La Presse Anarchiste

Pour une conception libertaire sur le racisme

Cette ques­tion nous tient par­ti­cu­liè­re­ment en éveil ; nous ne connais­sons que peu d’ouvrages qui traitent le pro­blème d’un point de vue anar­chiste : le livre “ le Juif anti­sé­mite ” de Camil­lo Ber­ne­ri est un de ceux-là [[Cf éga­le­ment “N&R” n°18, “pré­ju­gés racistes”.]]. C’est pour­quoi nous allons ten­ter d’envisager le pro­blème dans son ensemble autour de deux questions :
– pour­quoi le racisme existe-t-il ?
– com­ment le faire disparaître ?

Les causes

La race : la ques­tion du racisme implique la notion de race. Cette notion est rela­ti­ve­ment récente (vers 1850), elle est fon­dée prin­ci­pa­le­ment sur les dif­fé­rences crâ­niennes des êtres humains. Ceci est vrai en théo­rie mais en pra­tique, les peuples, les nations sont tel­le­ment mélan­gés que les pays de race pure sont inexis­tants. Les tenants de cette théo­rie – Gobi­neau et autres – vou­laient démon­trer qu’il existe une hié­rar­chie dans les races, aus­si cher­chèrent-ils d’autres argu­ments pour arri­ver à leurs fins. La langue, les carac­tères moraux, la civi­li­sa­tion, etc. devinrent les nou­veaux cri­tères de la race, qui tous abou­tis­saient à une hié­rar­chie de la race, celle de l’auteur étant, on s’en doute, la meilleure.

Il existe cepen­dant, d’un point de vue bio­lo­gique, trois grands rameaux raciaux : blanc, jaune, noir, et cha­cun com­prend une demi-dou­zaine de sous-divi­sions, sans comp­ter les mélanges. Bref, qu’on retourne la ques­tion de tous les côtés, la race est un mythe. Mais ce qui est cer­tain en revanche c’est que le racisme est le paravent d’un anta­go­nisme. Quel anta­go­nisme ? C’est là tout le problème.

Le racisme (c’est-à-dire la haine d’autrui) appa­raît dans cer­taines condi­tions : coha­bi­ta­tion de plu­sieurs groupes sociaux dif­fé­rents, pas obli­ga­toi­re­ment de races dif­fé­rentes. La preuve en est que les racistes ont appli­qué le mot race aux Juifs. Les Juifs, en effet, et l’État d’Israël le prouve, ne sont pas une race, mais un ensemble reli­gieux. Par­ler de race catho­lique ou juive, c’est la même bêtise.

Pour­tant, dira-t-on, on les voit les Juifs, et le type juif ?

Il faut savoir que le type dit juif, pro­pa­gé par les anti­sé­mites fas­cistes, cor­res­pond au type du juif d’Europe cen­trale, ou ash­ke­na­zi, ori­gi­naire d’Arabie (du reste le plus par­fait repré­sen­tant du type juif en ques­tion est le colo­nel Nas­ser – voyez sa pho­to). En réa­li­té les Juifs sont bien plus mélan­gés : il y a, à côté des ash­ke­na­zim, les sephar­dim, ori­gi­naires d’Espagne, et de type espa­gnol ; en outre, il y a des Juifs jaunes, noirs, et même aztèques. La ques­tion juive, la per­sis­tance du judaïsme est le fait de l’antisémitisme qui depuis 2 000 ans (cf. plus loin) oblige le Juif à res­ter juif.

La ques­tion est donc claire : le racisme cor­res­pond à un anta­go­nisme. Voyons-en les causes.

L’économie :

Le racisme a des bases éco­no­miques cer­taines. Mais pas l’économie telle qu’on l’a ridi­cu­li­sée chez les appren­tis mar­xistes du PC, en en fai­sant un dieu qui vient rem­pla­cer celui dont on s’est à peine dégrossi.

Le racisme peut naître d’une lutte entre tra­vailleurs de natio­na­li­té, voire de races, dif­fé­rentes. Mais en ce cas, il s’agit d’un expé­dient, d’un sub­ter­fuge que le capi­ta­lisme et l’État emploient – au même titre que le chau­vi­nisme et l’ignorance – pour divi­ser les tra­vailleurs. Ain­si, en France, les ouvriers fran­çais n’ont pas aidé en géné­ral des ouvriers algé­riens (cf. NR n° 18), pour eux, c’était “ les bicots ”. Les Algé­riens sont deve­nus des boucs émis­saires res­pon­sables de tout.

