La Presse Anarchiste

Revue des Revues

Je vous avais par­lé la der­nière fois de ce cri­tique excep­tion­nel qui signe Mau­rice Bois­sard (Paul Léau­taud) et se fit mettre à la porte de la Nou­velle Revue Fran­çaise, pour avoir vou­lu, l’étrange phé­no­mène, y écrire tout net ce qu’il pen­sait. Un lec­teur m’écrit à ce sujet : « Tu cites avec sym­pa­thie ce cher Mau­rice Bois­sard. Urbain Dhé­ré a dit de lui qu’il est un des rares écri­vains que nos petits-fils liront. C’est aus­si mon avis. C’est un type épa­tant, d’une rare intel­li­gence : il fait mes délices ». À moi aus­si et mon cor­res­pon­dant me per­met­tra de contre­si­gner ses appréciations.

Il me faut aujourd’hui y reve­nir, ce que je fais bien volon­tiers, en m’excusant auprès de Mual­dès d’empiéter un peu sur son domaine.

Les Nou­velles lit­té­raires sont un jour­nal heb­do­ma­daire, bien vasouillard sou­vent avec les d’Annunzio, Girau­doux et autres Maur­ras. D’inspiration fran­che­ment réac­tion­naire, sinon roya­liste. Néan­moins, on y trouve d’utiles ren­sei­gne­ments et de ci, de là, de bons articles. Notam­ment les chro­niques de Léau­taud, par­don de Mau­rice Bois­sard. Elles sont déli­cieuses. Ain­si, der­niè­re­ment, à l’occasion d’une pièce tirée d’un livre d’Anatole France, il écri­vait ces lignes que l’on s’étonne un peu de trou­ver là. (Un peu, pas trop, car le jour­nal est une affaire com­mer­ciale, et le comble du com­merce, n’est-ce pas, c’est de plaire à tout le monde !)

Cet illu­mi­né cruel suit une idée comme les pre­miers chré­tiens sui­vaient une étoile et lui sacri­fiaient l’univers. Nous retrou­vons là cet héroïsme cor­né­lien si répu­gnant et si bête. Il est bien évident que celui qui se fait tuer pour une cause quel­conque est un imbé­cile. Mais il est encore plus cer­tain que celui qui tue pour une cause quel­conque est un monstre. Game­lin est un monstre par­fait : le type accom­pli des bons ser­vi­teurs selon les époques de Dieu, de la patrie ou de la Révo­lu­tion, égales super­sti­tions et aus­si mal­fai­santes. Le livre est éga­le­ment déli­cieux par sa raille­rie pour toute la décla­ma­tion civique, toute la sot­tise et la dupe­rie qui font de tout temps le bon citoyen, toutes les bouf­fon­ne­ries sur les­quelles repose la Société.

Cela voi­sine avec un érein­te­ment en règle de M. Ana­tole France.

Je le trouve trop savant. Je le trouve trop plein, dans tout ce qu’il écrit, de tout ce qu’il a lu. Je n’aime pas les livres faits avec d’autres livres… M. Ana­tole France a tout lu. Il a une mer­veilleuse intel­li­gence. Mais aurait-il écrit si on n’avait rien écrit avant lui ?…

M. Bois­sard est une « aimable rosse », un « érein­teur » de pre­mière force. Que vou­lez-vous ? j’aime ce genre. Il fit une des­crip­tion du salon de Madame Aurel, savou­reuse, cre­vante, à mou­rir de rire. Cette dame s’est fâchée, elle a appe­lé son mari à la res­cousse. Mais écou­tez Boissard :

Je ne les avais pour­tant pas nom­més et ils se sont tout de suite recon­nus, bel hom­mage à la véri­té de ma des­crip­tion. Ils fondent tout exprès un jour­nal pour m’accabler (ils y ont dépen­sé plus d’argent que de malice) et M. Mor­tier m’attend à une répé­ti­tion géné­rale pour me cor­ri­ger (soin qu’il ferait mieux d’apporter à ses ouvrages). C’est à décou­ra­ger de faire connaître les auteurs. Je fini­rai par ne plus par­ler que de mes chats et de mes chiens. Au moins ces bêtes-là ne disent rien.

