La Presse Anarchiste

Mémoire présenté par la Fédération Jurassienne de l’Association Internationale des travailleurs à toutes les fédérations de l’Internationale

Présentation

« Je vis là que les ouvriers n’é­taient pas une masse menée par une mino­ri­té dont ils ser­vaient les buts poli­tiques ; leurs lea­ders étaient sim­ple­ment des cama­rades plus entre­pre­nants, des ini­tia­teurs plu­tôt que des chefs.

« La net­te­té de vue, la rec­ti­tude de juge­ment, la facul­té de résoudre les ques­tions sociales com­plexes, que je consta­tais chez ces ouvriers, prin­ci­pa­le­ment chez ceux qui étaient entre deux âges, firent sur moi une impres­sion pro­fonde ; et je suis fer­me­ment convain­cu que la si Fédé­ra­tion juras­sienne a joué un rôle sérieux dans le déve­lop­pe­ment du socia­lisme, ce n’est pas seule­ment à cause de l’im­por­tance des idées anti­gou­ver­ne­men­tales et fédé­ra­listes dont elle était le cham­pion, mais c’est aus­si à cause de l’ex­pres­sion que le bon sens des ouvriers du Jura avait don­né à ces idées. Sans eux, ces concep­tions seraient res­tées long­temps encore à l’é­tat de simples abstractions. »

C’est en ces termes que, dans « Autour d’une vie », Pierre Kro­pot­kine parle de ceux qui furent les réels ani­ma­teurs de l’Inter­na­tio­nale, et qui influen­cèrent si vive­ment l’é­vo­lu­tion de son esprit vers l’anarchie.

En publiant inté­gra­le­ment le Mémoire de la Fédé­ra­tion Juras­sienne, où sont consi­gnées les fastes de cette époque qua­si légen­daire où le monde du Tra­vail affir­ma pour la pre­mière fois avec une luci­di­té, une force et un enthou­siasme qui n’ont jamais été dépas­sés, sa volon­té de lutte contre les puis­sances mor­telles du capi­ta­lisme et de l’É­tat, nous avons conscience de rendre jus­tice à un pas­sé sur lequel les poli­ti­ciens de tous les pays — aux heures de liesse et de triomphe, comme aux heures d’ef­fon­dre­ment et de déroute — ont vou­lu appe­san­tir la pierre tom­bale de l’ou­bli, car il est ter­ri­ble­ment accusateur !

Le Mémoire de la Fédé­ra­tion juras­sienne est aujourd’­hui introu­vable. Il se terre dans de rares biblio­thèques de militants.

Nous pen­sons donc que, non seule­ment les mili­tants, mais tous les lec­teurs sou­cieux de se docu­men­ter, appré­cie­ront notre initiative.

Pour leur per­mettre de col­lec­tion­ner, au fur et à mesure de leur paru­tion, les bonnes feuilles du mémoire, et en atten­dant que nous puis­sions les édi­ter sous forme de volume, nous adop­tons une mise en page et un numé­ro­tage qui per­met­tront de les réunir en album.

Nous avons cru utile de faire pré­cé­der chaque expo­sé de faits ayant entre eux des rela­tions chro­no­lo­giques ou d’i­dée, de rap­pels synop­tiques qui pré­pa­re­ront le lec­teur à suivre le texte. Et, d’autre part, nous avons cru bon d’in­cor­po­rer dans le texte, là où elles se situent logi­que­ment, les pièces jus­ti­fi­ca­tives qui, dans l’é­di­tion ori­gi­nale, sont ren­voyées en annexes.


Avant propos

Le tra­vail que nous pré­sen­tons au public de l’In­ter­na­tio­nale a été entre­pris en suite d’une déci­sion du Congrès tenu à Son­vil­lier le 12 novembre 1871 et dans lequel fut consti­tuée la Fédé­ra­tion jurassienne.

L’im­pres­sion en fut com­men­cée en juillet 1872, et les 80 pre­mières pages, ain­si qu’une par­tie des pièces jus­ti­fi­ca­tives, furent impri­mées avant le Congrès de la Haye, auquel nous avions eu d’a­bord la pen­sée de pré­sen­ter ce rap­port his­to­rique. Les pro­por­tions consi­dé­rables de ce tra­vail ne nous ayant pas per­mis d’en ache­ver l’impression à temps, nous en élar­gîmes le plan, en y fai­sant entrer une appré­cia­tion des manœuvres qui ont signa­lé ce Congrès de triste mémoire.

De nou­veaux retards étant sur­ve­nus dans l’im­pres­sion, par suite de l’in­suf­fi­sance de nos res­sources finan­cières, nous en avons pro­fi­té pour y ajou­ter de nou­veaux détails, à mesure que le contre­coup du Congrès de la Haye se pro­dui­sait dans les diverses Fédé­ra­tions, en sorte que ce Mémoire, com­men­cé il y a neuf mois, se trouve être encore une publi­ca­tion d’actualité.

Nos lec­teurs impar­tiaux nous ren­dront ce témoi­gnage que ce livre est l’histoire véri­dique, et aus­si com­plète que notre cadre l’a per­mis, du déve­lop­pe­ment de l’In­ter­na­tio­nale en Suisse. Si des détails per­son­nels et quelques pas­sages polé­miques se trouvent mêlés au récit, c’est que ces détails et cette polé­mique étaient une néces­si­té de la situation.