C’est à cela que sert le racisme : jus­ti­fier l’exploitation des ouvriers étran­gers aux yeux des natio­naux, pour­tant eux aus­si exploi­tés ; et faire diver­ger tout mou­ve­ment de reven­di­ca­tion. La récente hausse des prix en URSS, a été pré­cé­dée par des condam­na­tions à mort de Juifs pour dif­fé­rentes rai­sons, ce sont les boucs émissaires.

“ Aux Etats-Unis, 16 lois de métier excluent les noirs… Dans de nom­breux cas, les blancs vont jusqu’à se mettre en grève pour obli­ger les noirs à res­ter à leur place… Tra­vailler à côté d’un noir ne gêne pas un blanc pour­vu que le noir soit sous sa direc­tion ” (Fede­li, Uma­ni­tà Nova, 16/​09/​1962).

Le racisme étouffe la soli­da­ri­té et la conscience ouvrière, il est créé par­fois arti­fi­ciel­le­ment pour ber­ner le pro­lé­ta­riat. En Afrique du Sud, les “ petits blancs ”, c’est-à-dire les blancs aux situa­tions modestes, sont les plus oppo­sés à l’accession à l’emploi des pro­lé­taires de cou­leur car le capi­ta­lisme les paie moins pour le même tra­vail. La menace d’amener des Chi­nois et des Japo­nais aux USA, Nou­velle-Zélande et Aus­tra­lie pour créer un sous-pro­lé­ta­riat est une menace que l’État emploie pour manœu­vrer les ouvriers.

Selon le livre “ le conflit judéo-arabe ” d’Abdel Kader (édi­tions Mas­pé­ro) ce conflit est le reflet de la lutte des impé­ria­lismes anglais et fran­çais en Égypte et en Syrie ; les Anglais pré­sen­tant les Juifs comme des espions fran­çais, dési­rant la perte des Arabes. Avec l’installation d’entreprises juives en Pales­tine, qui employaient des ouvriers arabes, créant un pro­lé­ta­riat et en outre plus payé que dans les grandes pro­prié­tés des féo­daux arabes, ces der­niers réagirent en inci­tant les masses arabes à l’antisémitisme.

Durant les crises éco­no­miques, l’État encou­rage ou laisse faire, le racisme qui est un exu­toire, pen­dant que les gens tuent un pauvre diable, ils ne pensent pas aux res­pon­sables. En 1913, une mévente du coton entraîne une crise en Géor­gie, USA ; un Juif est lyn­ché. Du reste, pour le sud des USA, le pour­cen­tage de lyn­chages des noirs s’accroît avec les dif­fi­cul­tés économiques.

Mais ce que l’économie n’explique pas, c’est l’ampleur de la ségré­ga­tion, du racisme. Il est évident qu’économiquement, le capi­tal doit don­ner un salaire suf­fi­sant au pro­lé­ta­riat pour qu’il puisse pro­duire. Or, dans le sud des USA, en Afrique du Sud, etc. il semble que le capi­tal pré­fère moins de pro­duc­tion à l’amélioration des condi­tions de vie du pro­lé­ta­riat de cou­leur. Son racisme n’est donc pas basé exclu­si­ve­ment sur un rai­son­ne­ment éco­no­mique. De même les noirs riches, (donc théo­ri­que­ment admis par la socié­té), sont tou­jours en proie au racisme. L’économie n’est pas un fac­teur créa­teur, mais bien plu­tôt un accé­lé­ra­teur du racisme. Pen­dant la deuxième guerre,

“ Les nazis ont tué six mil­lions de Juifs appar­te­nant à vingt pays dif­fé­rents, riches ou pauvres, célèbres ou inconnus ”.

dit Ehren­bourg, pour­tant marxiste.

La religion :

La reli­gion ne sera pas envi­sa­gée en tant que puis­sance spi­ri­tuelle, mais en tant qu’idéologie mas­quant et jus­ti­fiant un sys­tème éco­no­mique ou politique.

Le péla­gisme, l’arianisme, sont autant des conflits poli­tiques que théo­lo­giques. La Réforme et la Contre-réforme sont une riva­li­té entre deux sys­tèmes éco­no­miques, se déve­lop­pant dans des pays aux buts poli­tiques divergents.

“ Toute révo­lu­tion reli­gieuse est en réa­li­té une révo­lu­tion sociale ” (A. Léon, “ Concep­tion maté­ria­liste de la ques­tion juive ”, page 142).

La lutte entre Chré­tiens et Juifs s’explique par une oppo­si­tion de concep­tions économiques.

