La Presse Anarchiste

Colonisation

Le pro­blème de l’entente des races dans les pays dits de colo­ni­sa­tion n’est pas par­ti­cu­lier à l’Algérie. Toutes les colo­nies sont plus ou moins en effer­ves­cence, des suites de la guerre, car, pour s’attirer des sym­pa­thies et endor­mir les défiances, tous les gou­ver­ne­ments bel­li­gé­rants ont pro­cla­mé le droit des peuples à dis­po­ser d’eux-mêmes, tant que la vic­toire fut indécise.

Depuis des siècles, les néces­si­tés de l’existence, dans un milieu plus dif­fi­cile, ont impo­sé aux peuples euro­péens la recherche de centres de ravi­taille­ment, pour sup­pléer au défi­cit de leur propre production.

Esprits plus ingé­nieux, déve­lop­pés par une lutte plus âpre contre une nature ingrate, ils sont aujourd’hui plus aptes à tirer par­ti des richesses du sol et du sous-sol que les peuples res­tés plus ou moins pas­teurs, pêcheurs ou chas­seurs, habi­tant les pays où la nature, plus géné­reuse, n’a sol­li­ci­té d’eux qu’un mini­mum d’efforts pour leur don­ner ce qui leur était néces­saire pour vivre.

En ver­tu de ce prin­cipe, et dans la néces­si­té de trou­ver des centres de ravi­taille­ment pour ali­men­ter une popu­la­tion de plus en plus dense, et un exu­toire à cette popu­la­tion, les peuples euro­péens sont par­tis à la conquête du monde, por­ter, disent-ils encore aujourd’hui, la civi­li­sa­tion aux peuples bar­bares ou même sim­ple­ment moins industrieux.

C’était leur droit, et ce l’est encore, au point de vue strict du droit humain, qui veut que l’homme soit par­tout chez lui sur la terre. Mais où ça ne l’est plus, où l’expansion colo­niale devient une spo­lia­tion, c’est lorsque le colo­ni­sa­teur vient en maître dans le pays qu’il vient soi-disant civiliser.

Si l’ingéniosité, en agri­cul­ture, en indus­trie et en moyens d’échange atteste une culture intel­lec­tuelle momen­ta­né­ment plus déve­lop­pée, elle ne confère pas un droit d’oppression, et ne démontre pas une morale supé­rieure. Or, les peuples colo­ni­sa­teurs ne se sont jamais embar­ras­sés de droit et de morale. Pous­sés par l’impérieuse néces­si­té de vivre, et cer­tains de s’enrichir, ils n’ont jamais recher­ché d’autres buts, pas plus qu’ils n’ont envi­sa­gé d’autres moyens, pour y par­ve­nir, que la force et la ruse, morale quelque peu rudimentaire.

Il est vrai que la plu­part des peuples colo­ni­sés n’en connaissent pas d’autre, mais enfin, lorsque on se dit supé­rieur, et qu’on agit au nom et en ver­tu de cette supé­rio­ri­té, il faut le prou­ver par d’autres argu­ments que ceux du canon. Quoi qu’en eût dit un ministre fran­çais, c’est un bien mau­vais pion­nier de la civilisation.

Aucun peuple ne peut se pas­ser des autres peuples, et ain­si fer­mer ses fron­tières, en ver­tu de ce droit, qu’il peut dis­po­ser de lui. Et, du reste, que sont tous ces peuples habi­tant les pays de colo­ni­sa­tion ? Presque tous un amal­game plus ou moins com­pact de races diverses, tour à tour conqué­rantes et conquises, et ayant toutes le droit de vivre libres en tra­vaillant sur les terres qu’elles habitent. Par contre, ces peuples n’ont le droit d’en inter­dire l’accès qu’à ceux qui veulent y venir en maîtres.

La vieille Europe a besoin, pour vivre, des pro­duits du sol et du sous-sol des pays exo­tiques, et les habi­tants de ces pays, qui ne pra­tiquent l’agriculture que d’une façon res­treinte, et pri­mi­tive, n’ont pas le droit d’en inter­dire l’accès aux Euro­péens, pas plus, du reste, qu’ils n’ont le droit de les pri­ver de l’excédent de leurs richesses miné­rales dont ils ne tirent aucun par­ti, parce qu’ils en ignorent sou­vent l’existence, la valeur et les moyens de s’en ser­vir. Par contre, les habi­tants des pays colo­ni­sés ont droit aux béné­fices pra­tiques des moyens supé­rieurs d’agriculture, d’industrie et de trans­ports impor­tés chez eux, et aux amé­lio­ra­tions de vie que com­porte toute exploi­ta­tion de richesses natu­relles, sans deve­nir les sujets des peuples euro­péens ou de leurs com­plices indi­gènes, comme c’est le cas actuellement.

[/​P. Richard/​]

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