Notre vœu, en livrant aujourd’­hui à la publi­ci­té ces pages, c’est de voir la période dont elles ren­ferment le tableau fidèle, entrer défi­ni­ti­ve­ment dans le domaine de l’his­toire ancienne, afin que l’In­ter­na­tio­nale, ins­truite par les expé­riences de son pas­sé, prenne, en se pré­ser­vant des fautes qu’elle a pu com­mettre au début, un nou­vel essor vers son glo­rieux avenir.

[/​15 avril 1873.

La com­mis­sion de rédac­tion/​]

Première partie : Avant la Fédération romande (1865 – 1868)

[|Le Dr Pierre Coul­le­ry, en rela­tions avec le conseil de l’In­ter­na­tio­nale de Londres, fonde la sec­tion de la Chaux-de-Fonds (1865) ; Constant Meu­ron et James Guillaume fondent la sec­tion du Locle (1866) ; le socia­liste alle­mand Becker fonde la sec­tion de Genève dès 1865. —La Voix de l’A­ve­nir, organe du Dr Coul­le­ry. — Pre­mier Congrès de l’In­ter­na­tio­nale : Genève (sept. 1866). — Sta­tuts géné­raux de l’As­so­cia­tion. — Deuxième Congrès de l’In­ter­na­tio­nale : Lau­sanne (sept. 1867) ; affir­ma­tion poli­tique, affir­ma­tion col­lec­ti­viste : César de Paepe. — La ligue de la Paix et son Congrès de Genève : Michel Bakou­nine.|]

La fon­da­tion des Sec­tions inter­na­tio­nales dans la Suisse romande date de 1865.

Un méde­cin du Jura Ber­nois, domi­ci­lié alors à la Chaux-de-Fonds, Pierre Coul­le­ry, — connu depuis 1848 dans le Jura par sa pro­pa­gande démo­cra­tique et huma­ni­taire se mit en rela­tions avec le Conseil géné­ral de Londres, et fon­da la Sec­tion cen­trale de la Chaux-de-Fonds, qui par­vint tout d’a­bord au chiffre de quatre à cinq cents adhérents.

Sous l’in­fluence de Coul­le­ry furent bien­tôt créées d’autres Sec­tions dans le Jura : celles de Bon­court (février 1866), de Bienne, de Son­vil­lier (mars), de St-Imier, de Por­ren­truy (avril), de Neu­châ­tel (août). La Sec­tion du Locle fut fon­dée en août 1866 par Constant Meu­ron, vieux pros­crit de la révo­lu­tion neu­châ­te­loise de 1831, et par James Guillaume.

Dès 1865 exis­taient éga­le­ment des Sec­tions à Genève, Lau­sanne, Vevey et Mon­treux. La Sec­tion de Genève avait été fon­dée prin­ci­pa­le­ment sous l’in­fluence du socia­liste alle­mand J.-Ph. Becker, qui créa en jan­vier 1866 le jour­nal men­suel le Vor­bote, pour ser­vir d’or­gane aux Sec­tions de langue allemande.

Dans toutes ces Sec­tions pri­mi­tives, la concep­tion de l’in­ter­na­tio­nale était encore mal défi­nie. Le mot d’ordre avait été jeté aux échos : « Ouvriers, asso­ciez-vous ! » Et l’on s’é­tait asso­cié, grou­pant tous les ouvriers indis­tinc­te­ment dans une seule et même Sec­tion. Aus­si les élé­ments les plus hété­ro­gènes, pour la plu­part fort peu sérieux, se cou­doyaient alors dans les réunions de l’In­ter­na­tio­nale, et l’in­fluence était à ceux qui savaient bro­der les plus belles phrases sur ce thème d’un vague si com­plai­sant : « Dieu, patrie, huma­ni­té, fraternité. »

Dans plus d’une loca­li­té, l’In­ter­na­tio­nale ne fai­sait qu’un avec le par­ti poli­tique radi­cal, et cer­taines per­son­na­li­tés ambi­tieuses cher­chaient déjà à se faire d’elle un simple moyen d’ar­ri­ver à un emploi dans le gouvernement.

À la Chaux-de-Fonds, cepen­dant, les radi­caux, qui d’a­bord avaient patron­né l’In­ter­na­tio­nale [[M. l’a­vo­cat Aug. Cor­naz, alors rédac­teur du Natio­nal suisse, organe du par­ti radi­cal neu­châ­te­lois, avait fait parte en 1864 de la Sec­tion inter­na­tio­nale de la Chaux-de-Fonds.]], s’a­per­çurent bien vite qu’ils ne pour­raient pas domi­ner et exploi­ter à leur pro­fit le mou­ve­ment ouvrier, et ils cher­chèrent à l’é­touf­fer au ber­ceau. Le Natio­nal suisse, jour­nal radi­cal de la Chaux-de-Fonds, com­men­ça dès lors contre l’Internationale une guerre de calom­nies et d’at­taques per­son­nelles. Il en fut tout autre­ment à Genève, où les organes radi­caux, la Suisse radi­cale et le Carillon, se mon­trèrent, dans un but inté­res­sé, sym­pa­thiques à l’In­ter­na­tio­nale, Sur laquelle ils comp­taient pour réta­blir le gou­ver­ne­ment Fazy qui venait d’être renversé.

