Le travail organisé s’apprête à recueillir la succession du régime capitaliste, sous bénéfice d’inventaire.
Face à la coalition patronale et gouvernementale, les travailleurs ont dressé leurs syndicats confédérés. Quelle que soit l’opinion des doctrinaires quant à sa formation et à ses méthodes, le syndicalisme est, en réalité, le centre d’attraction de toutes les forces révolutionnaires, et il n’est point nécessaire d’être prophète pour prévoir que la C.G.T. est appelée a jouer un rôle prépondérant dans la Révolution.
C’est par le travail que l’homme pourvoit à ses besoins. Le statut de la société de demain sera le statut du travail organisé. Or, le travail ne petit être organisé que par les travailleurs, et rien de durable ne saurait être fondé en dehors de leur consentement.
La création du Conseil économique du Travail est un événement d’importance, moins par les résultats positifs que cet organisme est susceptible de donner présentement, que par la volonté hautement affirmée de ne pas abandonner l’organi-sation du travail aux hasards des luttes de partis, aux systèmes des théoriciens et aux surenchères des démagogues.
Mais ce serait tomber dans le plus dangereux travers que de subordonner toute l’action révolutionnaire à l’étude des solutions qui s’imposeront après la Révolution. Il n’est au pouvoir de personne de la déclencher à l’heure H. Elle peut surgir d’un incident inattendu, et ne doit à aucun moment nous surprendre. À plus forte raison ne saurions-nous, si elle se produisait avant que nous nous jugions suffisamment prêts, tenter d’en proroger l’échéance inopinée, sous le fallacieux prétexte de ne rien aventurer.
D’ailleurs, cette crainte est chimérique. Pas plus qu’il n’est possible de décréter la Révolution, il ne sera possible de l’éluder. Acceptons-en donc délibérément l’hypothèse constante.
Si le Conseil Économique du Travail répond au programme tracé au cours de la séance inaugurale, s’il ne se laisse pas détourner de sa fonction essentielle, qui est de rechercher dans les faits les formes constructives de la société de demain, et surtout s’il s’écarte résolument de toute collaboration avec le régime capitaliste, il peut donner un sens positif aux buts révolutionnaires, et acquérir ainsi une valeur de propagande considérable.
Nous n’avons su opposer au, réalisme bourgeois que des formules vagues. Que le Conseil Économique du Travail contribue à libérer la propagande de son mysticisme décevant, il lui apportera par surcroît l’unité, sans laquelle les efforts révolutionnaires continueront à se neutraliser, en s’épuisant à la recherche d’autant d’absolus que les propagandistes forment d’écoles, et peut-être amènera-t-il ceux-ci à une notion plus exacte de leurs responsabilités.
Par réaction naturelle contre les abus, nous sommes instinctivement portés à nous attaquer aux principes au nom desquels on prétend les justifier. De même, les excès du capitalisme ont engendré la pire et la plus dangereuse démagogie. Elle prête gratuitement aux déshérités toutes les vertus qu’elle dénie à la classe bourgeoise, comme si de telles vertus pouvaient fleurir dans l’état avilissant où l’inégalité économique plonge à la fois ceux qui en profitent et ceux qui en pâtissent.
Les échantillons humains ne diffèrent pas sensiblement, quels que soient les milieux où ils sont prélevés. Mais, lorsqu’on s’efforce de guider la classe ouvrière vers un idéal de justice, ceux qui l’entraînent à l’assaut de la citadelle capitaliste avec des arguments de haine et de vengeance ne se rendent pas suffisamment compte qu’ils préparent à la Révolution de pénibles lendemains.
Nous croyons, en conscience, que la propagande révolutionnaire doit rester sur le terrain du droit strict, et égal, pour tous, et qu’il serait sage, et qu’il est opportun, de définir ce droit autrement que par des affirmations à l’usage des esprits simplistes. La liquidation du régime capitaliste apparaîtra alors comme une opération équitable à l’immense majorité des individus qui ne comptent ni sur le libre jeu des affinités pour faire rouler les trains, ni sur les décrets des Dictateurs du Prolétariat pour faire pousser le blé.
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