Je vous avais parlé la dernière fois de ce critique exceptionnel qui signe Maurice Boissard (Paul Léautaud) et se fit mettre à la porte de la
Il me faut aujourd’hui y revenir, ce que je fais bien volontiers, en m’excusant auprès de Mualdès d’empiéter un peu sur son domaine.
Les
Cet illuminé cruel suit une idée comme les premiers chrétiens suivaient une étoile et lui sacrifiaient l’univers. Nous retrouvons là cet héroïsme cornélien si répugnant et si bête. Il est bien évident que celui qui se fait tuer pour une cause quelconque est un imbécile. Mais il est encore plus certain que celui qui tue pour une cause quelconque est un monstre. Gamelin est un monstre parfait : le type accompli des bons serviteurs selon les époques de Dieu, de la patrie ou de la Révolution, égales superstitions et aussi malfaisantes. Le livre est également délicieux par sa raillerie pour toute la déclamation civique, toute la sottise et la duperie qui font de tout temps le bon citoyen, toutes les bouffonneries sur lesquelles repose la Société.
Cela voisine avec un éreintement en règle de M. Anatole France.
Je le trouve trop savant. Je le trouve trop plein, dans tout ce qu’il écrit, de tout ce qu’il a lu. Je n’aime pas les livres faits avec d’autres livres… M. Anatole France a tout lu. Il a une merveilleuse intelligence. Mais aurait-il écrit si on n’avait rien écrit avant lui ?…
M. Boissard est une « aimable rosse », un « éreinteur » de première force. Que voulez-vous ? j’aime ce genre. Il fit une description du salon de Madame Aurel, savoureuse, crevante, à mourir de rire. Cette dame s’est fâchée, elle a appelé son mari à la rescousse. Mais écoutez Boissard :
Je ne les avais pourtant pas nommés et ils se sont tout de suite reconnus, bel hommage à la vérité de ma description. Ils fondent tout exprès un journal pour m’accabler (ils y ont dépensé plus d’argent que de malice) et M. Mortier m’attend à une répétition générale pour me corriger (soin qu’il ferait mieux d’apporter à ses ouvrages). C’est à décourager de faire connaître les auteurs. Je finirai par ne plus parler que de mes chats et de mes chiens. Au moins ces bêtes-là ne disent rien.
M. Alfred Mortier et Mme Aurel n’ont pourtant pas à se plaindre du compte-rendu que je leur ai fait. Jamais on n’a autant parlé d’eux que depuis mon feuilleton.
Pourrait-on mieux dire ?
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Naturellement cela ne plaît point aux littérateurs et aux cabotins. Où allons-nous, grands dieux, si les critiques s’avisent de dire tout net ce qu’ils pensent. Mais c’est la fin de tout, c’est l’abomination de la désolation.
Courageusement, un anonyme réclame dans la revue
Tout cela, parce qu’un honnête homme a commis l’impardonnable crime, il faut le répéter, d’écrire ce qu’il pensait, sans plus. Quel pavé dans la mare aux grenouilles littéraires ! Là-dessus Choses de Théâtre ouvre une enquête sur les droits de la critique. Puis-je lui dire mon avis sur les devoirs de la critique, le devoir plutôt, car cela tient en deux mots : ÊTRE SINCÈRE. Ne pas écrire pour faire plaisir à quelqu’un (auteur, acteur, directeur, commanditaire, etc.) Ne pas écrire pour le pognon et selon la provenance, l’abondance de ce pognon. Mais que cela est donc difficile ! Pauvre Nazzi, qui voulais fonder le sincérisme, comme tu te ferais houspiller, mon camarade, par les fauves de la jungle littéraire actuelle.
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Et surtout de longues et bonnes pages d’Édouard Dujardin : Post-scriptum et esquisse d’une préface au second volume de théâtre. Voici d’abord comment 1’« éreinteur » Maurice Boissard parle de Dujardin dans les dernières Nouvelles littéraires :
J’ai une grande estime littéraire pour M. Édouard Dujardin. Ce n’est pas un auteur qui écrit rapidement des livres dans le but de les vendre et pour le plaisir de faire parler de lui.
Tout ce qu’il écrit est le résultat de longues méditations, de longues réflexions, d’une étude profonde et patiente. C’est un poète, un savant et un philosophe, un esprit extrêmement sensible et généreux, humain au sens noble du mot. Il est du petit nombre d’écrivains français qui ont su rester intelligents et équitables pendant la guerre et n’ont pas déshonoré leur esprit en tombant dans la haine et dans le mensonge. Que d’autres, qui auraient pu au moins se taire, n’ont pas eu cette sagesse, cette prudence, sont tombés dans une niaiserie de modiste patriote, comme ce pauvre Gourmont, qui oublia si bien son mépris, son ironie, sa méfiance, du jour au lendemain.
Dujardin doit être un homme bien sympathique, qui a su désarmer ce terrible engueuleur. En effet. Et l’on a plaisir à lire son article, comme de coutume.
C’est une étude de son œuvre depuis la représentation de la Fin d’Antonia (1893) jusqu’à celle, toute récente du Mystère du Dieu mort et ressuscité (1923). Coup d’œil d’ensemble, qui relie les diverses parts de l’œuvre et en montre la direction générale, le lien, la marche constante vers la perfection, l’idéal.
