La Presse Anarchiste

Comme quoi le Père Peinard se fout journaliste

Si rigol­boche que ça paraisse, ça y est, me voi­là journaliste !

Com­ment c’est venu, en quatre mots le voi­ci : depuis un brin de temps, un tas d’idées me trot­taient par la caboche, et ça me tur­lu­pi­nait rude­ment de n’en pas pou­voir accou­cher. Voir cette fin de siècle, dégueu­lasse au pos­sible, où tout est men­te­ries, cra­pu­le­ries et bri­gan­dages — et assis­ter la bouche close a tout ça : nom de dieu, je pou­vais pas m’y faire !

Le sang me bouillait de voir les cochons du gou­ver­ne­ment s’engraisser à nos dépens ; de ces bougres-là, y en a pas un seul qui vaille mieux que l’autre. Dans les Chambres, de l’Extrême-droite à l’Extrême gauche, il n’y a qu’un tas de salo­piauds tous pareils : Cas­sa­gnac, Frep­pel, Fer­ry, Flo­quet, Bou­lange, Bas­ly et les autres, c’est tous des bouffe-galette !

La ros­se­rie des patrons aus­si me fou­tait en rage. Ces cha­meaux-là n’en fichent pas un coup ! Ils rap­pliquent à l’atelier une fois leur cho­co­lat liché ; ce qu’ils savent faire chouet­te­ment, c’est gueu­ler après les com­pa­gnons et pal­per la bonne argent — sor­tis de là y a plus personne.

Y a bien les jour­na­listes de métier qui pour­raient par­ler et en dire long, contre les riches et les puis­sants ; mais voi­là, ils trouvent plus pro­fi­table de rabâ­cher les vieilles balan­çoires. Le nez au cul des bour­geois, des finan­ciers, des gou­ver­nants, ils ne cherchent qu’à empo­cher des pièces de cent sous.

Et dame, comme ils y trouvent leur pro­fit, ils sont muets comme les carpes — Y a pas, c’est un truc épa­tant pour empê­cher les chiens de mordre, que de les atta­cher avec des saucisses !

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Avec ça ils font les farauds, ces fou­tus jour­na­leux ! Ils traitent de racaille les came­lots du Crois­sant, qu’on embauche sans façon, pour ou contre Bou­lange — sui­vant les prix.

Eux, se per­mettre de mépri­ser les came­lots ! Nom de nom, c’est du tou­pet. Comme s’ils n’étaient pas plus sales, en pas­sant d’un canard anti-bou­lan­giste à un bou­lan­giste, aus­si faci­le­ment qu’ils changent de chaus­settes. Et ils se vendent, c’est pas pour un qui­gnon de pain, mais pour faire la noce et cha­hu­ter chez les grands du boulevard.

Les came­lots, s’ils braillent vive Bou­lange ou vive Car­not, c’est pour le bou­lot­tage, et parce qu’ils n’ont pas de bri­che­ton à se four­rer dans la gargamelle.

Consé­quem­ment, foi de Père Pei­nard, tous les jour­na­leux ensemble ne valent pas un camelot !

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Donc je me répé­tais sou­vent : y aura donc pas un gas à poil qui ait le nerf de gueu­ler toutes ces véri­tés, nom de dieu !

À force d’y pen­ser, d’en cau­ser avec des copains, je me suis dit : « pour­quoi pas moi ? » si l’instruction est un peu de sor­tie, y a du bon sens dans ma caboche !

Je vou­lais d’abord ne faire que des affiches, c’est très chouette au moment des élec­tions ; mais après c’est pas drôle, elles coûtent chaud quand il faut fiche un timbre sur cha­cune. Et n’étant pas du tout cou­su d’or, au bout d’une demi-dou­zaine d’affiches, une fois fau­ché, com­ment faire pour conti­nuer à gueuler ?

Pour lors y avait qu’un moyen ; « tu es à la hau­teur de quelques pièces de cent sous, que je me dis, dégotte un impri­meur et lance un petit canard heb­do­ma­daire. Si ce que tu dis en vaut la peine, les copains t’achèteront et te liront, et alors tu pour­ras jas­pi­ner à gogo, mille bombes ! »

Et voi­là comme quoi le Père Pei­nard s’est fou­tu journaliste !

Seule­ment, les amis, je ne biche pas le tur­bin pour ça — et c’est entre deux savates que je tor­che­rai mes tartines.

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Natu­rel­le­ment, en ma qua­li­té de gniaff, je suis pas tenu à écrire comme les nigue­douilles de l’Académie : vous savez, ces qua­rante cor­ni­chons immor­tels, qui sont en conserve dans un grand bocal, de l’autre côté de la Seine.

Ah, non alors, que j’écrirai pas comme eux ! Pri­mo, parce que j’en suis pas fou­tu — et sur­tout parce que c’est d’un rasant, je vous dis que ça…

Et puis il faut tout dire, la gram­maire que j’ai eue à l’école ne m’ayant guère ser­vi qu’à me tor­cher le cul je ne sai­sis pas en quel hon­neur je me fou­trais à la pio­cher maintenant.

Il est per­mis à un zigue d’attaquer, de la trempe de bibi, de faire en jabot­tant ce que les gourdes de l’Académie appellent des cuirs. Et j’en fais mille ton­nerres, je suis pas bouiffe pour des prunes !

Pour­quoi donc que je m’en pri­ve­rais en tartinant ?

J’ai la tignasse embrous­saillée, je la démêle, comme on dit, avec un clou – je vois pas pour quelle rai­son je bichon­ne­rais mes flanches.

Est-ce des rabâ­chages de châ­trés que je colle sur le papier ? – Je le pense pas, bon sang !

Eh bien, pour lors, à quoi ça serait utile de pom­ma­der mes phrases, puisqu’elles sont pas pon­dues pour les petits cre­vés, qui font leur poire un peu partout.

Les types des ate­liers, le gas des usines, tous ceux qui peinent dur et triment fort, me com­prennent. C’est la langue du popu­lo que je dégoise ; et c’est sur le même ton que nous jabot­tons, quand un copain vient me dégot­ter sans ma turne et que j’allonge les gui­boles par des­sus ma devan­ture, pour aller sif­fler un demi-setier chez le tro­quet du coin.

Être com­pris des bons bougres c’est ce que je veux – pour le reste je m’en fous !

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