La Presse Anarchiste

Ma profession de foi politique

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Je reprends, nom de dieu, le petit bout d’historique de ma putain de vie, que je nar­rais la semaine passée.

C’est tou­jours bon de se connaître, quand on doit bavas­ser ensemble toutes les semaines. Donc il est pas mau­vais que les aminches sachent quel bougre y a dans ma peau, afin qu’ils ne puissent pas dire de bibi ce qu’on dit d’un tas de gas : c’est un mufle comme les autres !

Or donc je reprends l’histoire que j’ai lais­sée au coup du troubade.

Nom de dieu, fal­lait se pâti­ner, si je ne vou­lais pas par­tir, ain­si que les frères et amis.

Natu­rel­le­ment je ne tenais pas à me foutre un doigt en l’air comme un tas de poche­tées de la cam­pluche, – ah, non alors !

Heu­reu­se­ment j’ai un bobo ; et comme je suis pas mal foui­nard, c’est lui qui m’a sau­vé la mise. C’est une varice, petiote comme rien ; le jour où je pas­sais la révi­sion, j’ai fait dans la mati­née une sacrée nom de dieu de trotte. L’après-midi j’ai enfi­lé le cos­tume du grand-père Adam et l’on m’a réfor­mé illico.

C’est pas pour dire, mais y en a bou­gre­ment qui truquent dans les mêmes condi­tions. – Par­bleu, cha­cun tient à sa car­casse – on n’en a pas de rechange, une fois usée c’est pour de bon.

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Nom de dieu de nom de dieux ! Quand je pense tout de même aux cou­leuvres que j’ai ava­lées ; quelle flo­pée, oh là la !

Natu­rel­le­ment au temps où je gobais que les mômes pous­saient sous les choux j’étais catholique.

Faut dire qu’à l’époque, même les types qui se disaient démo­crates, lais­saient les mar­chands d’eau bénite salir leurs mômes : les fai­saient bap­ti­ser, confir­mer, com­mu­nier, marier, etc.

Ils trou­vaient ça simple, tout en étant libres-pen­seurs. – Et sans remon­ter si haut, il est facile d’en dégot­ter de ces bougres-là, encore aujourd’hui.

Donc, comme tous les gosses, on m’a abru­ti avec les gno­le­ries chrétiennes.

Pour­tant c’est ce qui m’a pas­sé le plus vite ; une fois en appren­tis­sage je me suis rapi­de­ment dégourdi.

Les mar­chands de prières nous prêchent le para­dis, c’est très bath le para­dis, que je me dis. Seule­ment je le veux sur cette terre, de mon vivant. – Quand j’aurais tour­né de l’œil, ce sera pour de bon, et si je cou­pais plus long­temps dans les boni­ments des rabâ­cheurs de pater­nôtres, – je serais volé, mille bombes !

Je rumi­nais ça, à l’époque, sans bien savoir au juste ; j’ai vu depuis que j’avais tout à fait raison.

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Puis j’ai ava­lé tous les bou­quins qui me tom­baient sous la patte, anciens et nouveaux.

Je gobais que la vie était pareille à ce que je lisais. Les roman­ciers de mon époque, c’étaient Alexandre Dumas, Vic­tor Hugo, Eugène Süe ; et je voyais par­tout des d’Artagnan, des Rodin, des Esme­ral­da fai­sant dan­ser leurs chèvres.

Je chan­tais la Lisette de Béran­ger, croyant que c’était arri­vé ; et je me disais avec ce blagueur :

Dans un gre­nier qu’on est bien à vingt ans.

Je t’en fiche : j’aime autant l’entresol !

C’était encore de l’illusion que je me fou­tais dans la bouillotte. La vie réelle c’est pas ça !

Ah, les romans ! C’est une deuxième reli­gion qui nous empoigne quand nous avons échap­pé à la première.

Quand donc, nom d’un pétard, qu’on vien­dra à l’éducation vraie et natu­relle, qui nous mon­tre­ra la vie telle qu’elle est – et nous empê­che­ra de prendre les ves­sies pour des becs de gaz !

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Les grandes pom­mades dans les­quelles j’ai cou­pé épa­tem­ment, ce sont celles de la politique.

Aujourd’hui j’en ai plein le dos ; j’en ai sou­pé et pour de bon – ça n’a pas tou­jours été praeil, j’ai été gobeur, comme les copains, plus gobeurs qu’eux.