Coul­le­ry, en qui se per­son­ni­fiait alors l’In­ter­na­tio­nale dans les can­tons romans de la Suisse, déployait la plus grande acti­vi­té pour la pro­pa­gande. Il don­nait mee­tings sur mee­tings, prê­chant de vil­lage en vil­lage l’u­nion des tra­vailleurs et la fraternité.

Il vou­lut avoir un jour­nal à lui, et n’ayant pu trou­ver d’im­pri­meur, il mon­ta lui-même une impri­me­rie. Le jour­nal parut sous le titre de la Voix de l’A­ve­nir ; son pre­mier numé­ro porte la date du 31 décembre 1865.

La Voix de l’A­ve­nir, quoique fort mal rédi­gée, et n’ayant d’autre pro­gramme qu’une sorte de néo-chris­tia­nisme huma­ni­taire trou­va de nom­breux lec­teurs, non seule­ment en Suisse, mais en France. Il faut dire que c’é­tait à ce moment, avec la Tri­bune du peuple et la Liber­té de Bruxelles, le seul organe socia­liste qui se publiât en langue fran­çaise. On trou­ve­ra aux Pièces jus­ti­fi­ca­tives quelques cita­tions qui feront connaître d’une manière exacte la cou­leur et les prin­cipes de ce journal.

En sep­tembre 1866 eut lieu à Genève le pre­mier Congrès géné­ral de l’In­ter­na­tio­nale. Presque toutes les Sec­tions de la Suisse romande y furent repré­sen­tées. Le compte-ren­du que nous avons sous les yeux n’in­dique pas les noms des délé­gués ; nous cite­rons de mémoire, entre autres, Coul­le­ry pour la Chaux-de-Fonds, Guillaume pour le Locle, Schwitz­gué­bel pour Son­vil­lier, Becker et Dupleix pour Genève.

Ce Congrès, dans lequel furent adop­tés les Sta­tuts géné­raux de l’As­so­cia­tion, n’exer­ça sur les Sec­tions de la Suisse romande qu’une médiocre influence. On se rap­pelle qu’à Genève les dis­cus­sions furent presque entiè­re­ment diri­gées par les mutuel­listes pari­siens, Tolain, Murat et Fri­bourg, et qu’en dehors de l’a­dop­tion des Sta­tuts, le Congrès ne prit aucune déci­sion de réelle impor­tance. D’ailleurs, nous l’a­vons dit, à ce moment-là, dans cette période embryon­naire où l’In­ter­na­tio­nale se cher­chait elle-même, aucune des Sec­tions de notre région n’a­vait encore conscience de la por­tée réelle de l’acte qu’elles avaient accom­pli en créant l’As­so­cia­tion Inter­na­tio­nale des Tra­vailleurs ; on ne conce­vait d’autre solu­tion aux pro­blèmes éco­no­miques que la coopé­ra­tion et les réformes légis­la­tives, et le pro­gramme de la Voix de l’A­ve­nir expri­mait assez fidè­le­ment, dans sa reli­gio­si­té sen­ti­men­tale, les ten­dances géné­rales des ouvriers suisses. Ce ne fut qu’a­près le Congrès de Lau­sanne, en 1867, que quelques jeunes gens, révo­lu­tion­naires incons­cients d’eux-mêmes jusque-là, sen­tirent s’é­veiller en eux une vie nou­velle au contact des pro­lé­taires du reste de l’Eu­rope, et entre­virent pour la pre­mière fois, dans leur réa­li­té humaine et scien­ti­fique, les pers­pec­tives gran­dioses de la révo­lu­tion sociale universelle.

[|II|]

Voi­ci la liste des Sec­tions de la Suisse romande qui furent repré­sen­tées au Congrès inter­na­tio­nal de Lau­sanne (sep­tembre 1867) et les noms de leurs délégués :

Sec­tions de Genève (cen­trale, gra­veurs et bâti­ment) ; délé­gués : Dupleix, relieur ; Per­ron, Charles, peintre sur émail ; Mon­chal, Jules, gra­veur ; Qui­net, Fer­di­nand, tailleur de pierre ; Tre­boux, Samuel, plâtrier.

Sec­tion de Carouge : Blanc, professeur.

Sec­tion de Lau­sanne : Gret, Isaac, tan­neur ; Favrat, Phi­lippe, agent d’af­faires ; Avio­lat, Marc, typographe.

Sec­tion de Sainte Croix : Cuen­det-Kunz, fabri­cant de pièces à musique.

Sec­tion de Morat : Haf­ner, avocat.

Sec­tion de la Chaux-de-Fonds : Coul­le­ry, Pierre, médecin. 

Sec­tion du Locle : Guillaume, James, professeur. 

Sec­tion de Saint-Imier : Van­za, Félix, comptable. 

Sec­tion de Bienne : Roth, mécanicien.

