascisme :
Il repose sur le vieil antisémitisme qu’a inventé le catholicisme, et sur une biologie à la “ Carrel ”. La conjonction des deux a donné ce que l’on sait. Deux mots suffisent à rendre compte de cette “ philosophie ”.
Le fléau social, la cause de tous les malheurs de l’Allemagne, ce sont les Juifs :
“ Dans ses veines coule le sang des Allemands nordiques mêlé à celui des Mongols et des Nègres, d’où son aspect physique ” (Streitcher).
“ Tout ce qui dans le monde entier s’imprime contre l’Allemagne est écrit par des Juifs ” (Hitler).
La France :
“ … aiguillonnée par sa soif de vengeance est systématiquement guidée par les Juifs ” (Hitler).
Le marxisme est “ une doctrine juive ” (Hitler). Ce n’est rien d’autre qu’un chauvinisme, avec son éternel corollaire : les boucs émissaires.
Notons que si, en 1938, les Juifs allemands étaient pour les Allemands des espions français, pour la droite française, les Juifs français étaient des espions allemands.
Le communisme :
Marx a simplifié la question :
“ Une organisation de la société qui supprimerait les bases du trafic et par conséquent le trafic lui-même, rendrait le Juif impossible ” (“ La question juive ”).
C’est-à-dire que dans un pays socialiste la question juive, purement économique selon Marx, n’a plus de raison d’être.
Voyons ce qu’il en est en URSS. L’hébreu est :
“ Une langue du passé bourgeois, religieux et réactionnaire ”.
“ L’idée sioniste (c’est-à-dire le retour des Juifs en Palestine ou ailleurs, mais de toute façon leur regroupement) est complètement fausse et réactionnaire par son contenu ” (Lénine).
Pour une fois une analyse marxiste de cette société marxiste explique l’antisémitisme des marxistes. La Russie, isolée par le blocus des autres nations fait face à des problèmes économiques ardus, une terrible famine (vers 1920) ravage le pays. La guerre contre la réaction blanche et ensuite contre les anarchistes, à peine oubliée, Lénine meurt, Staline lutte contre Trotsky. Il faut trouver une explication aux difficultés économiques, aux erreurs du régime, et à la rivalité Staline-Trotsky. Le vieil antisémitisme propagé par les tzars faisant des Juifs les boucs émissaires, est nécessairement repris, étant donné l’infrastructure économique du pays. Et les Juifs deviennent des saboteurs à la solde du capitalisme, qui est juif en grande partie (au même moment Hitler disait que les Juifs étaient des saboteurs à la solde du communisme, qui est lui aussi juif en grande partie). Pour plus de renseignements, se référer à “ L’antisémitisme dans les démocraties populaires ”, de Fëjto.
Notons qu’aujourd’hui les sionistes sont en URSS des espions américains, et aux USA, la droite parle de “ la conspiration sioniste bolchevique ” et “ la conspiration juive pour abâtardir la race blanche ”.
RÉSUMONS notre démarche : le racisme apparaît à partir d’un antagonisme impulsé par une situation économique et qui trouve sa totale expression dans les mouvements religieux, politiques, etc.
Il semble qu’il y ait chez l’homme une facilité à tomber dans le racisme, soit par l’ignorance (économie, religion), soit par la propagande (politique). Essayons d’aborder directement ce que nous croyons être la cause du racisme.
La sexualité :
Dans les lynchages des Noirs, dans les accusations contre les Juifs, les mêmes reproches reviennent : “ viols, abâtardir ”. Le facteur sexuel est partout : une des premières mesures de Hitler est d’interdire les mariages entre Allemands et Juifs. Lorsque des racistes veulent vous embarrasser, ils vous demandent inévitablement : “ accepteriez-vous que votre fille épouse un Noir, ou que votre mère se remarie avec un Noir ? ”. Il se gardent bien de demander : “ accepteriez-vous que votre filspère se remarie avec une Noire ? ”, parce qu’ils savent qu’ainsi posée la question ne blesse pas. Notre société vit sur une conception sexuelle particulière qu’il faut dénoncer.