Puis des notes finales, où j’ai plaisir à retrouver sous la plume de cet aîné, pur de toute compromission, une idée qui m’est chère.
Ce que je veux dire encore une fois, c’est, d’abord, qu’il faut que l’écrivain gagne sa vie, — c’est qu’il faut qu’il renonce une fois pour toutes au rêve de l’écrivain pensionné, sous quelque forme que ce soit, cassette royale ou sinécure républicaine, tant qu’il lui reste la force de travailler. De tous les parasitismes, le plus odieux (parce que le plus hypocrite) est certainement le parasitisme littéraire ; l’expression est de Georges Sorel, et, dans un récent numéro de Clarté, Édouard Berth a montré combien elle s’applique justement à cet idéal de gras chanoine entretenu par la communauté, qui a été celui de Renan et de tant d’hommes de lettres ! Je ne crois pas être bolcheviste ; mais il est impossible de ne pas savoir gré au bolchevisme d’avoir mis en œuvre ce principe de Saint-Paul que celui qui ne travaille pas ne mangera pas. Mais si l’écrivain doit gagner sa vie, ce n’est pas seulement pour des raisons d’ordre social, ni seulement par dignité, mais parce que du point de vue même de son art il est bon qu’il s’ouvre par un métier une porte sur la vie — une porte qui entre à vif dans la vie. Et c’est aussi une des raisons pour lesquelles, s’il faut qu’il gagne sa vie, il ne faut pas qu’il la gagne avec sa littérature.
Si je leur dis pourtant qu’il faut avoir un méfier et hors la littérature, ce n’est pas par crainte que la pitance familiale, le loyer et l’entretien des enfants soient à la merci du battement de leur cœur.
Ce n’est pas parce qu’il est mauvais de se mettre à sa table de travail en vue d’une échéance à assurer.
Ce n’est peut-être pas non plus parce que l’usage d’écrire souvent ne peut que gâcher une plume.
Ayez un métier, leur dirai-je plutôt, même si vous êtes riche, afin de vous enrichir, non seulement d’argent mais d’expérience…
Et afin aussi de ne pas être rien que des hommes de lettres.
Ayez un métier surtout, afin que, dans une vie qui, peut-être, sera agitée (et je sais ce que c’est, une vie agitée) une chose au moins, l’art, soit restée pure, — et que ce soit votre honneur !
Et voici la suprême raison, celle qu’on devrait donner toujours et qu’on ne donne jamais ; même si vous êtes riche, ayez un autre métier, afin qu’écrire devienne quelque chose dont vous ayez été privés…
Et quand la muse arrive, que vous disiez :
Enfin seuls ! au lieu de marmoter : La corvée !
Soyez un amant qui désire, et non un mari repu.
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Je n’ai pas vu le second cahier de
J’ai en mains le numéro 3. Cette revue, polycopiée, est plus agréable à lire que les Vagabonds. Je me demande pourquoi. (Je parle uniquement pour l’œil : en relisant ma phrase, je m’aperçois que l’on pourrait y trouver quelque pointe ironique qui ne s’y trouve point.)
De bons articles : Égoïsme et Ruse, par E. Armand ; Sensualité et révolte, de Nitchevo qui réfute une phrase de la doctoresse Pelletier : « Les grands sensuels sont de piètres intellectuels » ; Syndicalisme et Anarchie, de F. Mayoux ; une fort intéressante Lettre du Brésil, de Néblino.
Que viennent le plus possible de camarades au Brésil, où les moyens de se libérer sont à mon avis meilleurs, pour les ouvriers des champs surtout ; que viennent ceux qu’attire le retour à la terre, source de vie réelle et qui disposent d’un petit capital ; qu’ils viennent lutter contre l’exploitation capitaliste seulement naissante dans cette terre nouvelle où l’humanité n’est encore qu’en formation, qu’ils viennent étouffer dans l’œuf le développement d’une organisation sociale semblable à celle existant en Europe. Camarades désireux de vivre en harmonie avec les lois naturelles, laissez la vieille Europe à sa pourriture, à sa décadence, peut-être irrémédiable ; laissez les patriotes avec leurs embarras économiques, venez coopérer à l’avenir d’un monde nouveau, d’un monde meilleur. Si des camarades étaient désireux de venir, ils peuvent écrire au camarade L. Sazelle et demander tous les renseignements dont ils auraient besoin ; je suis à leur entière disposition.
Toutefois, pas d’illusions, hein ; la terre est aussi basse ici qu’ailleurs, la pelle et la pioche aussi dures à remuer ici que là.
Les camarades ayant quelques connaissances pratiques en arboriculture, apiculture, trouveraient ici un champ inexploité et de grand rendement. Je pense aussi que les camarades qui voudraient venir pourraient, en se mettant en relation avec nous avoir le passage gratuit.
Avis aux amateurs !
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Dans
Je ne me repens pas, je ne me repens de rien.
Le miracle de vivre est là, qui bat mes tempes
et fulgure en mon être et magnifie les soirs…
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Tout est vain, mais l’effort vaut par notre désir,
avoir été soi-même et ne rien regretter,
chaque matin nouveau délivre,
jouir profondément des grands jours de lumière,
instincts, pensée et Liberté…
J’aurai connu l’ivresse de vivre.
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M. Robert Peyronnet dirige toujours
Mais je n’ai pas reçu ce numéro. Et je ne puis donc vous en parler.
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Le cahier de Juin des
[/Maurice