Plu­sieurs Sec­tions de langue alle­mande, for­mées dans des villes de la Suisse romande, mais appar­te­nant à la Fédé­ra­tion spé­ciale des Sec­tions de langue alle­mande, étaient aus­si repré­sen­tées au Congrès, de même que quelques Socié­tés étran­gères à l’In­ter­na­tio­nale, comme la Socié­té indus­trielle et com­mer­ciale de Lau­sanne, la Socié­té du Grüt­li de Lau­sanne, l’U­nion typo­gra­phique de Lau­sanne, la Socié­té du Grüt­li de Delé­mont, etc.

Il ne peut entrer dans le pro­gramme de ce Mémoire de faire l’his­toire des Congrès de l’In­ter­na­tio­nale ; aus­si nous bor­ne­rons-nous à insis­ter sur deux ou trois points qui, au Congrès de Lau­sanne, inté­res­saient spé­cia­le­ment les Sec­tions romandes.

Le pre­mier point, c’est l’in­ci­dent rela­tif à une pro­po­si­tion éma­nant d’une assem­blée popu­laire tenue à Genève, et dont Per­ron de Genève était le por­teur. Cette pro­po­si­tion était rédi­gée sous la forme de deux ques­tions posées an Congrès, comme suit :

« La pri­va­tion des liber­tés poli­tiques n’est-elle pas un obs­tacle à l’é­man­ci­pa­tion sociale des tra­vailleurs, et l’une des causes prin­ci­pales des per­tur­ba­tions sociales ?

 » Quels sont les moyens de hâter ce réta­blis­se­ment des liber­tés poli­tiques ? Ne serait-ce pas la reven­di­ca­tion par tous les tra­vailleurs du droit illi­mi­té de réunion et de la liber­té illi­mi­tée du droit de la presse ? »

Ces ques­tions, dans l’in­ten­tion de Per­ron et l’as­sem­blée popu­laire gene­voise, devaient ser­vir en quelque sorte de pierre de touche pour éprou­ver la sin­cé­ri­té de cer­tains délé­gués pari­siens, sur les­quels pla­nait, depuis l’an­née pré­cé­dente, le soup­çon d’être des agents impé­ria­listes. Elles étaient donc bien moins des­ti­nées à deve­nir l’oc­ca­sion d’une dis­cus­sion de prin­cipes sérieuse et appro­fon­die, qu’à pro­vo­quer de la part des délé­gués en sus­pi­cion une décla­ra­tion publique et fran­che­ment répu­bli­caine. Tous ceux qui appuyèrent la pro­po­si­tion avaient été mis au fait et savaient que tel en était le but. C’est aus­si ce qui explique la demande de Per­ron, ten­dant à faire pla­cer ces deux ques­tions en tête de l’ordre du jour, afin que la décla­ra­tion répu­bli­caine pré­cé­dât toutes les dis­cus­sions d’ordre éco­no­mique. Cette demande fut reje­tée par 30 voix contre 21, la plu­part des reje­tants n’en ayant pas com­pris l’intention.

La pro­po­si­tion de l’as­sem­blée popu­laire gene­voise ne fut donc mise en dis­cus­sion que dans la sixième séance du Congrès, et le résul­tat fut l’a­dop­tion par le Congrès, sans dis­cus­sion et à l’u­na­ni­mi­té moins deux voix, de la réso­lu­tion suivante :

« Le Congrès de l’As­so­cia­tion inter­na­tio­nale des tra­vailleurs, réuni à Lausanne,

« Consi­dé­rant que la pri­va­tion des liber­tés poli­tiques est un obs­tacle à l’ins­truc­tion sociale du peuple et à l’é­man­ci­pa­tion du pro­lé­ta­riat, déclare :

« 1° Que l’é­man­ci­pa­tion sociale des tra­vailleurs est insé­pa­rable de leur éman­ci­pa­tion politique.

« 2° Que l’é­ta­blis­se­ment des liber­tés poli­tiques est une mesure pre­mière d’une abso­lue nécessité. »

On le voit, dans la 2° par­tie de la réso­lu­tion, le Congrès de Lau­sanne parais­sait s’en tenir au pro­gramme de la Ligue bour­geoise de la paix, ou à ce qui devint plus tard le pro­gramme d’Ei­se­nach (c’est-à-dire du par­ti démo­crate-socia­liste alle­mand). Mais, nous le répé­tons, il ne faut pas atta­cher d’im­por­tance exa­gé­rée à cette décla­ra­tion, qui fut votée uni­que­ment pour don­ner satis­fac­tion aux sus­cep­ti­bi­li­tés de quelques délé­gués gene­vois, et qui était tout sim­ple­ment une manière de désa­vouer toute alliance entre le socia­lisme et l’empire français.