Les groupes tribaux s’organisent selon deux conceptions du mariage, endogamique (à l’intérieur), exogamique (à l’extérieur). L’endogamie oblige les membres du groupe à se marier entre eux, et donc le caractère ethnique se conserve, mais pour la majorité des cas, il y a exogamie. On pense que le passage de l’endogamie à l’exogamie s’explique par les inconvénients des mariages consanguins et aussi par les avantages politiques de l’exogamie. En effet, l’exogamie interdit le mariage entre individus d’une même famille, d’une même tribu ou du même totem, les mariages ont donc lieu entre clans étrangers, ce qui facilite les alliances politiques. Dans notre société, nous aurions tendance à l’endogamie : dans chaque pays un culte du mâle se développe au détriment de la femelle. Le mariage d’un blanc et d’une noire est généralement accepté parce qu’il s’agit d’un homme, et le mâle purifie en quelque sorte la femelle. Mais quand une Blanche épouse un Noir, les Blancs ont tendance à se sentir lésés, on vient leur prendre leurs femelles dans leur chasse gardée. Et le fait est que la menace sexuelle est toujours brandie par les racistes.
Pour nous, le racisme est un phénomène sexuel modifié par des caractères idéologiques et économiques.
Les remèdes :
Pour supprimer totalement le racisme, un changement des attitudes sexuelles et donc spirituelles et économiques, est nécessaire. En un mot, c’est la lutte totale contre l’État.
Mais une étude du racisme doit expliquer les réactions des victimes, qui paraissent imprévisibles et déroutantes.
Le “ racisé ” :
Dans les groupements sociaux victimes du racisme, on peut distinguer les mêmes phases ; nous suivons, en la modifiant un peu, la pensée d’un ethnologue cubain, Fernando Ortiz.
La phase hostile : par exemple, les Blancs établissent des comptoirs en Afrique et font la traite des Noirs, qui se rebellent, se suicident. C’est aussi par l’installation des puissances européennes en Afrique, et en Asie.
La phase transitoire : le Blanc exploite le Noir par l’esclavage en Amérique. Le Noir adopte une attitude hypocrite, la sexualité unit bientôt les races par le métissages ; le Blanc cède à son fils mulâtre, le Noir qui a perdu sa patrie et son passé historique, s’adapte à sa nouvelle “ patrie ”. En Algérie, l’Arabe est exploité, il sabote son travail, mais il n’y a pas de mouvement de résistance organisé.
La phase adaptative : en Amérique les individus de couleur (mulâtres et noirs) essaient de dépasser leur condition d’infériorité en imitant le Blanc en tout, le bien comme le mal. Le Métis accède à des situations équivalentes à celles des Blancs, mais dans sa vie, il y a une frustration constante, il n’est pas un Blanc pur. Il fuit ses parents de couleur plus sombre que la sienne. Toute la gamme des noms pour différencier les teintes entre le blanc et le noir apparaissent, et font l’objet de jalousie, le moins noir étant le plus noble : “ cabolo, escuro, cagra, cap vert, moreno, chulo, sarura, etc. au Brésil ”. Le Métis est comme un lépreux qui cache son infirmité, c’est l’autoracisme. Le Mulâtre ne se sent ni blanc, ni noir : à Haïti, pendant la guerre d’Indépendance il est tantôt avec les Blancs, contre les Noirs, tantôt avec les Noirs contre les Blancs. Le Mulâtre a honte de lui-même, il est “ négrophobe ” dit Daniel Guérin dans les “ Antilles décolonisées ”.
Le phénomène n’est pas circonscrit aux Noirs, il existe dans toutes les populations métissées ou transplantées. En Indonésie, les fils de Chinois sont divisés entre ceux qui se veulent chinois, ceux qui se veulent indonésiens, et ceux qui hésitent et qui fuient la présence des uns et des autres.
Mais cette tare morale prend toute son acuité dans le judaïsme. Elle existe sur trois plans : religieux, national et politique.
Sur le plan religieux, le Juif libre-penseur est accusé de trahir la communauté juive au profit des “ goyim ” (non-juifs). En Israël, des parents qui voulaient élever laïquement leur fils ont vu les rabbins le leur enlever pour lui donner une éducation religieuse (l’enfant vient d’être retrouvé chez un rabbin).
