Avec « Mon Communisme » de S. Faure, nous voici en plein Paradis terrestre, c’est entendu, tout le monde est convaincu que le système de collecte et de distribution de la production exposé par le célèbre théoricien du communisme libertaire est ce qu’il y a de mieux dans le meilleur des milieux libertaires ; n’étant pas communiste, je ne me hasarderais pas à discuter en détail le système précité. Je constate que tout le monde, dans ce nouvel état des choses, est content, réjoui, satisfait, heureux, il n’y a plus de récalcitrant, le 1⁄10 primitif de travailleurs de mauvaise volonté diminue quotidiennement. Plus de lois, de juges, de prison. C’est bien un paradis qu’habitent des anges terrestres, tellement heureux de la place qu’ils y occupent, qu’ils ne veulent même plus se déplacer de leurs stalles – je veux dire de leurs villages. Les lois non écrites [[Voir le numéro précédent (Les véritables entretiens de Socrate) N.D.L.R.]] triomphent, pleinement, carrément, c’est le cas de le dire… Et plus, même. Si bien que, quand on a envie de coucher ensemble, on s’en va le dire à papa et à maman, en petits communistes bien sages. Donc on produit, on consomme, on s’amuse, on chante, on danse en grands enfants bien raisonnables, dépourvus de fortes passions, comme de fortes vertus, qui n’ont pas besoin de gendarmes, puisqu’ils sont tous convertis à la même Idée, d’une religion semblable.
Cependant, le panorama idyllique que S. Faure fait défiler sous nos yeux ne m’empêche pas d’apercevoir la tache au tableau. Il n’y a pas de place dans ce paradis pour le satan individualiste : pas un lieu pour les anges rebelles, révoltés qui ne s’accommodent pas de cette existence tranquille, stagnante, « à la papa ». On dirait que S. Faure ignore ou veut ignorer qu’il est des unités humaines ; lesquelles, si elles maudissent et haïssent la domination politique et l’exploitation capitaliste, ne veulent pas non plus du conformisme économique « à la communiste » – même libertaire. Or, je le demande, quelle place y a‑t-il pour eux, dans ce paradis communiste ? Où se situeront ceux qui, tout en respectant la façon de se comporter économiquement de leurs congénères – même s’ils constituent la grande masse humaine – voudront entre eux entretenir des rapports économiques autres que communistes ? Où donc pourront exister et évoluer ceux qui tout en admettant et en reconnaissant que le communisme est chose excellent pour les communistes, ne s’en satisferont pas pour une raison qui leur est propre ? Les communistes leur refuseront-ils la possibilité de vivre et de développer à leur guise, de propager leurs points de vue ? Il n’y a déjà plus que des journaux communaux ou régionaux dans ce paradis et je ne vois nulle part dans « Mon Communisme » qu’on enseigne, dans les écoles, qu’en dehors de la méthode de l’exploitation de l’homme par l’homme, il y a d’autres conceptions économiques que le communisme. Je n’aperçois pas non plus nulle part dans « Mon Communisme » qu’on dispense une éducation permettant à l’adulte – dès qu’il est en âge de se déterminer lui-même – de choisir la solution économique qui cadre le mieux avec sa nature, son tempérament, qui lui rende possible de changer de système économique. Je n’entends, dans ce livre, que résonner hymnes et cantiques exaltants et magnifiant le Dieu Communisme. Ce n’est pas après l’avoir lu que j’abandonnerai le Réprouvé, l’Insoumis, le mauvais archange individualiste.
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