Les Juifs sont les héri­tiers des phé­ni­ciens, ce sont des mar­chands, ils servent pra­ti­que­ment pen­dant un mil­lé­naire, d’intermédiaires entre les pays, dans le bas­sin médi­ter­ra­néen, puis en Europe, et enfin entre l’Orient et l’Occident. Le chris­tia­nisme dont l’idéologie favo­rise la déma­go­gie (para­dis) et le cen­tra­lisme (dieu unique) se répand dans les pays de struc­ture agraire, à ten­dance autar­cique. Les inté­rêts des deux reli­gions divergent et des conflits surgissent :

“ La cause de l’antisémitisme antique est la même que l’antisémitisme médié­val ; l’opposition de toute socié­té basée prin­ci­pa­le­ment sur la pro­duc­tion des valeurs d’usage à l‘égard des mar­chands ” (A. Léon, page 6).

Le conflit prend toute son acui­té à par­tir du 12ème siècle avec le déve­lop­pe­ment des échanges avec l’Orient.

En outre des jus­ti­fi­ca­tions reli­gieuses aggravent le conflit et même le rem­placent pour le trans­for­mer en racisme pure­ment reli­gieux, c’est-à-dire que le départ éco­no­mique est com­plè­te­ment dépas­sé. Les Juifs sont usu­riers, l’argent est mau­dit, ils sont les assas­sins du Christ. Dans les pays chré­tiens on chas­sait les Juifs et on sai­sis­sait leurs biens quand l’État avait besoin d’argent, puis on les lais­sait reve­nir, et ain­si de suite. Presque tout autre métier qu’usurier ou ban­quier leur fut inter­dit : Saint Louis leur fit por­ter l’étoile jaune, Saint Vincent Fer­rier orga­ni­sa des pogroms, où des mil­liers de Juifs furent mas­sa­crés et les sur­vi­vants baptisés.

Cet achar­ne­ment est aug­men­té par le fait que le Juif :

“ … incarne la néga­tion, le refus, la contre-véri­té… Si le Juif a rai­son, la chré­tien­té n’est qu’une illu­sion. Si le Chré­tien a rai­son, le Juif est un ana­chro­nisme ” (Fëj­to, “ Dieu et son Juif ”, page 34).

Ain­si la reli­gion chré­tienne a empê­ché le Juif de sor­tir de sa condi­tion éco­no­mique, elle a col­por­té l’antisémitisme à tra­vers les âges. L’antisémitisme chré­tien est insé­pa­rable de la poli­tique, d’où le double rôle de l’antisémitisme pour la foi, pour l’État.

La Révo­lu­tion fran­çaise vint et modi­fia pour la pre­mière fois la situa­tion des Juifs en fai­sant d’eux des citoyens (non sans dis­tin­guer les séphar­dim 1789 des ash­ke­na­zim 1790). Robes­pierre eut une for­mule qu’il est bon de rap­pe­ler : “ les vices des Juifs naissent de l’avilissement dans lequel vous les plon­gez, ils seront bons quand ils pour­ront trou­ver quelques avan­tages à l’être. ”

Cepen­dant l’antisémitisme chré­tien réap­pa­raît avec l’affaire Drey­fus. Un évêque bre­ton réclame une des­cente de lit en peau de Juif, on le voit les nazis n’ont rien inven­té. De plus la sépa­ra­tion de l’église et…

“ …de l’État conduit non à l’élimination de l’intolérance, mais à son dépla­ce­ment de la sphère reli­gieuse vers les sphères poli­tiques, sociales ” (Fëj­to, page 35).

Donc le catho­li­cisme est bien l’unique inven­teur de l’antisémitisme. Il a créé un cli­mat raciste.

“ … si je pré­fère l’oubli de moi et l’abstraction, les autres eux, n’oublient pas et conti­nû­ment, pesam­ment, se char­ge­ront de me rap­pe­ler à moi-même ” (Mem­mi, “ por­trait d’un juif ”, page 15).

Isaac dans “ L’antisémitisme a‑t-il des racines chré­tiennes ”, démontre que l’antisémitisme actuel, même s’il n’est plus pro­fes­sé ouver­te­ment par l’Église, (n’oublions pas que Eich­mann et d’autres, gagnèrent l’Argentine grâce à une orga­ni­sa­tion jésuite… de Rome), est catho­lique dans son essence.