Sur le plan national, les Juifs ont honte des réfugiés juifs de l’étranger qui viennent ; croient-ils, troubler la paix, gêner leur intégration dans le pays, provoquer l’anti-sémitisme. Amouroux raconte dans “ La vie des Français sous l’occupation ”, comment au camp de Drancy les Juifs français faisaient bande à part.
“ Les Juifs français n’étaient pas solidaires de nous. Ils nous ont considérés comme des Juifs inférieurs, et ils disaient à qui voulait les entendre, que nous étions cause de leurs malheurs ” (un témoin).
Sur le plan politique, les Juifs militants de mouvements internationalistes (depuis le fascisme jusqu’au communisme), les Juifs athées ont une haine souvent raciste du Juif qui se considère comme juif, et qui met donc en cause leur militantisme, les rend suspects aux yeux des autres militants non juifs. Trotsky alla plus loin : comme on lui demandait d’arrêter un pogrom, il répondit qu’il ne connaissait aucune différence de religion ou de nationalité. Sur les complexes du Juif communiste, voir Fëjto “ Dieu et son Juif ”.
La phase revendicatrice : elle naît avec la prise de conscience du passé et de la race. En Amérique, à Cuba, plus exactement, les relations entre Blancs et Noirs se font sur un pied d’égalité, les préjugés d’autodénigration disparaissent. Au Mexique, le philosophe Vasconcelos affirme (vers 1950) :
“ Je vois le triomphe lointain, mais non impossible de cette aventure du métissage, le seul espoir du monde ”.
Aux USA, Israël Zanwill disait (vers 1900) :
“ Je vous le dis, il (le futur américain) sera la fusion de toutes les races, peut-être le futur surhomme ”.
Mais c’est aussi la prise de conscience actuelle des pays sous-développés (Algérie, Chine, etc.) qui subissent l’exploitation raciste.
C’est également pour le judaïsme le fait que de nombreux Juifs ont toujours participé aux révolutions. Les éléments juifs avancés y voient là le seul moyen de dépasser le racisme par un universalisme concret. Ils y participent d’autant plus que, comme les ouvriers, ils n’y ont rien à perdre et tout à gagner (bien que le fascisme ait attiré les Juifs en Italie seulement – cf. Malaparte, “ Mamma Marcia ”).
Tous ces mouvements s’accompagnent d’un racisme à rebours contre les racistes d’hier, la xénophobie.
“ Tout non juif, qu’il le veuille ou non, participe à l’oppression du Juif ” (Memmi, page 54).
“ Lorsqu’un colonisé entend un discours sur la culture occidentale, il sort sa machette, ou du moins il s’assure qu’elle est à portée de main ” (Fanon, “ Les damnés de la terre, page 35).
“ Le vrai, c’est ce qui précipite la dislocation du régime colonial, c’est ce qui favorise l’émergence de la nation ” (page 39).
“ Qu’est-ce donc en réalité que cette violence ? C’est l’intuition qu’ont les masses colonisées que leur libération doit se faire, et ne peut se faire que par la force ” (page 55).
On note la similitude avec le nazisme :
“ Quand j’entends le mot culture, j’arme mon revolver ” (Goering).
Similitude qui ne s’arrête pas au mot, l’Allemagne de Hitler interdit le mariage aryen-non aryen, Israël interdit le mariage juif-non juif, (pas de mariage laïc) ; l’apartheid d’Afrique du Sud existe en Israël contre les Arabes (les fermes d’État sont réservées aux familles avec interdiction d’employer la main d’œuvre qui risquerait d’être arabe). La communauté juive d’Afrique du Sud, ne proteste pas contre l’apartheid.
La dernière phase : l’intégration toute belle, est toujours future. C’est la fusion et la confusion des cultures et des races.
Le racisme est avant tout :
“ Une condition d’oppression, tout comme la condition coloniale, celle du prolétaire ou celle de la femme ” (Memmi).
Le racisme se fonde sur un ordre social : la hiérarchie (des êtres et des classes) ; sur une philosophie, la religion élue (catholicisme), le peuple élu (fascisme), la classe élue (communisme), la race élue (Blancs, etc.).
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