La presse révolutionnaire et anarchiste d’Amérique est peu connue en Europe ; rares sont les exemplaires qui franchissent l’océan et plus rares encore sont les vues nouvelles, les pensées inédites que nous y glanons. Plus âpre que nulle part ailleurs la soif du gain, la course effrénée à la richesse paraissent avoir détourné bien des énergies et des intelligences de la recherche de la vérité et détruit chez la plupart la volonté d’affranchissement social.
Cependant là comme ailleurs une élite lutte et souffre, mais depuis l’entrée en guerre de l’Amérique, cette lutte est devenue singulièrement pénible et dangereuse. La formidable vague de nationalisme qui a déferlé sur les États-Unis a anéanti en grande partie ce que la pensée affranchie en un long effort avait édifié dans le pays du dollar, de la bible et du lynchage. Par-ci, par-là, on entendait bien parler des atrocités qui se commettaient là-bas ; la recrudescence du lynchage de nègres, la déportation d’anarchistes étrangers (comme par exemple d’Emma Goldman et d’Alexandre Berkmann) n’étaient pas restées sans éveiller un écho douloureux dans les rares consciences libres d’Europe, mais il a fallu l’affaire Sacco et Vanzetti pour mettre à nu toute la pourriture du régime ploutocratique, et pour émouvoir quelque peu la classe ouvrière mondiale. Cependant qu’on ne croie pas que l’indigne machination dont furent l’objet les deux révolutionnaires fut une exception. Un groupe anarchiste de Boston (Massachusetts) a publié en janvier dernier un fort fascicule illustré de 36 pages en langue espagnole, intitulé « America » qui est bien le réquisitoire le plus accablant contre le régime infâme et la barbarie effrayante des viles multitudes qui vivent dans ce pays.
« Malgré les actes honteux et la violence, dont la Ste terre du dollar est fréquemment le théâtre, écrit J. Marinero, nous devons admettre, pour être impartiaux, que pendant les années précédant la guerre, les anarchistes jouissaient aux États-Unis de certaines libertés, en ce qui concerne la propagande orale et écrite de l’idéal libertaire qui n’existaient pas dans d’autres pays. Ni les autorités ni la bourgeoisie ne s’occupaient de savoir s’il existait en ce pays des journaux ou des groupes de caractère anarchiste. Si elles le savaient, elles durent nous prendre pour des hallucinés, des rêveurs utopiques et elles ne s’occupaient pas de nous. Mais depuis le jour où cette nation entra dans le grand conflit, nous avons subi la répression la plus féroce, les persécutions les plus cruelles et systématiques, la tyrannie la plus criminelle et raffinée que jamais sous aucun régime, peuple a subi. »
Les innombrables faits cités dans cet opuscule, appuyés de témoignages irréfutables des photographies dont le texte est émaillé, constituent la preuve la plus certaine de la véracité de ce qui précède. Une photographie nous montre une camarade anarchiste dont le crane est entouré par une couronne de cuir, qu’on serre graduellement moyennant un bâton, jusqu’à ce que la pression devenant intolérable décide le prisonnier à signer la déclaration qu’on lui présente. L’Amérique connaît aussi les châtiments corporels dont il est fait, dans plusieurs États, un usage courant. La photographie du malheureux camarade Thomas Martinez couché sur son lit de souffrance par suite d’une maladie incurable attrapée dans les cachots de la République, maladie dont il est mort peu de temps après est bien la chose la plus émouvante pour toute conscience droite.
Quant à l’affaire Sacco et Vanzetti et au sort de l’infortuné Saludi, les faits grâce à l’agitation qu’il y eut en France en leur faveur, sont trop connus pour qu’il soit nécessaire d’y revenir ici.
Mais pour deux innocents sauvés, combien de victimes aussi intéressantes continuent à être broyées par l’impitoyable machine gouvernementale ! Quand est-ce que pour tous ceux-là aussi la conscience universelle fera entendre son véto ?
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