La Presse Anarchiste

Dans Paris

La Ville de Paris rêvait, c’est façon de par­ler, depuis des années déjà, d’une bonne expo­si­tion uni­ver­selle. Mais il lui fal­lait le concours finan­cier de l’É­tat. Or, l’É­tat ne vou­lait pas les « lâcher » pour la rai­son péremp­toire qu’il n’« en » avait pas. La Ville de Paris se pré­pa­rait donc à faire son deuil de son expo­si­tion lorsque le plan Mar­quet a été annon­cé. Espoir. Vite, bat­tons le fer tan­dis qu’il est chaud. C’est fait : la Ville de Paris aura son expo­si­tion. Il lui échoit une misère de quelques cen­taines de mil­lions. Avec ça, on peut se mettre au travail.

Et voi­ci les plans qui s’é­vadent des bureaux, les cahiers des charges qui prennent leur envol.

Les pre­miers coups de pioche sont offi­ciel­le­ment don­nés. Des mer­veilles vont sur­gir de terre.

On n’i­ra pas jus­qu’à trans­plan­ter la Tour Eif­fel là où elle devrait se trou­ver logi­que­ment, au centre des Eta­blis­se­ments Citroën ; on s’abs­tien­dra même de raser le palais bizar­roïde du Tro­ca­dé­ro, mais on le camouflera.

C’est arrê­té, la Manu­ten­tion mili­taire, construc­tion hideuse, dis­pa­raî­tra, peut-être même par la même occa­sion, le bâti­ment à usage d’am­bas­sade pour l’É­tat polo­nais sera rache­té, démo­li. Et sur le vaste qua­dri­la­tère lais­sé libre se bâti­ront deux musées : un pour l’É­tat, un pour la Ville.

Les Musées pro­je­tés seront l’ob­jet de soins tout par­ti­cu­liers. On veut en avoir pour son argent. Le ban et l’ar­rière ban des archi­tectes est appe­lé à concou­rir. Dans la cou­lisse, des entre­pre­neurs spé­cia­listes sup­putent la bonne affaire. Topaze aura natu­rel­le­ment son mot à dire et c’est encou­ra­geant. Mais pour faire taire les mau­vaises langues, il n’ap­pa­raî­tra pas en pre­mier plan, il s’es­tom­pe­ra dans la masse d’un jury qui ne com­pren­dra pas moins d’une cin­quan­taine de per­son­na­li­tés consi­dé­rables. Nous dis­cer­nons sur la liste : 7 direc­teurs géné­raux, plus 6 ins­pec­teurs géné­raux, plus 3 archi­tectes en chef, plus 15 pré­si­dents d’as­so­cia­tions d’ar­chi­tectes, d’ar­tistes, d’ur­ba­nistes, de déco­ra­teurs. Nous voyons même 6 archi­tectes qui seront élus par les concurrents.

Nous négli­geons les com­mis­saires géné­raux, secré­taires géné­raux, conser­va­teurs, rap­por­teurs, chefs de ser­vice, etc.

Un aréo­page aus­si relui­sant a bien de quoi effrayer ceux-là qui vou­draient tra­vailler, créer, tendre au chef‑d’œuvre, mais non pas ceux-là dont le « stan­ding » est suf­fi­sant pour qu’ils n’aient qu’à don­ner des direc­tives et des conseils, bons ou mau­vais, mais le plus sou­vent médiocres.

Il y a assez peu de chances en véri­té pour qu’une œuvre de qua­li­té, en sup­po­sant qu’elle se pré­sente, soit appré­ciée comme elle mérite.

Les plus hautes fonc­tions, les plus hauts titres ne sont pas tou­jours une garan­tie de com­pé­tence en quelque domaine que ce soit, art ou tech­nique. Et dans l’hy­po­thèse même que cette garan­tie existe, n’y a‑t-il pas une foule de fac­teurs propres à faus­ser, non pas le juge­ment, mais la déci­sion ? Effor­çons-nous de croire qu’il n’en sera rien, si nous aimons les beaux monu­ments, même s’ils ne sont pas d’une uti­li­té pre­mière. Et pré­mu­nis­sons-nous aus­si contre un effet de sur­prise, au cas où les quais de la Seine se ver­raient dotés de quelque nou­velle hor­reur. Il est presque aus­si dif­fi­cile, en démo­cra­tie bour­geoise, d’es­comp­ter quelque chose de beau que d’es­pé­rer quelque chose de propre : l’es­prit du veau d’or gâte tout.

[/​L’observateur diurne/]

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