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« La guerre est une chose cruelle qui convient aux bêtes féroces, et non à l’homme ; si insensée que les poètes la représentent comme une inspiration des Furies, si funeste qu’elle entraîne avec elle la ruine complète des mœurs, si injuste que les brigands les plus scélérats sont ceux qui la font le mieux, si impie qu’elle n’a aucun rapport avec le Christ, et pourtant les papes négligent tout pour en faire leur unique occupation. On voit parmi eux des vieillards décrépits, montrer une ardeur juvénile, semer l’argent, braver la fatigue, ne reculer devant rien, afin de pouvoir mettre sens dessus dessous les lois, la religion, la paix, l’humanité tout entière. Et ils ne manquent pas de savants flatteurs qui qualifient cette frénésie manifeste de zèle, de pitié, de courage, imaginant de prouver que l’on peut tirer un fer meurtrier et le plonger dans les entrailles de son frère, sans violer la charité parfaite que suivant le précepte du Christ, un chrétien doit à son prochain. »
On se serait imaginé qu’au travers de quatre siècles de « culture et de civilisation » les êtres humains se seraient assagis, c’est là une illusion, la maladie n’a fait qu’empirer.
Aux dagues et aux arquebuses des temps jadis ont fait place les fusils perfectionnés et les canons à tir rapide. La dernière guerre mondiale a vu naître et se développer des engins d’une férocité criminelle, grenades, lance-flammes, mitrailleuses, etc.
Des créatures apocalyptiques revêtues d’une cagoule monstrueuse vivaient cachés sous terre, comme des taupes et s’élançaient à l’assaut des tranchées ennemies, précédés d’un ouragan d’acier et de fumée. Tandis que des nuages verdâtres et une mitraille infernale faisaient rage, des tanks et des machines volantes apportaient leur concours meurtrier aux massacres de l’humanité en délire. Que nous réserve demain ? Certains esprits qui prévoyaient déjà cette féerie macabre d’hier, nous en offrent quelques légers aperçus, et pour tout dire, cela n’a rien de réjouissant. La prochaine dernière, la der des der sera fraiche et gazeuse ; nous assisterons en des temps héroïques à une guerre saine et sublime où la dégradation et l’avilissement de l’être humain seront entiers.
Des gaz nouveaux, mystérieux et redoutables, viendront se mêler aux bacilles d’horribles maladies, et tandis que les uns faucheront impitoyablement, les autres sèmeront la peste ou le choléra, ou terrasseront non seulement ceux qui participeront à la tuerie, mais tous ceux, femmes, enfants et vieillards restés aux foyers désertés par la lâcheté des hommes.
Pour compléter le tableau fantastique, la mécanique et l’électro-technique, avions, tanks et machines infernales de toutes espèces, accompagneront, tel un orchestre étrange, l’hécatombe mirifique de cette stupéfiante inhumanité. Et le lendemain, l’on se réveillera sur un immense cimetière, ce sera là le triomphe de la civilisation, la rançon d’un machinisme par trop glorifié, résultat d’un déséquilibre entre les facteurs d’évolution matériels et spirituels, c’est l’héritage que nous lèguera la société capitaliste. Nous n’en voulons pas.
Nous sortons d’en prendre. Les plaies saignantes que la dernière guerre a laissées, ne sont point encore cicatrisées, et il en est beaucoup parmi ceux-là qui de bonne foi partirent pour défendre le droit et la liberté en péril, qui ressentent encore les effets des arsines et des gaz-moutarde. Déjà on voudrait recommencer, le désir de remettre « ça » anime quelques milliers de déments, mais je sais des millions d’êtres humains qui n’en veulent plus ; et nous qui comprenons, nous qui entrevoyons la tragédie future, nous devons impérieusement être avec eux pour les guider, les soutenir dans cette lutte à livrer au Moloch guerrier. Ne nous y refusons point, l’heure est vernie de consacrer tons ses efforts pour construire ici bas un peu plus d’équité, pour instaurer une société meilleure où la Justice et l’Amour ne seront point de vains mots.
Le général français Debeney, directeur de l’École supérieure de la Guerre, s’exprimait dans Pittsburgh Dispatch : « Si la guerre recommence, l’aviation et spécialement le gaz joueront des rôles très importants. Les progrès de l’aviation rendront l’arrière des fronts extrêmement dangereux et les progrès de la chimie permettront l’emploi des gaz sur des zones d’une étendue telle qu’on ne peut l’imaginer. »
Cet avertissement est significatif et démontre péremptoirement les intentions qui animent ceux qui font métier de guerrier. Aucune illusion à se forger à ce sujet.
Sans doute, vous pourriez m’objecter que l’emploi des gaz est chose interdite, que les conventions internationales ont réglementé l’emploi de ces toxiques.
L’historien G. Lenôtre, faisant allusion à l’utilisation des gaz clans l’armée, écrit (Guerre des gaz pas nouveau), qu’au
Depuis nous avons évolué.
Si les mêmes anathèmes furent lancés contre ceux qui employèrent les premiers les gaz, cela rappelle l’indignation, assez puérile d’ailleurs, qui anima ceux qui jadis protestèrent lorsqu’on substituât l’arme à feu à l’arme blanche.
En ces temps-là déjà ce furent des traîtres, des lâches, car la loyauté chevaleresque de l’époque estimait que seule l’arme blanche était digne de mettre à mal son adversaire.
Blaise de Montluc ne manqua point de juger avec toute la déloyauté qu’on se devait à l’époque, cet engin qui à distance frappait l’adversaire anonymement et voici en quels termes :
« Sans cette invention maudite, tant de braves et vaillants hommes ne fussent pas morts, le plus souvent de la main de poltrons qui n’oseraient regarder au visage celui qui, de loin, ils renversèrent par terre avec leurs malheureuses balles. »
Chaque fois qu’une nouvelle découverte est venue jeter la consternation chez les combattants, ce fut toujours un concert de protestations ou de récriminations, toujours la peur ou la terreur en étaient les mobiles véritables.
Mais comme l’écrivait avec juste raison von Romocki : « On peut à peu près irréfutablement prouver qu’à chaque fois qu’une arme nouvelle fait son apparition et surpasse ses devancières, elle est tout d’abord proscrite comme contraire aux règles de l’humanité, pour être ensuite, au bout d’un certain temps de progrès successifs, légitimée [[Von Romoeki : L’Histoire des matières explosives, tome I, p. 280.]]. »
La science en perfectionnant les engins meurtriers, a définitivement tué le romantisme guerrier. Le courage est devenu pour ainsi dire inutile et a fait place à la technique, à la raison ou à la ruse, ainsi le veut la morale moderne de la guerre.
Armand Charpentier écrivait dans son livre « Ce que sera la guerre des gaz » :
« L’évolution de la technique guerrière peut se présenter sous cette forme schématique :
- Transformation continue des armes par la Science ;
- Effroi et indignation des troupes surprises par les nouvelles armes ;
- Adaptation rapide des combattants à ces armes.
Cette évolution étant fonction des progrès de la science, nul ne peut envisager son point terminus” [[Armand Charpentier : Ce que sera la guerre des gaz, p. 15 – 16.]].
La guerre chimique s’impose indéniablement de plus en plus, elle s’affirme être celle qui demain jouera sur l’échiquier mondial la vie des millions d’êtres humains.
Le permettrons-nous ?
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