Un second point qui a son impor­tance, c’est l’at­ti­tude que prit Coul­le­ry, le délé­gué de la Chaux-de-Fonds, dans la ques­tion de la pro­prié­té. Une dis­cus­sion s’é­tant enga­gée entre Lon­guet et Che­ma­lé d’une part, et De Paepe d’autre part, sur l’en­trée du sol à la pro­prié­té col­lec­tive, Coul­le­ry s’é­le­va très vio­lem­ment contre l’i­dée col­lec­ti­viste, et se décla­ra « par­ti­san de la liber­té la plus abso­lue, et par consé­quent de la pro­prié­té indi­vi­duelle. » De Paepe lui répon­dit par un dis­cours qui fut un évé­ne­ment, et dans lequel, pour la pre­mière fois, se trou­va expo­sée la théo­rie col­lec­ti­viste que l’In­ter­na­tio­nale allait bien­tôt ins­crire sur son pro­gramme. Tou­te­fois les idées étant encore très par­ta­gées, et les Fran­çais étant presque tous mutuel­listes, tan­dis que les Anglais et les Alle­mands étaient com­mu­nistes d’É­tat et que les délé­gués des autres nations n’a­vaient pas d’o­pi­nion for­mée, la dis­cus­sion fut remise au pro­chain Congrès. Mais dès ce moment la ques­tion de la pro­prié­té se trou­vait posée au sein des Sec­tions romandes, et Coul­le­ry, qui avait jus­qu’a­lors mar­ché à l’a­vant-garde des idées nou­velles, se voyait dépas­sé, et était condam­né, par ses doc­trines indi­vi­dua­listes et sen­ti­men­tales, à se voir bien­tôt obli­gé de rompre avec l’In­ter­na­tio­nale qui deve­nait col­lec­ti­viste et révolutionnaire.

Men­tion­nons encore un der­nier point : l’at­ti­tude du Congrès ouvrier à l’é­gard du pre­mier Congrès de la Ligue de la paix et de la liber­té, qui allait se tenir à Genève la semaine suivante.

Une com­mis­sion com­po­sée de Dupont, membre du Conseil géné­ral de Londres, Klein de Cologne, Bürk­ly de Zurich, Haf­ner de Morat, et Rubaud de Neu­ville-sur-Saône, avait rédi­gé un pro­jet d’a­dresse dans lequel le Congrès inter­na­tio­nal décla­rait « adhé­rer plei­ne­ment et entière ment au Congrès de la Paix qui se réuni­ra le 9 sep­tembre à Genève et vou­loir le sou­te­nir éner­gi­que­ment dans tout ce qu’il pour­rait entre­prendre pour réa­li­ser l’a­bo­li­tion des armées per­ma­nentes et le main­tien de la paix, dans le but d’ar­ri­ver le plus promp­te­ment pos­sible à l’é­man­ci­pa­tion de la classe ouvrière et à son affran­chis­se­ment du pou­voir et de l’in­fluence du capi­tal, ain­si qu’à la for­ma­tion d’une confé­dé­ra­tion d’É­tats libres dans toute l’Europe. »

Cette adresse ren­con­tra quelque oppo­si­tion de la part de De Paepe, de Bruxelles, qui mon­tra très bien l’er­reur dans laquelle on tombe en deman­dant la paix pour arri­ver plus promp­te­ment à la réor­ga­ni­sa­tion sociale, tan­dis qu’au contraire la paix ne peut être qu’un résul­tat de cette réor­ga­ni­sa­tion sociale. — Ecca­rius, membre du Conseil géné­ral de Londres, décla­ra que le Conseil géné­ral avait don­né pour ins­truc­tion à ses délé­gués de ne pas faire encore adhé­sion au Congrès de la Paix, parce qu’il ne croit pas que ce Congrès ait l’in­ten­tion de com­battre les véri­tables causes de la guerre ; mais que du reste il n’a­vait pas d’ob­jec­tion à ce qu’on adop­tât l’a­dresse. — Tolain, de Paris, for­mu­la aus­si quelques réserves contre le Congrès de la Paix, et expri­ma des doutes au sujet des inten­tions de réforme sociale prê­tées à ses promoteurs.

Les délé­gués des Sec­tions romandes, novices encore dans la ques­tion, et qui n’a­vaient vu dans le futur Congrès de la Paix que les grandes assises de la démo­cra­tie uni­ver­selle se mon­trèrent en géné­ral fort éton­nés de ces hési­ta­tions de leurs col­lègues. Per­ron de Genève décla­ra que la Ligue de la paix par­ta­geait entiè­re­ment les idées de l’As­so­cia­tion Inter­na­tio­nale des tra­vailleurs, comme le prou­vait son pro­gramme, — et ceci, remar­quons-le en pas­sant, fait voir com­bien l’In­ter­na­tio­nale était encore mal com­prise par ses plus chauds adhé­rents de la Suisse romande. — Coul­le­ry, de la Chaux-de-Fonds, fit un dis­cours très véhé­ment pour appuyer Per­ron : « Je ne com­prends pas, dit-il, que tous les délé­gués ne soient pas immé­dia­te­ment d’ac­cord sur une ques­tion comme celle-ci ! Nous devons nous joindre au Congrès de la Paix, qui veut l’a­bo­li­tion des armées per­ma­nentes ; ce sont elles qui main­tiennent la tyran­nie ; elles sont armées pour les des­potes. Il faut désar­mer les armées, et armer le peuple sou­ve­rain, en orga­ni­sant les milices. » — Puis, s’a­ban­don­nant à ces hyper­boles lyriques qui lui étaient fami­lières : « Envoyez-la donc, cette adresse au Congrès de la Paix, s’é­cria-t-il ; envoyez-la, que ce soit par la poste ou par un délé­gué ! J’i­rais moi-même, s’il le fal­lait, à pied, quand il y aurait cent cin­quante lieues à faire, mar­chant jour et nuit, afin de por­ter à temps au Congrès de la paix l’adhé­sion du Congrès des travailleurs ! »

Dupleix, de Genève, inter­vint à son tour, et défen­dit avec viva­ci­té les membres de la Ligue de la Paix du reproche d’être des bour­geois. Si le Comi­té qui a pris l’i­ni­tia­tive du Congrès de la Paix est com­po­sé de bour­geois, dit-il, alors Mon­chal, Per­ron, J.-Ph. Becker et moi nous sommes des bour­geois, car nous fai­sons par­tie de ce Comité.

