La Presse Anarchiste

Le colonialisme : fléau mondial

À côté de la guerre, du can­cer, de la peste et autres fléaux mon­diaux, le colo­nia­lisme joue un rôle aus­si actif que néfaste dans la vie des hommes.

Avec l’im­pé­ria­lisme, le mili­ta­risme et autres « ismes » redou­tables, ses frères, le colo­nia­lisme contri­bue pour une large part à entre­te­nir l’hu­ma­ni­té dans cet état dit « civi­li­sé » mais conforme, quant au fond, à la féro­ci­té mil­lé­naire de la jungle où depuis tou­jours les forts écrasent et exploitent les faibles.

C’est deve­nu un lieu com­mun de dire que la riva­li­té des impé­ria­lismes euro­péens fut la cause pro­fonde de la guerre de 1914. Cepen­dant celles des nations bel­li­gé­rantes qui se disaient « démo­cra­tiques » se défen­dirent éner­gi­que­ment de toute volon­té impé­ria­liste et affir­mèrent défendre la civilisation (

Nous savons aujourd’­hui ce que vaut cette phra­séo­lo­gie. La paix faite, les impé­ria­lismes rivaux n’en demeurent pas moins face à face por­tant en eux les mêmes vir­tua­li­tés tragiques.

La seule dif­fé­rence exis­tant entre 1914 et 1934 consiste dans l’ac­crois­se­ment numé­rique des natio­na­lismes exas­pé­rés, le trai­té de Ver­sailles qui devait paci­fier le monde n’ayant fait qu’a­jou­ter de nou­veaux pions bel­li­queux sur le fameux « échi­quier européen ».

Dans cette Europe d’au­jourd’­hui, notre Répu­blique fran­çaise occupe une place pré­pon­dé­rante par­mi les nations impé­ria­listes, prêtes à tout pour main­te­nir leurs orgueilleuses prétentions.

Cela semble risible lors­qu’on regarde une carte du monde où l’Eu­rope n’ap­pa­raît que comme une petite pres­qu’île du conti­nent asia­tique, et où la France n’est elle-même qu’une petite pres­qu’île d’Eu­rope. De pres­qu’île en pres­qu’île, disait un humo­riste, il ne reste presque rien ! rien qu’un petit coin du globe où sévit cette mala­die men­tale de la race blanche : le colo­nia­lisme géné­ra­teur d’im­pé­ria­lisme et de conflits armés.

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Que le colo­nia­lisme repré­sente un dan­ger pour la paix, cela est trop facile à démon­trer. Pour main­te­nir, sinon pour agran­dir son empire colo­nial, une grande nation doit être tou­jours prête à la guerre.

Les exemples ne manquent pas : le temps n’est pas si éloi­gné où la guerre faillit écla­ter entre la France et l’An­gle­terre après Facho­da, puis quelques années plus tard entre la France et l’Al­le­magne à pro­pos du Maroc.

Et plus près de nous, il y a deux ans, lors­qu’une guerre était en haut lieu envi­sa­gée comme immi­nente avec l’I­ta­lie, la Tuni­sie n’é­tait-elle pas l’un des motifs du conflit ?

Depuis le trai­té de Ver­sailles, la France est la seconde puis­sance colo­niale du monde, le « brillant second » de la vieille Angle­terre et son fameux « empire » colo­nial est une source per­ma­nente de pos­si­bi­li­tés de conflits : l’In­do­chine est convoi­tée par le Japon, la Tuni­sie par l’I­ta­lie, la Guyane par le Bré­sil, les Antilles par l’A­mé­rique, etc.

On peut donc conclure que le colo­nia­lisme consti­tue un réel dan­ger pour la paix mondiale.

En outre des périls qu’il com­porte, le colo­nia­lisme consti­tue pour les peuples en géné­ral, et le peuple fran­çais en par­ti­cu­lier, une immense duperie.

D’une façon à peu près cer­taine, on peut affir­mer que les colo­nies ne rap­portent nul béné­fice à la col­lec­ti­vi­té fran­çaise qui les a payées de son sang et de son argent. Seule et encore aux temps de pros­pé­ri­té — l’In­do­chine appor­tait à la métro­pole un tri­but rela­ti­ve­ment impor­tant. Ajou­tons que le plus clair de ces béné­fices pro­ve­naient de deux mono­poles immo­raux et nocifs au plus haut chef : l’o­pium et l’alcool.

