La Presse Anarchiste

Le fétichisme de l’État : mal français

Le « peuple sou­ve­rain » dans l’ensemble n’a pas encore com­pris, mal­gré les ensei­gne­ments quo­ti­diens qui lui viennent des faits, com­bien l’É­tat, en qui il voit une espèce de pro­vi­dence, est en réa­li­té son ennemi.

Il cultive tou­jours ce féti­chisme qui lui fut légué par le jaco­bi­nisme de 89 et qu’en­tre­tient en lui si ardem­ment, si tena­ce­ment et si adroi­te­ment cette gent poli­ti­cienne dont les spé­ci­mens se ren­contrent jusque dans les hameaux les plus reculés.

A‑t-il jamais son­gé de quoi est fait l’État ? Quel est son rôle, sa mis­sion his­to­rique ? Qui donc lui aurait ouvert les yeux puisque la pro­pa­gande anar­chiste, hélas ! est misé­ra­ble­ment cir­cons­crite à quelques grandes localités ?

On aper­çoit l’É­tat comme une immense admi­nis­tra­tion cen­trale ayant des rami­fi­ca­tions par­tout et qui, riche à mil­liards, dis­pense à la fois sa manne et ses emplois sur une col­lec­ti­vi­té dont chaque membre aspire, à part soi, à rece­voir la manne ou à entrer dans l’ad-mi-nis-tra-tion.

Telle est la grande illu­sion, la grande dupe­rie qui accable les cam­pagnes, les bourgs et les villes et qui est pour l’E­tat le plus sûr moyen de vivre aux dépens de la société.

Cha­cun espère indi­vi­duel­le­ment tirer son épingle du jeu mais tout le monde pâtit en bloc, le pays entier s’é­puise. Un moment vient où il faut s’en rendre compte : c’est lorsque les faits se gravent d’une façon indé­lé­bile sur le roc des réa­li­tés et qu’il n’y a plus à pas­ser l’é­ponge ni à faire appa­raître blanc ce qui est noir.

Nous sommes par­ve­nus à ce moment où tout citoyen heurte du pied quelque méfait de l’É­tat, où le mal appa­raît de toutes parts, où le désastre est tan­gible et crève les yeux.

D’un pays comme la France qui pour­rait nour­rir 80 mil­lions d’ha­bi­tants, l’É­tat a fait comme un désert, à l’ex­cep­tion de Paris et de quelques grands centres industriels.

On annonce, sta­tis­tiques en main, qu’a­vant un demi-siècle, la popu­la­tion de la France ne sera pas plus nom­breuse que celle de l’Es­pagne dont le ter­ri­toire pro­duc­tif n’est peut-être pas moi­tié du sien. Cer­tains dépar­te­ments, ceux du Midi par­ti­cu­liè­re­ment, là où se recrutent le plus de fonc­tion­naires, sont déjà presque entiè­re­ment colonisés.

L’É­tat avec son appa­reil plé­tho­rique, pompe lit­té­ra­le­ment les cam­pagnes, et comme il engendre par sa pres­su­ra­tion constante, par son para­si­tisme sans pareil au monde, d’une part un état de pau­vre­té géné­rale d’autre part un esprit petit bour­geois d’é­par­gnants et d’a­vares qui vivotent dans la peur que le sol vienne à leur man­quer, il est impos­sible d’en­tre­voir le moindre repeu­ple­ment parce que les pauvres se refusent, et avec com­bien de rai­son, à pro­créer des parias et que les petits bour­geois, de peur d’en­ta­mer l’or qu’ils thé­sau­risent, de mor­ce­ler les pro­prié­tés qu’ils remembrent, n’i­ront pas au delà du « fils unique ». Les uns et les autres n’ont-ils pas d’ailleurs sous leurs yeux l’exemple per­ti­nent des « rois de la Répu­blique » qui sont ou des « céli­ba­taires endur­cis » ou des « hommes mariés sans enfants » !

Aucune pro­pa­gande repo­pu­liste ne peut rien contre ça.

Mais, dira-t-on, si la popu­la­tion est peu nom­breuse, la part de cha­cun est plus grande, le Fran­çais est un peuple riche…

Non, puisque l’É­tat prend tout, à part ce qu’il aban­donne à ses créa­tures des castes fonc­tion­naires, civiles et mili­taires, et ce qu’il laisse au négoce, à la banque, à l’in­dus­trie, à la grosse pro­prié­té, en un mot au Capi­ta­lisme.