M. Alfred Mor­tier et Mme Aurel n’ont pour­tant pas à se plaindre du compte-ren­du que je leur ai fait. Jamais on n’a autant par­lé d’eux que depuis mon feuilleton.

Pour­rait-on mieux dire ?

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Natu­rel­le­ment cela ne plaît point aux lit­té­ra­teurs et aux cabo­tins. Où allons-nous, grands dieux, si les cri­tiques s’avisent de dire tout net ce qu’ils pensent. Mais c’est la fin de tout, c’est l’abomination de la désolation. 

Cou­ra­geu­se­ment, un ano­nyme réclame dans la revue Choses de Théâtre (n° 18). La réplique de Bois­sard à M. Mor­tier : « Il me semble que je signe ouver­te­ment ce que j’écris et que je ne me cache pas » a dû le cin­gler, ce brave ano­nyme et il en bave à tra­vers ses larmes « … des termes que la der­nière des concierges désa­voue­rait. Je me demande anxieu­se­ment où nous allons, si la cri­tique théâ­trale se laisse, elle aus­si, empoi­son­ner par l’insulte et la dif­fa­ma­tion qui étaient jusqu’à ce jour, la chasse gar­dée de la poli­ti­caille­rie ».

Tout cela, parce qu’un hon­nête homme a com­mis l’impardonnable crime, il faut le répé­ter, d’écrire ce qu’il pen­sait, sans plus. Quel pavé dans la mare aux gre­nouilles lit­té­raires ! Là-des­sus Choses de Théâtre ouvre une enquête sur les droits de la cri­tique. Puis-je lui dire mon avis sur les devoirs de la cri­tique, le devoir plu­tôt, car cela tient en deux mots : ÊTRE SIN­CÈRE. Ne pas écrire pour faire plai­sir à quelqu’un (auteur, acteur, direc­teur, com­man­di­taire, etc.) Ne pas écrire pour le pognon et selon la pro­ve­nance, l’abondance de ce pognon. Mais que cela est donc dif­fi­cile ! Pauvre Naz­zi, qui vou­lais fon­der le sin­cé­risme, comme tu te ferais hous­piller, mon cama­rade, par les fauves de la jungle lit­té­raire actuelle.

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Les Cahiers idéa­listes (mai 1923), publient 16 lettres inédites de Jules Laforgue, à peu près toutes sur le même thème : « À la hâte, mon salaire, au plus tôt, je vous prie ». — Une étude fort inté­res­sante de Tris­tan Rémy sur le roman de Paul Vime­reu : Le rire du vilain, un fort beau roman, savou­reux et vivant, que la cri­tique étouf­fa car « il avait secoué bien des man­ne­quins et cre­vé pas mal de bau­druches ». — Une étude bien incom­plète d’Albert Dau­zat, sur les res­pon­sa­bi­li­tés de la guerre. — Les chro­niques habi­tuelles de Joseph Rivière (Les livres) et de Hen­ri Colas (Les spec­tacles).

Et sur­tout de longues et bonnes pages d’Édouard Dujar­din : Post-scrip­tum et esquisse d’une pré­face au second volume de théâtre. Voi­ci d’abord com­ment 1’« érein­teur » Mau­rice Bois­sard parle de Dujar­din dans les der­nières Nou­velles lit­té­raires :

J’ai une grande estime lit­té­raire pour M. Édouard Dujar­din. Ce n’est pas un auteur qui écrit rapi­de­ment des livres dans le but de les vendre et pour le plai­sir de faire par­ler de lui.

Tout ce qu’il écrit est le résul­tat de longues médi­ta­tions, de longues réflexions, d’une étude pro­fonde et patiente. C’est un poète, un savant et un phi­lo­sophe, un esprit extrê­me­ment sen­sible et géné­reux, humain au sens noble du mot. Il est du petit nombre d’écrivains fran­çais qui ont su res­ter intel­li­gents et équi­tables pen­dant la guerre et n’ont pas désho­no­ré leur esprit en tom­bant dans la haine et dans le men­songe. Que d’autres, qui auraient pu au moins se taire, n’ont pas eu cette sagesse, cette pru­dence, sont tom­bés dans une niai­se­rie de modiste patriote, comme ce pauvre Gour­mont, qui oublia si bien son mépris, son iro­nie, sa méfiance, du jour au lendemain.

