La Presse Anarchiste

Notre combat

Ce titre « la Conquête du Pain », sur lequel s’est fixé le choix du groupe ini­tia­teur, n’est pas seule­ment évo­ca­teur d’une grande œuvre et d’une grande figure dont s’ho­nore le mou­ve­ment anar­chiste, il ne consti­tue pas seule­ment pour nous, modestes ouvriers de l’i­déal liber­taire, un rap­pel exem­plaire et constant d’une époque et d’une géné­ra­tion de lut­teurs, de théo­ri­ciens, d’a­pôtres et de héros comme nul mou­ve­ment éman­ci­pa­teur n’en ali­gna jamais — il a une signi­fi­ca­tion concrète, pré­cise, qu’il doit aux cir­cons­tances mêmes que nous traversons.

Qu’y a‑t-il en effet de plus actuel, de plus tra­gi­que­ment actuel et de plus angois­sant, que ce pro­blème du pain dont Kro­pot­kine, il y a un demi-siècle, nous bros­sait le tableau en des fresques où l’esprit du savant se com­bi­nait magni­fi­que­ment avec l’enthousiasme du poète, où la gran­diose beau­té des anti­ci­pa­tions har­dies s’alliait inti­me­ment avec la méthode rigou­reuse du statisticien ?

Les faits sont la :

Une géné­ra­tion cru­ci­fiée ago­nise ; qua­rante mil­lions d’hommes sont « de trop » en Europe ; la jeu­nesse est sans ave­nir ; l’adolescence sans espoir et sans horizons.

Qu’offre le vieux monde aux « Jeu­nesses » ? Du sport ! Du sport qui détruit l’in­tel­li­gence et sté­ri­lise les sources de la beau­té morale, de l’é­lé­va­tion spi­ri­tuelle. Du sport qui, sous l’eu­phé­misme de « culture phy­sique », n’est en réa­li­té qu’une mise en route savante, métho­dique, sys­té­ma­tique des géné­ra­tions mon­tantes vers des char­niers en pré­pa­ra­tion… Car la terre n’a pas encore assez bu de sang !

On invoque la fatalité.

fata­li­té éco­no­mique que le manque de pain dans un état de pro­duc­tion pléthorique ?

fata­li­té sociale que la pré­pa­ra­tion à la guerre et la guerre elle-même ?

Fata­li­té humaine que le mal­heur uni­ver­sel sévis­sant en dépit d’un pro­grès méca­nique dis­pen­sa­teur de mer­veilles dont l’homme, frap­pé de la tare ori­gi­nelle, ne sait pas faire son profit ?

Fata­li­té ?… Non pas. Orga­ni­sa­tion cri­mi­nelle de la socié­té ; prin­cipe vicieux de l’ordre capitaliste.

C’est à cela, c’est aux causes fon­cières qu’il faut s’at­ta­quer réso­lu­ment… Nous enten­dons par « conquête du pain » l’a­bo­li­tion de I’« Ordre » bour­geois, la refonte com­plète des ins­ti­tu­tions , et des mœurs, la recons­truc­tion d’un monde nouveau.

En créant cet organe nous mar­quons notre volon­té de ne pas nous « lais­ser faire », et de ne pas lais­ser faire.

Nous pen­sons pou­voir regrou­per les éner­gies éparses, coor­don­ner les efforts dis­per­sés, rompre enfin l’é­tat de dépres­sion idéo­lo­gique qui n’a que trop long­temps duré, reva­lo­ri­ser, si l’on peut dire, l’es­prit anar­chiste là où il est défaillant et mal com­pris et fécon­der ain­si la propagande.

Dépouillé de dog­ma­tisme et de doc­tri­na­risme, incom­pa­tibles avec la vie, cet organe doit deve­nir le bon ins­tru­ment d’une lutte salutaire.

Que les bonnes volon­tés s’af­firment en har­mo­nie avec nous. Et « la Conquête du Pain » ne tar­de­ra pas, nous en avons la convic­tion ferme, à prendre un essor et une force de péné­tra­tion qui attes­te­ront de la vigueur de l’es­prit libertaire.

Mais la « conquête du pain » signi­fie encore autre chose. Les sys­tèmes d’au­to­ri­té se flattent de résoudre le pro­blème social d’un point de vue maté­riel : Cela pour­rait-il suf­fire ? Non. Car le pain, sans la liber­té, ne peut être qu’amer.

Il faut vivre libre.

Or, la liber­té ne se donne pas, elle se prend ; elle se conquiert de haute lutte et elle se conserve de même. De là la néces­si­té de sus­ci­ter des hommes capables de conqué­rir la liber­té, dignes d’en jouir et aptes à la conserver.

Voi­là quelle sera la forme du com­bat que nous vou­lons mener : c’est un com­bat pour la sub­sis­tance maté­rielle, dou­blé d’un com­bat pour l’individu.

L’ob­jec­tif est un : libé­rer l’homme, affran­chir la socié­té humaine, en sapant, en détrui­sant, en extir­pant tout ce qui doit dis­pa­raître, tout ce qui porte la marque de l’es­prit esclave.

Inté­grer la per­son­na­li­té humaine dans une socié­té libé­rée, n’est rien d’autre que le com­bat tra­di­tion­nel des anar­chistes. Il va plus loin que la démo­cra­tie avor­tée de 89, bien qu’­his­to­ri­que­ment il pro­cède de la grande épo­pée révo­lu­tion­naire dont on peut dire que la bour­geoi­sie a ter­ni le carac­tère et faus­sé le prin­cipe moteur.

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Pré­sen­te­ment la socié­té capi­ta­liste est enga­gée uni­ver­sel­le­ment dans une passe cri­tique. Les maîtres et leurs valets contiennent avec peine les forces vol­ca­niques que leur sys­tème enfante iné­luc­ta­ble­ment, ain­si que nos pion­niers l’ont prédit.

Il faut des retouches, ou il faut la guerre, ou la dic­ta­ture, ou la révolution…

« Quelque chose » doit ou va se pro­duire ! Eh bien, ce « quelque chose » à quoi tra­vaillent des forces occultes et tant d’autres qui n’ont pas besoin de mettre un masque, ce « quelque chose » à quoi l’élé­ment « foule » est appe­lé à don­ner son cachet, ne pou­vons-nous pas l’in­fluen­cer et, dans une cer­taine mesure, lui impri­mer l’empreinte de nos idées ?

Un grand drame social se joue. Il fau­drait être bien aveu­glé de par­ti pris ou bien pauvre de carac­tère, pour ne pas com­prendre que devant l’as­saut des forces bar­bares, la self défence com­mande de sor­tir de ses retran­che­ments, de sa tour d’i­voire. L’ex­pec­ta­tive et l’i­so­le­ment sont mor­tels. C’est tou­jours, d’ailleurs, avec la com­pli­ci­té du silence et de la pas­si­vi­té, que se ren­forcent les chaînes et que se per­pètrent les atten­tats de l’au­to­ri­té, quelle qu’elle soit, contre l’homme.

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