« Comment éviter l’autorité en période révolutionnaire sans renvoyer la Révolution aux calendes grecques ?… » conclut David dans sa lettre aux Temps Nouveaux du mois d’août.
Voilà bien le point capital, pour ceux qui estiment que la régénération sociale ne saurait être obtenue par la seule prise du pouvoir par le prolétariat.
La querelle est vive entre les diverses fractions socialistes et syndicalistes, et ceux qui ne veulent pas faire quand même, coûte que coûte, la révolution, sans savoir à quoi elle aboutira, sont accusés de trahison. Mais, fait singulier et à retenir, c’est que le pouvoir politique, s’il est en jeu, n’est pas en cause parmi les socialistes, et qu’une notable fraction des syndicalistes veut y substituer un pouvoir économique. Ni les uns ni les autres ne contestent l’utilité d’un pouvoir centralisé légiférant, économique ou politique, ou bien l’un et l’autre à la fois. La querelle roule seulement sur les moyens à employer pour s’en emparer, et le révolutionnarisme des plus exaltés atteste leur impatience de l’exercer.
La bonne foi des uns et des autres n’est pas en cause, et est hors de discussion, mais, sous le même vocable, révolution, nous ne concevons pas la même chose, nous ne sommes pas inspirés par le même idéal. Certes, ils se proposent de mettre un terme à de scandaleuses iniquités que nous mêmes combattons, et s’il ne s’agissait que de punir les auteurs du mal social actuel, nous pourrions accepter leurs méthodes. Mais le problème est autre, ses données visent plus haut un but beaucoup plus humain. Il s’agit de refaire un monde où tous les hommes trouveront, non seulement ha satisfaction de leurs besoins matériels, compatibles avec les ressources de l’agriculture et de l’industrie modernes, mais encore adapté à toutes les libres exigences de la vie morale et intellectuelle des individus, et variées à l’infini.
Or, nous ne pensons pas que cet idéal puisse être atteint par la prise du pouvoir par une classe sociale quelconque, même par celle des exploités, qui en imposerait la forme et les modalités d’application par tous les moyens… aussi bien ceux-en usage aujourd’hui que d’autres autant coercitifs.
Nous croyons qu’une société harmonique, d’où toutes formes et variétés de servage seront exclues, ne pourra être instaurée qu’autant que l’autorité sera détruite, et par là, nous sommes en contradiction avec les actuels révolutionnaires se prévalant du bolchevisme, puisque leur but avoué, proclamé, est de renforcer cette même autorité jusqu’à la dictature, au bénéfice du prolétariat. Leur révolution n’est donc pas la nôtre, et ne pas contribuer à la préconiser avec eux ne saurait desservir nos idées.
Sans doute, l’absolu est à la mode, et discuter les méthodes de l’un des partis en présence, c’est risquer presque certainement de se voir rejeter vers l’autre, et réciproquement.
Eh ! bien, non. Repousser la dictature du prolétariat avec la même énergie que les autres ; ne pas se rallier au but révolutionnaire des néo-communistes autoritaires n’est pas renvoyer la Révolution aux calendes grecques, pas plus que c’est nous faire les défenseurs de la bourgeoisie réactionnaire. Notre révolution n’a rien de commun avec celle des partisans de l’autorité.
Nous voulons abolir le pouvoir, à plus forte raison la dictature. C’est difficile, car il nous faut détruire le virus autoritaire dans le cerveau des individus, et y arracher la croyance, enracinée en eux, que leur bonheur dépend d’entités quelconques : roi, oligarchie, parti ou classe, qu’ils croient leur être supérieures par la force qu’elles détiennent.
Cette méthode peut nous conduire loin ?… Oui, peut-être. Il reste cependant à établir laquelle des deux, d’elle ou de la dictature, nous mènera plus sûrement aux calendes grecques pour instaurer la société communiste libertaire à bases fédéralistes qui fut, et est restée, l’idéal que Les Temps Nouveaux ont toujours défendu.
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