La reli­gion catho­lique n’a pas que ce racisme à son actif. La décou­verte de l’Amérique posa le pro­blème des indi­gènes : est-ce que ce sont des hommes comme nous ? La réponse fut oui à Rome, non en Amé­rique, où les Jésuites per­mirent les mas­sacres des Indiens dans les camps de concen­tra­tion que pré­fi­gu­raient les mines d’or et d’argent. Un domi­ni­cain, Las Casas, rival des Jésuites, dénon­ça leurs crimes affreux et en toute cha­ri­té chré­tienne deman­da qu’on échange la main d’œuvre indienne pour celle des noirs (ce qu’il regret­ta, dit-on). Comme il n’y avait pas d’autres ordres reli­gieux inté­res­sés par l’Amérique, aucun catho­lique ne dénon­ça la traite des nègres.

La reli­gion pro­tes­tante, en Afrique du Sud seule­ment, se fonde sur la bible pour bénir le racisme anti-noir. Genèse, IX 25 :

“ Mau­dit soit Canaan, il sera ser­vi­teur des ser­vi­teurs de ses frères ”.

Les mariages entre blancs et noirs sont inter­dits par les pasteurs.

Dans les autres reli­gions, le carac­tère racial semble moins déve­lop­pé (il est vrai que le racisme est une inven­tion occi­den­tale). Cepen­dant l’Islam, dans le Coran, pré­sente des aspects aus­si bien anti­sé­mites que phi­lo­sé­mites, mais l’antisémitisme arabe a tou­jours été plus modé­ré qu’en pays chrétien.

Les doctrines :

Au 18sup>ème et au 19ème siècle, la reli­gion est com­bat­tue par les libres-pen­seurs ; des sys­tèmes phi­lo­so­phiques athées s’élaborent. Rous­seau dans le contrat social oppose à la concep­tion d’Aristote jus­ti­fiant l’esclavage, le fait qu’un homme “ né dans l’esclavage naît pour l’esclavage ” et que donc l’égalité civile,

“ sub­sti­tue une éga­li­té morale et légi­time à ce que la nature a pu mettre d’inégalité phy­sique entre les hommes… Ils deviennent égaux par conven­tion et de droit ”.

L’égalité abso­lue est pro­cla­mée et par­tout le racisme est condam­né géné­ra­le­ment, car Vol­taire est anti­sé­mite. Le fait n’est pas pour sur­prendre car les pre­miers athées emprun­taient, sans les dis­cu­ter, pen­sées et pré­ju­gés de la reli­gion même qu’ils combattaient.

Prétention biologique :

Repre­nant le flam­beau raciste aux catho­liques, les doc­trines racistes naissent. Pre­nons le livre de Car­rel, prix Nobel, “ L’homme cet incon­nu ” (édi­tions Livre de poche), lisons : 

“ Il faut se deman­der si la grande dimi­nu­tion de la mor­ta­li­té pen­dant l’enfance et la jeu­nesse, ne pré­sente pas quelques incon­vé­nients. En effet, les faibles sont conser­vés comme les forts. La sélec­tion natu­relle ne joue plus ”.

Vous vou­lez des éclair­cis­se­ments ? (page 140) :

“ Il ne faut pas don­ner aux jeunes filles la même for­ma­tion intel­lec­tuelle, le même genre de vie, le même idéal qu’aux garçons ”.

Page 162 :

“ L’homme est le plus résis­tant de tous les ani­maux. Et la race blanche qui a construit notre civi­li­sa­tion, est la plus résis­tance de toutes les races ”.

(Remar­quez le style de caté­chisme de ces phrases).

Page 300 :

“ En France, les popu­la­tions du Nord sont bien supé­rieures à celles des bords de la Médi­ter­ra­née. Les races infé­rieures habitent géné­ra­le­ment les régions où la lumière est vio­lente et la tem­pé­ra­ture moyenne élevée ”.

Encore une petite pré­ci­sion, page 308 :

“ Elle (la pas­sion de conqué­rir) est l’inspiratrice de toutes les grandes aven­tures. Elle a mené Pas­teur à la réno­va­tion de la méde­cine, Mus­so­li­ni à la construc­tion d’une grande nation ”.

Sans com­men­taires, sauf que le livre a été écrit en 1939.

Page 374 :

“ La stan­dar­di­sa­tion des êtres humains par l’idéal démo­cra­tique a assu­ré la pré­do­mi­nance des faibles ”.

Page 408 :

“ On ren­contre, même chez les pro­lé­taires des sujets capables d’un haut déve­lop­pe­ment. Mais ce phé­no­mène est peu fré­quent. En effet, la répar­ti­tion de la popu­la­tion d’un pays en dif­fé­rentes classes, n’est pas l’effet du hasard, ni des conven­tions sociales. Elle a une base socio­lo­gique pro­fonde… Ceux qui sont aujourd’hui des pro­lé­taires doivent leur situa­tion à des défauts héré­di­taires de leur corps et de leur esprit ”.