Dujar­din doit être un homme bien sym­pa­thique, qui a su désar­mer ce ter­rible engueu­leur. En effet. Et l’on a plai­sir à lire son article, comme de coutume.

C’est une étude de son œuvre depuis la repré­sen­ta­tion de la Fin d’Antonia (1893) jusqu’à celle, toute récente du Mys­tère du Dieu mort et res­sus­ci­té (1923). Coup d’œil d’ensemble, qui relie les diverses parts de l’œuvre et en montre la direc­tion géné­rale, le lien, la marche constante vers la per­fec­tion, l’idéal.

Puis des notes finales, où j’ai plai­sir à retrou­ver sous la plume de cet aîné, pur de toute com­pro­mis­sion, une idée qui m’est chère.

Ce que je veux dire encore une fois, c’est, d’abord, qu’il faut que l’écrivain gagne sa vie, — c’est qu’il faut qu’il renonce une fois pour toutes au rêve de l’écrivain pen­sion­né, sous quelque forme que ce soit, cas­sette royale ou siné­cure répu­bli­caine, tant qu’il lui reste la force de tra­vailler. De tous les para­si­tismes, le plus odieux (parce que le plus hypo­crite) est cer­tai­ne­ment le para­si­tisme lit­té­raire ; l’expression est de Georges Sorel, et, dans un récent numé­ro de Clar­té, Édouard Berth a mon­tré com­bien elle s’applique jus­te­ment à cet idéal de gras cha­noine entre­te­nu par la com­mu­nau­té, qui a été celui de Renan et de tant d’hommes de lettres ! Je ne crois pas être bol­che­viste ; mais il est impos­sible de ne pas savoir gré au bol­che­visme d’avoir mis en œuvre ce prin­cipe de Saint-Paul que celui qui ne tra­vaille pas ne man­ge­ra pas. Mais si l’écrivain doit gagner sa vie, ce n’est pas seule­ment pour des rai­sons d’ordre social, ni seule­ment par digni­té, mais parce que du point de vue même de son art il est bon qu’il s’ouvre par un métier une porte sur la vie — une porte qui entre à vif dans la vie. Et c’est aus­si une des rai­sons pour les­quelles, s’il faut qu’il gagne sa vie, il ne faut pas qu’il la gagne avec sa littérature.

Si je leur dis pour­tant qu’il faut avoir un méfier et hors la lit­té­ra­ture, ce n’est pas par crainte que la pitance fami­liale, le loyer et l’entretien des enfants soient à la mer­ci du bat­te­ment de leur cœur.

Ce n’est pas parce qu’il est mau­vais de se mettre à sa table de tra­vail en vue d’une échéance à assurer.

Ce n’est peut-être pas non plus parce que l’usage d’écrire sou­vent ne peut que gâcher une plume.

Ayez un métier, leur dirai-je plu­tôt, même si vous êtes riche, afin de vous enri­chir, non seule­ment d’argent mais d’expérience…

Et afin aus­si de ne pas être rien que des hommes de lettres.

Ayez un métier sur­tout, afin que, dans une vie qui, peut-être, sera agi­tée (et je sais ce que c’est, une vie agi­tée) une chose au moins, l’art, soit res­tée pure, — et que ce soit votre honneur !

Et voi­ci la suprême rai­son, celle qu’on devrait don­ner tou­jours et qu’on ne donne jamais ; même si vous êtes riche, ayez un autre métier, afin qu’écrire devienne quelque chose dont vous ayez été privés…

Et quand la muse arrive, que vous disiez :

Enfin seuls ! au lieu de mar­mo­ter : La corvée !

Soyez un amant qui désire, et non un mari repu.

