Un tas d’aspirants bouffe-galettes, des types qui ne rêvent que de délégations, de mandats, de sinécures, se sont fichés dans la boussole qu’ils sont l’état-major du populo.
À les entendre, ces noms de dieu là ! Eux et puis eux, y a que ça !
Et ce qu’ils en font des manigances pour attirer l’attention.
Ils sont toujours à piailler ou à pontifier, – si c’est pas à droite c’est à gauche.
Le grand chef, du moins le plus tapageur, c’est Boulé. Lui est presque bouffe-galette – il est déjà surnuméraire de première classe et attend de l’avancement. – aussi pour le 27 janvier il s’est bougrement remué : il a une envie qui le crève d’aller à l’Aquarium !
Ça a raté, mais aux prochaines, il les décrochera ses vingt-cinq balles : et ce sera justice, à son avis – c’est de la braise qu’on doit à sa vieille barbe.
En attendant, il chauffe dur, fait du pet à toute occasion – car il ne faut pas que l’ingrat populo oublie Boulé !
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Il y a quelques semaines l’état-major est allé aux Congrès de Troyes et de Bordeaux. On décida d’aller le 10 février porter au gouvernement leurs décisions et de retourner prendre la réponse le 24.
Il y a des villes où le 10 février le populo a profité de l’occase pour manifester un brin ; ça a mis un peu de mouvement dans la machine.
À Paris ça c’est passé autrement. L’état-major avait prêché le calme, supplié les ouvriers de ne pas l’accompagner.
Aussi c’était bougrement drôle !
La soixantaine de péteux – boulé en tête – qui formaient la délégation, n’ont pas même osé se balader en procession. Ils s’étaient collés quatre par quatre : quel tas de traqueurs, nom de dieu§
Chez Floquet on les attendait, c’est le larbin qui les a reçu dans la cour – c’était assez pour eux – à quoi bon se mettre en frais pour des pouilleux semblables !
Ce qu’ils devaient faire une binette !
Je les vois d’ici dans leurs frusques du dimanche, s’essuyant les ripatons sur le paillasson et tournant leur galurin dans les pattes.
Dam, quand on est chez mossieu le Ministre y a de quoi être estomaqué !
Enfin ils ont laissé leur babillarde, disant qu’ils reviendraient chercher la réponse le 24.
Ils savaient, les bougres que :
quand on est délégué, on ne saurait trop l’être.
Aussi ils s’en sont payé un balade !
Toujours animés de la même ardeur ils sont allés chez un autre ministre, à la Chambre, au sénat, chez Poubelle et à l’Hôtel de ville.
Partout ils ont trouvé visage de bois.
Il n’y a que chez Lisbonne « aux frites révolutionnaires » qu’ils ont oublié d’aller.
c’est salop de leur part !
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Et maintenant, nom d’un tonnerre, gare le 24 ! les fameux délégués vont chercher la réponse.
Floquet n’est plus là, mais ça ne fout rien : c’est au larbin qu’ils ont eu à faire, et le proverbe dit : « Les ministres passent, les larbins restent. »
Seulement, ce coup-là les délégués n’y vont pas seuls. Ils ont invité des bouffe-galettes : députés, conseillers municipaux, etc.
Puis ils ont dit au populo qu’ils l’autorisaient à venir. Mais à condition qu’il soit sage et qu’il ne casse rien.
Ils n’aiment pas le grabuge, les bougres !
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Si le gouvernement est roublard y aura pas de sergots.
C’est le moyen que ça se passe bien, les processioneux seront joyeux et bons enfants.
Ils iront chercher leur réponse ; naturellement elle sera favorable.
On leur foutra de l’eau bénite de cour ; on les prendra par les bons sentiments.
Celui qui recevra les délégués jurera que le gouvernement est tout dévoué aux ouvriers.
Il leur contera que toujours il a pensé à eux, à leurs intérêts, à leur petit bonheur.
Le malheur c’est que ce pauvre gouvernement est entouré d’ennemis.
Ce qui l’empêche de s’occuper du populo c’est le tintouin que lui fout ce gredin de Boulanger.
Que le bon peuple prenne patience ; puisqu’il a tant fait d’attendre jusqu’à aujourd’hui, il peut bien poirotter encore un peu. Qu’il patiente, que diable ; et quand il n’y aura plus de Boulange…
Et les bons délégués, qu’ont de la jugeotte comme les poules ont des dents, ne penseront pas qu’avant Boulanger c’était kif-kif.
Ils prendront ces bourdes comme pain bénit — les débiteront au populo.
Et tout sera fini. Comme dans la chanson de Malborough ils rentreront chez eux, et
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Mironton, Mironton, Mirontaine,
La cérémonie faite
Chacun s’en fut coucher.
Ils auront abattu de la besogne, préparé leur prochaine candidature ; aussi roupilleront-ils à poings fermés, et l’idée ne leur viendra pas de taquiner leurs femmes.
Quant au populo une fois de plus il aura été foutu dedans ; on l’aura berné avec cette idée de procession et il aura encore coupé dans les battages d’hommes qui ne veulent que s’empiffrer à ses dépens.
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Il pourrait bien arriver que le gouvernement qui n’a pas la bosse de l’intelligence, veuille foutre ses fliks au travers de la procession. Alors ça deviendrait rigolot : tous les bouffe-galette, les délégués, les foireux se rangeraient du côté de la queue.
Le populo, lui, seul comme dans toutes les occasions où faut du biceps, resterait en face des sergo… et leur mangerait le nez.