Page 409 :

“ Pour la per­pé­tua­tion d’une élite, l’eugénisme est indispensable ”.

Page 411 :

“ En fait, l’eugénisme demande le sacri­fice de beau­coup d’individus ”

(Les Juifs l’ont remarqué).

La der­nière phrase, page 439 :

“ Sur la voie nou­velle, il faut dès à pré­sent nous avancer (!) ”.

À la lec­ture du fran­çais Car­rel, on devine ce que pou­vaient dire les bio­lo­gistes nazis, mais exa­mi­nons les argu­ments de Car­rel. La sélec­tion per­met­trait d’avoir une élite, et donc l’hérédité serait quelque chose d’assez sem­blable aux plantes, on pour­rait iso­ler cer­tains carac­tères, et les amé­lio­rer spec­ta­cu­lai­re­ment. Mal­heu­reu­se­ment Car­rel oublie de dire que tout cela, la bio­lo­gie ne le per­met pas actuel­le­ment. Ros­tand, sur le même sujet dit (en 1942 pourtant) :

“ Les méca­nismes de l’hérédité, on l’a vu per­mettent à des indi­vi­dus de trans­mettre des carac­tères qu’ils ne pos­sèdent pas, ou de ne pas trans­mettre ceux qu’ils pos­sèdent ” (“ L’homme ”, col­lec­tion Idée, page 78).

“ Le cer­tain, c’est qu’à tous les niveaux de la socié­té, il y a de bons et de mau­vais gènes, à peu près dans les mêmes pro­por­tions. Pour le bio­lo­giste, il n’y a pas de classes, il n’y a que des indi­vi­dus ” (page 82).

“ Lorsque nous par­lons de l’homme et de la femme, il ne faut jamais oublier que nous com­pa­rons non pas deux types natu­rels et bio­lo­giques, mais deux types arti­fi­ciels et sociaux ” (page 98).

Cepen­dant Ros­tand est d’accord avec Car­rel sur la sélection :

“ … Par effet de la civi­li­sa­tion, nul pro­grès à espé­rer pour l’animal humain, mais une déca­dence à craindre ” (page 138).

Sur l’eugénisme des réserves :

“ L’eugénique néga­tive (sup­pres­sion des êtres trop déshé­ri­tés) ne vise qu’à raré­fier les tares héré­di­taires. Elle est inca­pable de faire pro­gres­ser l’humanité ” (page 145).

On voit com­ment des idées pseu­do-scien­ti­fiques, sélec­tion et eugé­nisme, peuvent être défor­mées au point de ser­vir la pire des idéologies.

Le fascisme :

Il repose sur le vieil anti­sé­mi­tisme qu’a inven­té le catho­li­cisme, et sur une bio­lo­gie à la “ Car­rel ”. La conjonc­tion des deux a don­né ce que l’on sait. Deux mots suf­fisent à rendre compte de cette “ philosophie ”.

Le fléau social, la cause de tous les mal­heurs de l’Allemagne, ce sont les Juifs :

“ Dans ses veines coule le sang des Alle­mands nor­diques mêlé à celui des Mon­gols et des Nègres, d’où son aspect phy­sique ” (Streit­cher).

“ Tout ce qui dans le monde entier s’imprime contre l’Allemagne est écrit par des Juifs ” (Hit­ler).

La France :

“ … aiguillon­née par sa soif de ven­geance est sys­té­ma­ti­que­ment gui­dée par les Juifs ” (Hit­ler).

Le mar­xisme est “ une doc­trine juive ” (Hit­ler). Ce n’est rien d’autre qu’un chau­vi­nisme, avec son éter­nel corol­laire : les boucs émissaires.

Notons que si, en 1938, les Juifs alle­mands étaient pour les Alle­mands des espions fran­çais, pour la droite fran­çaise, les Juifs fran­çais étaient des espions allemands.

Le communisme :

Marx a sim­pli­fié la question : 

“ Une orga­ni­sa­tion de la socié­té qui sup­pri­me­rait les bases du tra­fic et par consé­quent le tra­fic lui-même, ren­drait le Juif impos­sible ” (“ La ques­tion juive ”).

C’est-à-dire que dans un pays socia­liste la ques­tion juive, pure­ment éco­no­mique selon Marx, n’a plus de rai­son d’être.