On peut donc affir­mer que jus­qu’à pré­sent les colo­nies n’ont été que l’ob­jet de nom­breux emprunts, les­quels grèvent d’au­tant la dette publique, en vue d’une « mise en valeur » pro­blé­ma­tique et loin­taine, c’est-à-dire enga­geant l’a­ve­nir de la nation sans aucune certitude.

Il faut cepen­dant recon­naître qu’il est en France un petit nombre d’in­di­vi­dus inté­res­sés au main­tien, voire à l’ex­pan­sion du domaine colo­nial. Ce sont les membres des Conseils d’ad­mi­nis­tra­tion, des socié­tés colo­niales, les hauts fonc­tion­naires civils et mili­taires lar­ge­ment pré­ben­dés, qui vivent gras­se­ment de ce chancre mondial.

En dehors de ceux-là — et que repré­sentent-ils numé­ri­que­ment sur une popu­la­tion de 40 mil­lions d’ha­bi­tants ? En dehors de ceux-là, disons-nous, le peuple fran­çais, dans son immense majo­ri­té, ne pro­fite en rien des conquêtes coloniales.

Cette véri­té est d’ordre élé­men­taire et un jour­nal sati­rique anglais ne publiait-il pas récem­ment un des­sin repré­sen­tant un chô­meur misé­rable qui s’é­criait : « Je pos­sède les Indes, le Cana­da, l’E­gypte, l’Aus­tra­lie, etc., et je n’ai même pas de quoi m’of­frir un bon repas ! »

Cette légende peut éga­le­ment s’ap­pli­quer à la majo­ri­té des Français.

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Ayant ain­si démon­tré la noci­vi­té et l’i­nu­ti­li­té du colo­nia­lisme pour les pro­lé­taires de France, et d’ailleurs il nous reste à exa­mi­ner ledit colo­nia­lisme dans son rôle mon­dial, dans sa valeur intrin­sèque, humaine.

Esquis­sons un résu­mé suc­cinct de ce vaste problème :

Depuis Mar­co Polo, les blancs ont per­du l’ha­bi­tude des explo­ra­tions paci­fiques, des rela­tions exo­tiques nées au hasard des voyages, et où les nou­veaux débar­qués ne son­geaient qu’à entre­te­nir des rela­tions pro­fi­tables certes, mais cour­toises avec les indigènes.

Les pos­ses­sions colo­niales de toutes les puis­sances euro­péennes ne sont que le fruit de bri­gan­dages armés orga­ni­sés sous de fal­la­cieux pré­textes. Fon­dés sur la vio­lence, ces « empires » ne peuvent qu’en­gen­drer la haine tenace des vaincus.

La liste des atro­ci­tés com­mises par les blancs en Asie, en Amé­rique et en Afrique serait longue : conqué­rants espa­gnols, la croix et l’é­pée en main, conqué­rants bri­tan­niques dési­reux d’im­po­ser leur came­lote à coups de canon, conqué­rants hol­lan­dais ou fran­çais, tous se valent ! Ils ont aux yeux des races de cou­leur désho­no­ré la race blanche !

Quant à la pseu­do-civi­li­sa­tion que les enva­his­seurs por­tèrent un peu par­tout dans le monde, elle ne compte guère en face du sang, des larmes et des dépré­da­tions accu­mu­lés par les conqué­rants coloniaux.

La connais­sance mutuelle des peuples, l’i­ni­tia­tion aux pro­grès de la science moderne eussent tout aus­si bien pu se faire paci­fi­que­ment. La soif bru­tale de richesses et de domi­na­tion l’a empor­té, entraî­nant par son triomphe même cette consé­quence iné­luc­table : le désir ardent, pro­fond, irré­duc­tible pour les peuples « colo­ni­sés » de se débar­ras­ser, tôt ou tard, et par tous les moyens, des colonisateurs.

La grande presse vante chaque jour la fidé­li­té des peuples colo­niaux et les bien­faits de la civi­li­sa­tion fran­çaise d’outre-mer. Mais elle oublie volon­tai­re­ment de don­ner la moindre indi­ca­tion sur l’é­tat d’es­prit réel des indigènes.

Tout homme conscient et doué de quelque esprit d’ob­ser­va­tion, ayant vécu aux colo­nies, sait fort bien à quoi s’en tenir sur l’a­mi­tié, la fidé­li­té et la recon­nais­sance de nos sujets ou protégés.

C’est cette véri­té objec­tive, impar­tiale, humaine, que nous essaie­rons dans de pro­chains articles de faire connaître à nos lecteurs.

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P.S. — Le pro­chain article sera consa­cré à « l’In­do­chine et la civi­li­sa­tion française ».

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