Et c’est seule­ment à force de me voir tou­jours rou­lé, tou­jours fou­tu dedans par les uns et par les autres que j’en suis arri­vé où je suis.

Comme de juste, j’ai d’abord été pour le gou­ver­ne­ment : à l’époque c’était l’empire. – On racon­tait que l’empereur était un bon fieu, qu’il aimait le peuple et vou­lait son bien, et dam, je le croyais !

Il était le gou­ver­ne­ment ; consé­quem­ment il avait rai­son – ce que disaient les rouges était des menteries.

La Répu­blique, nom de dieu, j’en avais un trac insensé.

C’est alors que j’ai fais la connais­sance d’une vieille barbe de 48 ; il m’a décras­sé un peu, le bougre !

Avec accom­pa­gne­ment de foutres de foutres, il m’a prou­vé que la Répu­blique était le plus chouette des gouvernements.

Il me mon­trait son cha­peau poin­tu, large comme un para­pluie ; ça, mon gas, c’est la Répu­blique, qu’il me disait !

Et je regar­dais le cha­peau (qui aurait fait une chouette soupe, allez !) la larme à l’œil.

Je com­pre­nais pas bien le coup du cha­peau ; mais j’avais encore la véné­ra­tion de l’incompréhensible ; et je m’inclinais, nom de dieu !

Jus­te­ment on venait de fon­der l’Internationale : oup, il m’a affi­lié, ça n’a pas fait un pli.

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Puis sont venues les années de gra­buge ; je me suis embal­lé après Roche­fort, et le 4 sep­tembre j’ai braillé avec tout le monde : Vive la République !

Je croyais qu’elle allait nous don­ner à bouf­fer – l’ancien de 48 me l’avait dit – je t’en fous !

Ensuite y a eu le siège ; là j’ai pris l’uniforme, être sol­dat comme ça, ça m’allait, crédieu !

D’ailleurs c’était pour défendre Paris ; on a eu les belles choses que vous vous rap­pe­lez : les fac­tions aux for­ti­fics, les queues à la porte des bou­lan­gers, et, nom de dieu, la capitulation…

J’en ai pleu­ré, vrai !

Après je me suis mis avec la Com­mune, j’ai redé­fen­du Paris, me suis fou­tu des trempes avec les Ver­saillais. Et j’ai eu la veine de ne pas être pigé.

De suite après je me suis ins­tal­lé dans mon échoppe et tout en res­se­me­lant les ripa­tons du quar­tier, j’ai politicaillé.

J’ai été suc­ces­si­ve­ment pour Thiers, pour Baro­det, pour Gam­bet­ta, pour Clé­men­ceau, pour Roche­fort, pour Jof­frin, pour Vaillant.

J’étais pour me foutre à la queue du che­val de Bou­lan­ger, quand j’ai réflé­chi et me suis dit :

Et merde, on se fout de toi, mon vieux Peinard !

T’as tri­mé toute la vie ; t’as défen­du ta patrie en 70 ; t’as fait tout ce que tu devais faire et t’es tou­jours dans la mélasse.

Tous les Jean-foutres en qui tu as eu confiance t’ont fou­tu dedans – faut par conti­nuer à faire le daim !

On te raconte un tas de choses… on te pro­met plus de beurre que t’en pour­ras man­ger – et rien ne vient !

Les réformes après les­quelles tu cours depuis que tu es au monde, c’est de la fouterie.

Faut plus t’occuper d’élever des hommes au pou­voir, pour qu’ils te fassent des pieds de nez après.

Faut faire ton bon­heur toi-même !

Alors j’ai pas­sé une grande revue de tout ce qui m’est arri­vé depuis que je roule ma bosse par le monde.

Je me suis vu, braillant à pleine gueule, sans rai­son, après n’importe quoi !

Puis, après des réflecs à en perdre haleine, j’ai repris mes sens, grâce à une bonne cho­pine, et j’ai recon­clu : faut faire ton bon­heur toi-même !

Le moyen, c’est un brin de cham­bar­de­ment qui vienne mettre les choses en l’état où elles devraient être.

Aus­si main­te­nant je n’ai plus qu’un désir, c’est de ne pas cre­ver avant d’avoir vu la Sociale.

Et si j’y laisse ma peau, tant pis ! Je suis bien­tôt assez vieux pour faire un mort.

[/​Le Père Pei­nard/​]

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