Voyons ce qu’il en est en URSS. L’hébreu est :

“ Une langue du pas­sé bour­geois, reli­gieux et réactionnaire ”.

“ L’idée sio­niste (c’est-à-dire le retour des Juifs en Pales­tine ou ailleurs, mais de toute façon leur regrou­pe­ment) est com­plè­te­ment fausse et réac­tion­naire par son conte­nu ” (Lénine).

Pour une fois une ana­lyse mar­xiste de cette socié­té mar­xiste explique l’antisémitisme des mar­xistes. La Rus­sie, iso­lée par le blo­cus des autres nations fait face à des pro­blèmes éco­no­miques ardus, une ter­rible famine (vers 1920) ravage le pays. La guerre contre la réac­tion blanche et ensuite contre les anar­chistes, à peine oubliée, Lénine meurt, Sta­line lutte contre Trots­ky. Il faut trou­ver une expli­ca­tion aux dif­fi­cul­tés éco­no­miques, aux erreurs du régime, et à la riva­li­té Sta­line-Trots­ky. Le vieil anti­sé­mi­tisme pro­pa­gé par les tzars fai­sant des Juifs les boucs émis­saires, est néces­sai­re­ment repris, étant don­né l’infrastructure éco­no­mique du pays. Et les Juifs deviennent des sabo­teurs à la solde du capi­ta­lisme, qui est juif en grande par­tie (au même moment Hit­ler disait que les Juifs étaient des sabo­teurs à la solde du com­mu­nisme, qui est lui aus­si juif en grande par­tie). Pour plus de ren­sei­gne­ments, se réfé­rer à “ L’antisémitisme dans les démo­cra­ties popu­laires ”, de Fëjto.

Notons qu’aujourd’hui les sio­nistes sont en URSS des espions amé­ri­cains, et aux USA, la droite parle de “ la conspi­ra­tion sio­niste bol­che­vique ” et “ la conspi­ra­tion juive pour abâ­tar­dir la race blanche ”.

RÉSUMONS notre démarche : le racisme appa­raît à par­tir d’un anta­go­nisme impul­sé par une situa­tion éco­no­mique et qui trouve sa totale expres­sion dans les mou­ve­ments reli­gieux, poli­tiques, etc.

Il semble qu’il y ait chez l’homme une faci­li­té à tom­ber dans le racisme, soit par l’ignorance (éco­no­mie, reli­gion), soit par la pro­pa­gande (poli­tique). Essayons d’aborder direc­te­ment ce que nous croyons être la cause du racisme.

La sexualité :

Dans les lyn­chages des Noirs, dans les accu­sa­tions contre les Juifs, les mêmes reproches reviennent : “ viols, abâ­tar­dir ”. Le fac­teur sexuel est par­tout : une des pre­mières mesures de Hit­ler est d’interdire les mariages entre Alle­mands et Juifs. Lorsque des racistes veulent vous embar­ras­ser, ils vous demandent inévi­ta­ble­ment : “ accep­te­riez-vous que votre fille épouse un Noir, ou que votre mère se rema­rie avec un Noir ? ”. Il se gardent bien de deman­der : “ accep­te­riez-vous que votre filspère se rema­rie avec une Noire ? ”, parce qu’ils savent qu’ainsi posée la ques­tion ne blesse pas. Notre socié­té vit sur une concep­tion sexuelle par­ti­cu­lière qu’il faut dénon­cer.

Les groupes tri­baux s’organisent selon deux concep­tions du mariage, endo­ga­mique (à l’intérieur), exo­ga­mique (à l’extérieur). L’endogamie oblige les membres du groupe à se marier entre eux, et donc le carac­tère eth­nique se conserve, mais pour la majo­ri­té des cas, il y a exo­ga­mie. On pense que le pas­sage de l’endogamie à l’exogamie s’explique par les incon­vé­nients des mariages consan­guins et aus­si par les avan­tages poli­tiques de l’exogamie. En effet, l’exogamie inter­dit le mariage entre indi­vi­dus d’une même famille, d’une même tri­bu ou du même totem, les mariages ont donc lieu entre clans étran­gers, ce qui faci­lite les alliances poli­tiques. Dans notre socié­té, nous aurions ten­dance à l’endogamie : dans chaque pays un culte du mâle se déve­loppe au détri­ment de la femelle. Le mariage d’un blanc et d’une noire est géné­ra­le­ment accep­té parce qu’il s’agit d’un homme, et le mâle puri­fie en quelque sorte la femelle. Mais quand une Blanche épouse un Noir, les Blancs ont ten­dance à se sen­tir lésés, on vient leur prendre leurs femelles dans leur chasse gar­dée. Et le fait est que la menace sexuelle est tou­jours bran­die par les racistes.