En fin de compte l’a­dresse fut votée, avec un amen­de­ment de Tolain qui disait que le Congrès de l’In­ter­na­tio­nale subor­don­nait son adhé­sion au Congrès de la Paix à l’ac­cep­ta­tion par ce der­nier des prin­cipes de réforme éco­no­mique énon­cés dans l’a­dresse. Tolain, De Paepe et Guillaume furent ensuite char­gés de la pré­sen­ta­tion de cette adresse.

Nous avons insis­té sur cet inci­dent, parce qu’il fait voir clai­re­ment qu’en 1867 il n’y avait pas encore, dans la croyance des délé­gués de l’In­ter­na­tio­nale, de dis­si­dence sérieuse de prin­cipes entre eux et la Ligue de la Paix. On pou­vait, sans pas­ser pour un traître et un bour­geois, être tout à la fois, comme J.-Ph. Becker et ses col­lègues de Genève, membre du Comi­té de la Ligue de la Paix et membre de l’In­ter­na­tio­nale. Ce ne fut que peu à peu que l’As­so­cia­tion Inter­na­tio­nale com­prit qu’elle devait suivre sa voie propre, dans laquelle toute alliance avec n’im­porte quel par­ti bour­geois était impos­sible, et que dans ce prin­cipe en ver­tu duquel elle s’é­tait fon­dée, « l’af­fran­chis­se­ment des tra­vailleurs par les tra­vailleurs eux-mêmes », était ren­fer­mé en germe un pro­gramme abso­lu­ment nou­veau, dont les dif­fé­rentes par­ties devaient s’é­la­bo­rer len­te­ment et par un tra­vail suc­ces­sif dans le sein de l’Association.

On connaît les scènes ora­geuses qui mar­quèrent le pre­mier Congrès de la Paix, et la manière dont la bour­geoi­sie gene­voise, diri­gée par le fameux radi­cal James Fazy, accueillit les bour­geois radi­caux du reste de l’Eu­rope. Ces que­relles de famille empê­chèrent la dis­cus­sion sérieuse qui devait s’é­ta­blir à pro­pos de l’a­dresse du Congrès de l’In­ter­na­tio­nale. Quelques-uns des nôtres prirent néan­moins la parole, entre autres Dupont, Lon­guet et De Paepe ; M. Chau­dey, avo­cat de Paris, par­la dans le sens de la conci­lia­tion entre les socia­listes et les bour­geois ; et le citoyen Bakou­nine, que cha­cun de nous vit ce jour-là pour la pre­mière fois, pro­non­ça un éner­gique dis­cours dans lequel il émit sa théo­rie, deve­nue popu­laire depuis, de la des­truc­tion des États poli­tiques et de la libre fédé­ra­tion des com­munes. L’im­pres­sion pro­duite par Bakou­nine est indi­quée par le début du dis­cours de Lon­guet, qui disait, par­lant des idées qu’il croyait utile de déve­lop­per : « Quelques-uns des ora­teurs qui m’ont pré­cé­dé à cette tri­bune les ont déjà émises, et hier un pros­crit de la Rus­sie du czar, un grand citoyen de la Rus­sie future, Bakou­nine, les expri­mait avec l’au­to­ri­té du lut­teur et du penseur. »

En ter­mi­nant ce cha­pitre, men­tion­nons une confé­rence qui eut lieu, pen­dant le Congrès de Lau­sanne, entre plu­sieurs délé­gués des Sec­tions romandes, et dans laquelle il fut déci­dé : 1° que la Voix de l’A­ve­nir serait désor­mais l’or­gane offi­ciel des Sec­tions Inter­na­tio­nales de la Suisse romande, et que la rédac­tion conti­nue­rait à être confiée au Dr Coul­le­ry ; 2° que le Comi­té cen­tral des Sec­tions de Genève rece­vait, jus­qu’au pro­chain Congrès, la mis­sion de ser­vir de centre de cor­res­pon­dance entre les Sec­tions romandes. Ce fut là le pre­mier pas fait vers une fédé­ra­tion de ces Sec­tions, qui ne devait néan­moins s’ac­com­plir qu’une année plus tard.