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Je n’ai pas vu le second cahier de Terre libre (1, Mar­ché des Capu­cins, Mar­seille), où paraît-il, si j’en crois ce bon Georges Vidal, on m’attaquait méchamment.

J’ai en mains le numé­ro 3. Cette revue, poly­co­piée, est plus agréable à lire que les Vaga­bonds. Je me demande pour­quoi. (Je parle uni­que­ment pour l’œil : en reli­sant ma phrase, je m’aperçois que l’on pour­rait y trou­ver quelque pointe iro­nique qui ne s’y trouve point.)

De bons articles : Égoïsme et Ruse, par E. Armand ; Sen­sua­li­té et révolte, de Nit­che­vo qui réfute une phrase de la doc­to­resse Pel­le­tier : « Les grands sen­suels sont de piètres intel­lec­tuels » ; Syn­di­ca­lisme et Anar­chie, de F. Mayoux ; une fort inté­res­sante Lettre du Bré­sil, de Néblino.

Que viennent le plus pos­sible de cama­rades au Bré­sil, où les moyens de se libé­rer sont à mon avis meilleurs, pour les ouvriers des champs sur­tout ; que viennent ceux qu’attire le retour à la terre, source de vie réelle et qui dis­posent d’un petit capi­tal ; qu’ils viennent lut­ter contre l’exploitation capi­ta­liste seule­ment nais­sante dans cette terre nou­velle où l’humanité n’est encore qu’en for­ma­tion, qu’ils viennent étouf­fer dans l’œuf le déve­lop­pe­ment d’une orga­ni­sa­tion sociale sem­blable à celle exis­tant en Europe. Cama­rades dési­reux de vivre en har­mo­nie avec les lois natu­relles, lais­sez la vieille Europe à sa pour­ri­ture, à sa déca­dence, peut-être irré­mé­diable ; lais­sez les patriotes avec leurs embar­ras éco­no­miques, venez coopé­rer à l’avenir d’un monde nou­veau, d’un monde meilleur. Si des cama­rades étaient dési­reux de venir, ils peuvent écrire au cama­rade L. Sazelle et deman­der tous les ren­sei­gne­ments dont ils auraient besoin ; je suis à leur entière dis­po­si­tion.

Tou­te­fois, pas d’illusions, hein ; la terre est aus­si basse ici qu’ailleurs, la pelle et la pioche aus­si dures à remuer ici que là.

Les cama­rades ayant quelques connais­sances pra­tiques en arbo­ri­cul­ture, api­cul­ture, trou­ve­raient ici un champ inex­ploi­té et de grand ren­de­ment. Je pense aus­si que les cama­rades qui vou­draient venir pour­raient, en se met­tant en rela­tion avec nous avoir le pas­sage gratuit.

Avis aux amateurs !

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Dans La Criée (26, bou­le­vard Phi­lip­pon, Mar­seille), un beau poème : J’ai vécu, de Mar­cel Millet :

Le repen­tir est une tare chrétienne.
Je ne me repens pas, je ne me repens de rien.
Le miracle de vivre est là, qui bat mes tempes
et ful­gure en mon être et magni­fie les soirs…
…………………………

Tout est vain, mais l’effort vaut par notre désir,
avoir été soi-même et ne rien regretter,
chaque matin nou­veau délivre,
jouir pro­fon­dé­ment des grands jours de lumière,
ins­tincts, pen­sée et Liberté…

J’aurai connu l’ivresse de vivre.

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M. Robert Pey­ron­net dirige tou­jours Le Pion­nier (15 bis, rue Cau­chois, Paris). J’ai appris par une allu­sion d’une autre revue qu’il a répon­du der­niè­re­ment à mes cri­tiques, publiées ici même.

Mais je n’ai pas reçu ce numé­ro. Et je ne puis donc vous en parler.

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Le cahier de Juin des Humbles est consa­cré à l’Homme de Pha­lère, des apo­logues de Claude Ave­line, dont un extrait parut dans la der­nière revue. Mais ne jugez point le recueil sur cette page : les mor­ceaux sont fort dif­fé­rents, d’inspiration et d’exécution.

[/​Maurice Wul­lens./​]

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