Pour nous, le racisme est un phé­no­mène sexuel modi­fié par des carac­tères idéo­lo­giques et économiques.

Les remèdes :

Pour sup­pri­mer tota­le­ment le racisme, un chan­ge­ment des atti­tudes sexuelles et donc spi­ri­tuelles et éco­no­miques, est néces­saire. En un mot, c’est la lutte totale contre l’État.

Mais une étude du racisme doit expli­quer les réac­tions des vic­times, qui paraissent impré­vi­sibles et déroutantes.

Le “ racisé ” :

Dans les grou­pe­ments sociaux vic­times du racisme, on peut dis­tin­guer les mêmes phases ; nous sui­vons, en la modi­fiant un peu, la pen­sée d’un eth­no­logue cubain, Fer­nan­do Ortiz.

La phase hos­tile : par exemple, les Blancs éta­blissent des comp­toirs en Afrique et font la traite des Noirs, qui se rebellent, se sui­cident. C’est aus­si par l’installation des puis­sances euro­péennes en Afrique, et en Asie.

La phase tran­si­toire : le Blanc exploite le Noir par l’esclavage en Amé­rique. Le Noir adopte une atti­tude hypo­crite, la sexua­li­té unit bien­tôt les races par le métis­sages ; le Blanc cède à son fils mulâtre, le Noir qui a per­du sa patrie et son pas­sé his­to­rique, s’adapte à sa nou­velle “ patrie ”. En Algé­rie, l’Arabe est exploi­té, il sabote son tra­vail, mais il n’y a pas de mou­ve­ment de résis­tance organisé.

La phase adap­ta­tive : en Amé­rique les indi­vi­dus de cou­leur (mulâtres et noirs) essaient de dépas­ser leur condi­tion d’infériorité en imi­tant le Blanc en tout, le bien comme le mal. Le Métis accède à des situa­tions équi­va­lentes à celles des Blancs, mais dans sa vie, il y a une frus­tra­tion constante, il n’est pas un Blanc pur. Il fuit ses parents de cou­leur plus sombre que la sienne. Toute la gamme des noms pour dif­fé­ren­cier les teintes entre le blanc et le noir appa­raissent, et font l’objet de jalou­sie, le moins noir étant le plus noble : “ cabo­lo, escu­ro, cagra, cap vert, more­no, chu­lo, saru­ra, etc. au Bré­sil ”. Le Métis est comme un lépreux qui cache son infir­mi­té, c’est l’autoracisme. Le Mulâtre ne se sent ni blanc, ni noir : à Haï­ti, pen­dant la guerre d’Indépendance il est tan­tôt avec les Blancs, contre les Noirs, tan­tôt avec les Noirs contre les Blancs. Le Mulâtre a honte de lui-même, il est “ négro­phobe ” dit Daniel Gué­rin dans les “ Antilles décolonisées ”.

Le phé­no­mène n’est pas cir­cons­crit aux Noirs, il existe dans toutes les popu­la­tions métis­sées ou trans­plan­tées. En Indo­né­sie, les fils de Chi­nois sont divi­sés entre ceux qui se veulent chi­nois, ceux qui se veulent indo­né­siens, et ceux qui hésitent et qui fuient la pré­sence des uns et des autres.

Mais cette tare morale prend toute son acui­té dans le judaïsme. Elle existe sur trois plans : reli­gieux, natio­nal et poli­tique.

Sur le plan reli­gieux, le Juif libre-pen­seur est accu­sé de tra­hir la com­mu­nau­té juive au pro­fit des “ goyim ” (non-juifs). En Israël, des parents qui vou­laient éle­ver laï­que­ment leur fils ont vu les rab­bins le leur enle­ver pour lui don­ner une édu­ca­tion reli­gieuse (l’enfant vient d’être retrou­vé chez un rabbin).

Sur le plan natio­nal, les Juifs ont honte des réfu­giés juifs de l’étranger qui viennent ; croient-ils, trou­bler la paix, gêner leur inté­gra­tion dans le pays, pro­vo­quer l’anti-sémitisme. Amou­roux raconte dans “ La vie des Fran­çais sous l’occupation ”, com­ment au camp de Dran­cy les Juifs fran­çais fai­saient bande à part.

“ Les Juifs fran­çais n’étaient pas soli­daires de nous. Ils nous ont consi­dé­rés comme des Juifs infé­rieurs, et ils disaient à qui vou­lait les entendre, que nous étions cause de leurs mal­heurs ” (un témoin).