L’É­tat couvre le capi­ta­lisme rapace du man­teau de ses ins­ti­tu­tions dites démo­cra­tiques. Sous cet écran opaque, le bri­gan­dage se déploie impunément.

Pour qu’on s’en aper­çoive, il faut qu’un scan­dale crève la pelure. Mais n’est-il pas avé­ré que ce qui reste du bud­get, après que l’É­tat a rému­né­ré ses ser­vices, va à ces bri­gands qui sont ses four­nis­seurs de guerre ?

Que reste-t-il du bud­get pour des ser­vices pro­fi­tables à la socié­té ? Bien peu de chose. Aus­si ces ser­vices sont-ils dérisoires.

L’ins­truc­tion, qu’on a bap­ti­sée « édu­ca­tion », se déve­loppe-t-elle ? Nous avons le même pour­cen­tage d’illet­trés qu’il y a cin­quante ans et nous bat­tons le record d’i­gno­rance du monde entier.

L’as­sis­tance publique est-elle ser­vie ? Qui ose­rait l’af­fir­mer quand nous voyons autour de nous l’en­fance aban­don­née, mal­heu­reuse, mar­tyre, les mai­sons dites de cor­rec­tion ou mieux de « redres­se­ment » bon­dées de vic­times pro­mises à toutes les tor­tures morales et phy­siques, que nulle cam­pagne de presse ne peut arrê­ter depuis trente ans, et dont tout le peuple adulte, par ava­chis­se­ment ou égoïsme féroce, se dés­in­té­resse, quand on voit aus­si les filles du peuple, les femmes en géné­ral, livrées à la pros­ti­tu­tion, et des vieillards en loques qui errent sur le pavé des villes, ces bataillons de la misère mâle et femelle que les fonc­tion­naires dés­œu­vrés, repus et lui­sants toisent de haut lors­qu’ils ne les mettent pas à réqui­si­tion, car on réqui­si­tionne l’hu­ma­ni­té misé­rable comme on réqui­si­tionne les bêtes.

Dira-t-on aus­si que la Jus­tice, même celle qui émane de l’ins­ti­tu­tion de ce nom, est ren­due ? Il faut y mettre le prix et encore faut-il faire agir des relations.

Sans argent, pas de juges, et l’ab­sence de pro­tec­tions rend la jus­tice encore plus boi­teuse que ne le veut le sym­bole. La Jus­tice (avec un grand J), c’est un maquis ; l’hon­nête homme, s’il est pauvre, qui s’y hasarde, risque le coup d’es­co­pette ; aus­si se résigne-t-il le plus sou­vent à subir les coups durs que lui inflige le bri­gand à qui tout est permis.

Nous pour­rions faire le tour de l’É­tat et de ses ins­ti­tu­tions. Nous n’y décou­vri­rions rien qui ait un réel carac­tère d’hu­ma­ni­té et de socia­li­té. Tout est faux sem­blant, hypo­cri­sie, men­songe ; tout est cor­rup­tion et pour­ri­ture. Cela s’é­tale du reste suf­fi­sam­ment, cela saute assez aux yeux et aux narines pour que cha­cun soit édifié.

Alors, pour­quoi cette reli­gion de l’É­tat per­sis­tante, pour­quoi ce féti­chisme durable à l’é­gard d’une puis­sance dont tout indique qu’elle est une puis­sance de mal, qu’il faut s’en défier et la combattre ?

Aban­don­nez, citoyens, élec­teurs, vos stu­pides croyances. L’É­tat vivra tou­jours à vos dépens et vous pren­dra infi­ni­ment plus qu’il ne vous ren­dra. L’É­tat essaie­ra tou­jours de vous main­te­nir dans l’es­cla­vage, car votre escla­vage est la condi­tion sine qua non de l’« Ordre ».

L’É­tat est le pire enne­mi qu’une socié­té puisse entre­te­nir dans son sein. Moins il y a d’É­tat, mieux la socié­té se porte. Plus une socié­té est com­po­sée d’hommes rai­son­nables, actifs, lucides, éner­giques, moins l’É­tat y appa­raît. À la limite de l’in­tel­li­gence, il doit s’ef­fa­cer totalement.

Soyons donc des hommes intel­li­gents et rai­son­nables. Tra­vaillons à en for­mer autour de nous. Aidons aux yeux qui s’ouvrent à voir clair en grand.

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