À propos d’un accident qui aurait pu arriver à une catin de la haute, femme d’ambassadeur, qui se prélassait dans son coupé, un quotidien ajoute :
« La baronne en a été heureusement quitte pour la peur.
Quant au cocher il n’a eu que des contusions légères. »
Le cocher, peuh, c’était même pas la peine d’en parler : si ça se casse une patte ça ne tire pas à conséquence.
Toujours la même préoccupation : la vie des aristos est précieuse, celle des prolos ne vaut pas un pet de lapin !
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Et dire que des garces se font trimballer dans de belles guimbardes, tandis qu’un tas de pauvres bougres s’attellent aux petites carrioles !
Encore un sale métier celui-là, que faire le cheval !
Et à tout instant menacés d’un avaro – un coup de roue par le coupé de la baronne est vite donné.
C’est justement ce qu’est arrivé à deux pauvres types attelés à une de ces sacrées petites voitures.
Sur le pont Michel ils ont été accrochés par un fiacre – et oup ! ça n’a pas fait un pli : l’un a été renversé et salement arrangé.
Nom de dieu, quand donc que ça cessera ? Quand donc que les hommes resteront hommes et ne feront plus les chevaux ?
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Vous avez lu les aminches, ce qu’est arrivé à ce pauvre bougre d’huissier vitriolé par sa maîtresse : tous deux en sont morts !
Nom de dieu, au moins dans ce cas ce n’est pas la question de galette qui a causé le malheur – comme quand un fils empoisonne son père pour avoir l’héritage.
Il y avait de l’amour à la cléf, et la preuve c’est que la pauvre femme après s’être vengée, s’est tuée elle-même.
Elle a dû bougrement souffrir, avoir bien du tourment avant d’en arriver là, la pauvre fille ; je m’y connais dans les maladies morales.
Qu’on se dise ce qu’on voudra de cette gonzesse, il est certain qu’elle avait du naturel et de la droiture.
Ce pauvre diable d’huissier lui avait sans doute monté un bateau quelconque ; il lui avait peut-être pas dit qu’il était en puissance de conjungo.
son tort aussi a été de recourir au commissaire de police ; il a moins qu’un autre à fiche son pif dans ces histoires !
Pourquoi la menacer de la fourrer à St-Lazare ?
L’amour n’est pas un prolo que l’on expulse par exploit – C’est un malin lui ! Il emménage et déménage toujours à la cloche de bois.
Eh bien, nom de dieu, je ne donne raison ni à l’un ni à l’autre !
Y a donc pas moyen de faire l’amour sans en arriver à ces sacrées extrémités ?
On s’aime, c’est bien – on se plait plus, bonsoir : chacun se tire de son côté.
Il est vrai, nom d’un pétard, qu’il y a un tas de trucs à considérer.
Faudrait pour que la liberté existe dans l’amour que la femme soit indépendante du mâle.
Qu’elle n’ait pas de pâtée à attendre de lui ; que par un turbin normal elle suffise à ses besoins.
Ce n’est pas ainsi, hélas ! Et tant qu’il en sera comme actuellement on verra des histoires comme celle de l’huissier et de sa maîtresse.
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Elle était dans une purée profonde la pauvre blanchisseuse ; à son âge, quarante-cinq ans, le turbin se fait rare.
Y a tant de jeunes pour manier le battoir, qu’on n’embauche guère les vieilles.
Que foutre ? nom d’un tonnerre ! Elle se sentait pourtant bien vaillante, et une rude envie de frotter et brosser le linge.
Mais l’envie ne donne pas de boulot !
Aussi la bonne femme, à bout de tout, a voulu faire le grand saut : d’un coup de rasoir elle s’est coupée la gargamelle.
La poigne pas assez ferme elle s’est ratée, et on l’a transportée affreusement blessée à l’Hôpital St-Louis.
Si ça ne fait pas bondir des fourbis pareils, dus à la misère !
Et tout ça, nom de dieu, pendant que les types de la haute nocent à tire-larigot, et gaspillent plus de picaillons qu’il n’en faudrait pour donner un peu de bonheur à la flopée des ventre-creux !
Y a trop longtemps que ça dure, faut que ça pète un beau matin !