Sur le plan poli­tique, les Juifs mili­tants de mou­ve­ments inter­na­tio­na­listes (depuis le fas­cisme jusqu’au com­mu­nisme), les Juifs athées ont une haine sou­vent raciste du Juif qui se consi­dère comme juif, et qui met donc en cause leur mili­tan­tisme, les rend sus­pects aux yeux des autres mili­tants non juifs. Trots­ky alla plus loin : comme on lui deman­dait d’arrêter un pogrom, il répon­dit qu’il ne connais­sait aucune dif­fé­rence de reli­gion ou de natio­na­li­té. Sur les com­plexes du Juif com­mu­niste, voir Fëj­to “ Dieu et son Juif ”.

La phase reven­di­ca­trice : elle naît avec la prise de conscience du pas­sé et de la race. En Amé­rique, à Cuba, plus exac­te­ment, les rela­tions entre Blancs et Noirs se font sur un pied d’égalité, les pré­ju­gés d’autodénigration dis­pa­raissent. Au Mexique, le phi­lo­sophe Vas­con­ce­los affirme (vers 1950) :

“ Je vois le triomphe loin­tain, mais non impos­sible de cette aven­ture du métis­sage, le seul espoir du monde ”.

Aux USA, Israël Zan­will disait (vers 1900) :

“ Je vous le dis, il (le futur amé­ri­cain) sera la fusion de toutes les races, peut-être le futur surhomme ”.

Mais c’est aus­si la prise de conscience actuelle des pays sous-déve­lop­pés (Algé­rie, Chine, etc.) qui subissent l’exploitation raciste.

C’est éga­le­ment pour le judaïsme le fait que de nom­breux Juifs ont tou­jours par­ti­ci­pé aux révo­lu­tions. Les élé­ments juifs avan­cés y voient là le seul moyen de dépas­ser le racisme par un uni­ver­sa­lisme concret. Ils y par­ti­cipent d’autant plus que, comme les ouvriers, ils n’y ont rien à perdre et tout à gagner (bien que le fas­cisme ait atti­ré les Juifs en Ita­lie seule­ment – cf. Mal­a­parte, “ Mam­ma Marcia ”).

Tous ces mou­ve­ments s’accompagnent d’un racisme à rebours contre les racistes d’hier, la xéno­pho­bie.

“ Tout non juif, qu’il le veuille ou non, par­ti­cipe à l’oppression du Juif ” (Mem­mi, page 54).

“ Lorsqu’un colo­ni­sé entend un dis­cours sur la culture occi­den­tale, il sort sa machette, ou du moins il s’assure qu’elle est à por­tée de main ” (Fanon, “ Les dam­nés de la terre, page 35).

“ Le vrai, c’est ce qui pré­ci­pite la dis­lo­ca­tion du régime colo­nial, c’est ce qui favo­rise l’émergence de la nation ” (page 39).

“ Qu’est-ce donc en réa­li­té que cette vio­lence ? C’est l’intuition qu’ont les masses colo­ni­sées que leur libé­ra­tion doit se faire, et ne peut se faire que par la force ” (page 55).

On note la simi­li­tude avec le nazisme :

“ Quand j’entends le mot culture, j’arme mon revol­ver ” (Goe­ring).

Simi­li­tude qui ne s’arrête pas au mot, l’Allemagne de Hit­ler inter­dit le mariage aryen-non aryen, Israël inter­dit le mariage juif-non juif, (pas de mariage laïc) ; l’apartheid d’Afrique du Sud existe en Israël contre les Arabes (les fermes d’État sont réser­vées aux familles avec inter­dic­tion d’employer la main d’œuvre qui ris­que­rait d’être arabe). La com­mu­nau­té juive d’Afrique du Sud, ne pro­teste pas contre l’apartheid.

La der­nière phase : l’intégration toute belle, est tou­jours future. C’est la fusion et la confu­sion des cultures et des races.

Le racisme est avant tout : 

“ Une condi­tion d’oppression, tout comme la condi­tion colo­niale, celle du pro­lé­taire ou celle de la femme ” (Mem­mi).

Le racisme se fonde sur un ordre social : la hié­rar­chie (des êtres et des classes) ; sur une phi­lo­so­phie, la reli­gion élue (catho­li­cisme), le peuple élu (fas­cisme), la classe élue (com­mu­nisme), la race élue (Blancs, etc.).

[/​Israël Renof/]

La Presse Anarchiste