[/(A suivre.)/]

Extraits de la « Voix de l’Avenir »

Le numé­ro du 26 mai 1867 de la « Voix de l’A­ve­nir » pour­rait ser­vir de spé­ci­men pour carac­té­ri­ser les ten­dances de ce jour­nal ; on y trouve une quan­ti­té d’ar­ticles très courts sur presque tous les sujets qu’il avait l’ha­bi­tude de trai­ter. Nous en repro­dui­sons quelques-uns :

Le mouvement social

En France, en Alle­magne, la révo­lu­tion qui s’o­père dans l’es­prit des classes labo­rieuses attire l’at­ten­tion des savants, des capi­ta­listes et des gou­ver­ne­ments. On peut affir­mer que par­tout le mou­ve­ment social a les sym­pa­thies de l’im­mense majo­ri­té de la nation. Les jour­naux de tous les par­tis prêtent leur concours aux efforts qui se font en faveur de la coopé­ra­tion et de l’ins­truc­tion. C’est un immense com­plot contre la misère. Mais que fait-on chez nous, que font en Suisse les classes pri­vi­lé­giées, en face de cette immense mani­fes­ta­tion du corps social ? Que fait-on à la Chaux-de-Fonds ? Rien, ou presque rien. Si cette indif­fé­rence n’est pas cou­pable, si elle n’est pas le signe d’un égoïsme aveu­glé, elle est du moins l’ex­pres­sion d’une grande igno­rance et d’une pro­fonde incapacité.

Séparation de l’Église et de l’État

Ce qui se passe actuel­le­ment dans le can­ton de Berne est bien triste. Il y a conflit entre le gou­ver­ne­ment et l’é­vêque, dans la nomi­na­tion d’un curé à Berne, dans la réduc­tion des fêtes dans la par­tie catho­lique. Le gou­ver­ne­ment res­sus­cite la ques­tion des reli­gieuses, etc.

Avec une simple sépa­ra­tion de l’É­glise et de l’É­tat, toutes ces luttes, qui prennent un carac­tère sou­vent scan­da­leux, n’exis­te­raient pas. Pour­quoi donc le radi­ca­lisme ber­nois pré­fère-t-il à une grande réforme cette guerre digne du moyen âge. C’est un mys­tère. En réveillant des haines et en pro­vo­quant des luttes confes­sion­nelles, on empê­che­ra le Jura de s’oc­cu­per des che­mins de fer et Berne sera quitte de finan­cer pour les construire. Divi­ser pour régner.

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Le Capital

Capi­tal est un mot qui exprime des idées bien différentes.

Cha­cun le com­prend à sa manière.

Les éco­no­mistes qui s’en occupent sans cesse ne sont pas encore d’ac­cord sur sa véri­table signification.

Pour nous, le capi­tal est com­po­sé de tous les élé­ments qui contri­buent à pro­duire des objets néces­saires et utiles à l’en­tre­tien de l’homme.

Mais les objets pro­duits sont eux-mêmes un capi­tal puis­qu’ils sont néces­saires ou utiles à la vie de l’homme.

On voit donc qu’il y a deux élé­ments bien dis­tincts dans le capi­tal : les élé­ments pro­duc­teurs et les élé­ments produits.

Il y a donc le capi­tal actif et le capi­tal passif.

Le pre­mier se com­pose de tous les élé­ments de production.

Le second se com­pose de tous les élé­ments de consommation.

L’argent, le papier-mon­naie, ne sont pas un capi­tal, car ils ne sont ni pro­duc­teurs ni pro­duits. Ce sont des signes repré­sen­ta­tifs du capi­tal. Le signe pour­rait dis­pa­raître que le capi­tal res­te­rait intact.

Instruction publique

Nous appre­nons, par l’Edu­ca­teur, revue péda­go­gique publiée par la Socié­té des ins­ti­tu­teurs de la Suisse romande, que le gou­ver­ne­ment de Fri­bourg, par sa direc­tion de l’ins­truc­tion publique, posait en août 1866, aux ins­pec­teurs sco­laires, la ques­tion suivante :

Com­ment l’ins­ti­tu­teur peut-il et doit-il s’y prendre pour flé­trir et sup­pri­mer si pos­sible la men­di­ci­té, sans flé­trir ni la pau­vre­té, ni l’aumône ?

Il nous semble que la ques­tion est très embar­ras­sante. Et d’a­bord, nous croyons qu’on ne doit pas char­ger un corps ensei­gnant de flé­trir mais bien de dis­cu­ter, d’é­tu­dier et de pro­po­ser des moyens pour résoudre une ques­tion. À quoi sert la flétrissure ?

Com­ment faut-il s’y prendre pour flé­trir la men­di­ci­té sans flé­trir l’au­mône ? Lequel est le plus cou­pable, celui qui est obli­gé de men­dier ou celui qui est à même de faire l’au­mône ? La men­di­ci­té est un pro­duit de notre socié­té, le men­diant en est une vic­time. Est-ce que la socié­té doit mau­dire son œuvre ? Elle ferait mieux de la détruire.

Jamais un gou­ver­ne­ment n’a posé une ques­tion aus­si embar­ras­sante à un corps ensei­gnant char­gé de don­ner l’ins­truc­tion religieuse.

En effet, d’a­près la reli­gion catho­lique, l’au­mône est une bonne œuvre com­man­dée par la religion.

Celui qui donne fait un acte méri­toire, il gagne la vie éternelle.

Détruire la men­di­ci­té, pour un homme reli­gieux, c’est enle­ver au riche l’oc­ca­sion de faire le bien et de gagner pour lui une place en para­dis. Com­ment un gou­ver­ne­ment reli­gieux peut-il tra­vailler si ouver­te­ment contre la reli­gion ? D’ailleurs, les prêtres n’en­seignent-ils pas que Christ a pré­dit qu’il y aurait tou­jours des pauvres, donc des hommes qui reçoivent l’au­mône, des men­diants enfin. Et flé­trir la men­di­ci­té, ne serait-ce pas flé­trir la religion ?

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Faillite

Dans le can­ton de Neu­châ­tel cha­cun est expo­sé à faire faillite. Le plus simple ouvrier peut être décla­ré en faillite comme le pre­mier com­mer­çant. Nous ne com­bat­tons pas cette éga­li­té devant la loi, puisque nous deman­dons la des­truc­tion de tout privilège.

Nous dési­rons que dans une faillite il n’y ait aucun créan­cier pri­vi­lé­gié, excep­té le créan­cier hypo­thé­caire, parce que ce genre de créance est un contrat sti­pu­lé entre deux parties.

L’ou­vrier doit deman­der la des­truc­tion de l’es­pèce de pri­vi­lège que la loi consacre pour lui, parce qu’il en devient la dupe. La créance est pri­vi­lé­giée, mais le plus sou­vent elle n’est pas payée.

Le pri­vi­lège étant abo­li, il cher­che­ra à être payé à terme rapproché.

L’ou­vrier doit deman­der l’é­ga­li­té devant la loi, pour tous, et pour lui-même avant tout. Le pri­vi­lège est fatal à la socié­té entière et au pri­vi­lège lui-même.

Viennent ensuite : un article du jour­nal pari­sien la Coopé­ra­tion sur « l’ap­pli­ca­tion de l’é­change aux socié­tés coopé­ra­tives » ; — un article du jour­nal pari­sien l’Ecole, sur le déve­lop­pe­ment de l’ins­truc­tion publique en France ; on y lit cette phrase : « L’é­lan est com­mu­ni­qué d’en haut, et il faut rendre cette jus­tice au ministre de l’Ins­truc­tion publique qu’il fait de grands et géné­reux efforts pour le rendre géné­ral » ; le pro­gramme d’un concours ouvert par l’As­so­cia­tion Inter­na­tio­nale des sciences sociales pour le meilleur tra­vail sur les causes de la guerre ; — un article biblio­gra­phique des plus élo­gieux, par M. Edmond Poto­nié, sur le livre de M. Eug. Flot­tard, inti­tu­lé le Mou­ve­ment coopé­ra­tif à Lyon et dans le Midi de la France ; — enfin l’an­nonce de plu­sieurs docu­ments reçus par la rédac­tion et que le défaut d’es­pace la force à ren­voyer au numé­ro sui­vant ; on y remarque entre autres « un pro­jet de loi ayant pour but d’é­ta­blir dans la répu­blique de Neu­châ­tel une mai­son de tra­vail et de mora­li­sa­tion pour les vaga­bonds et les ivrognes, à la charge des com­munes et de la socié­té. Nous remer­cions M. Ch. Favar­ger [[Dépu­té conser­va­teur]] d’a­voir pris cette ini­tia­tive au Grand-Conseil, et nous sym­pa­thi­sons avec les prin­cipes et les idées de son projet. »

Dans le numé­ro du 11 août 1867, se trouve une sorte d’ar­ticle-pro­gramme, inti­tu­lé nos enne­mis, et que nous repro­dui­sons ci-dessous :

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Nos ennemis

Le mou­ve­ment social qui agite l’Eu­rope et l’A­mé­rique est un effet des prin­cipes du chris­tia­nisme et de la phi­lo­so­phie des 17e et 18e siècles.

Ces grands prin­cipes ont pro­duit déjà de grandes trans­for­ma­tions dans l’ordre poli­tique et dans l’ordre social.

Les esclaves sont affran­chis bien­tôt par­tout. L’es­cla­vage s’est trans­for­mé en sala­riat. Aujourd’­hui le sala­riat lui-même subit une grande trans­for­ma­tion. Les mots de fra­ter­ni­té, d’é­ga­li­té, n’ont plus pour les masses popu­laires, ni pour les phi­lo­sophes, le sens qu’ils avaient jadis, et ils éveillent aujourd’­hui des sen­ti­ments nouveaux.

Les sala­riés, les tra­vailleurs, égaux devant la loi, res­tent infé­rieurs à leurs frères dans l’é­tat social. Ils sentent qu’a­près les grandes conquêtes faites par nos pères dans le domaine poli­tique et civil, ils ont pour tâche, eux, de chan­ger leur posi­tion éco­no­mique et sociale.

Ce sen­ti­ment a com­men­cé de se mani­fes­ter d’une manière puis­sante en 1848. Mais alors, il se révé­lait par des théo­ries dif­fé­rentes, sui­vant les diverses écoles socia­listes. Aujourd’­hui, les écoles ont à peu près dis­pa­ru, mais il reste de cha­cune d’elles une série de points pra­tiques à mettre à exécution.

La tâche est grande, et pour­tant ce sont les classes ouvrières qui s’en sont char­gées. Et, avec le concours de l’in­tel­li­gence et de la science, elles rem­pli­ront cette tâche ; per­sonne n’en doute plus que ceux qui refusent de réflé­chir et de voir.

[/(A suivre)./]

La Presse Anarchiste