La Presse Anarchiste

André Lorulot : Méditations et souvenirs d’un prisonnier.

Voi­ci un petit volume qui, infé­rieur par la forme à « Chez les loups » m’a plu bien davan­tage que ce der­nier roman sur lequel j’entends bien reve­nir ailleurs. Ces « Médi­ta­tions » et ces « Sou­ve­nirs » sont une col­lec­tion d’observations, de réflexions, d’anecdotes sur le régime des pri­sons que l’auteur a enten­du, recueilli et com­pi­lé pour son plus grand plai­sir per­son­nel, je n’en ai aucun doute. Si tous les détails que contient ce petit livre n’apprennent rien au vieil abon­né que je suis des vil­lé­gia­tures péni­ten­tiaires, il n’en est pas de même pour ceux des lec­teurs des « Vaga­bonds » – nom­breux je l’espère – qui n’ont pas encore tâté de la vie en cel­lule ou en ate­lier de mai­son d’arrêt ou de mai­son cen­trale. S’étayant sur son expé­rience, sur une masse de remarques et d’annotations per­son­nelles, sur un cer­tain nombre d’extraits d’ouvrages de cri­mi­no­lo­gistes, A. Loru­lot expose et veut démon­trer l’impuissance du régime péni­ten­tiaire, tel qu’il est appli­qué, à régé­né­rer, tout au moins à réfor­mer celui qui y est astreint. Le sys­tème de répres­sion en vigueur non seule­ment n’amende pas mora­le­ment le délin­quant, mais encore se montre inca­pable de répri­mer le délit, d’empêcher, non pas la réci­dive, mais que se per­pètre de nou­veaux délits.

Le déte­nu ne sort donc pas de la pri­son meilleur qu’il y est entré, il en sort pire sim­ple­ment parce qu’au cours de son empri­son­ne­ment, tout est cal­cu­lé pour l’indisposer, pour le mor­ti­fier, pour l’aigrir. La men­ta­li­té de ceux qui le sur­veillent n’est pas sen­si­ble­ment dif­fé­rente de la sienne. Et le meilleur des gar­diens de pri­son demeure un fonc­tion­naire à qui hâte de voir s’écouler les 25 ans qui lui sont néces­saires pour jouir de sa retraite. Dans les cir­cons­tances les plus favo­rables, il demeure un rouage, un rouage que l’administration est prête à rem­pla­cer par un autre s’il entrave le fonc­tion­ne­ment de la machine à mater, à com­pri­mer et à ter­ro­ri­ser ceux qui lui sont abandonnés.

Le pro­blème de l’amélioration des cri­mi­nels a pré­oc­cu­pé des hommes intel­li­gents, comme notre ex-copain Georges Cle­men­ceau. Dans ces « notes de voyage dans l’Amérique du Sud » il se déclare : « en faveur de l’institution d’un régime d’amendement ou de réfor­ma­tion dans les éta­blis­se­ments où sont assem­blés les déte­nus » et il défend avec vigueur la thèse qui est « celle de tous les cri­mi­no­lo­gistes dignes de ce nom ». Seule­ment « comme les gou­ver­ne­ments les mieux inten­tion­nés, d’autant plus impré­gnés des pré­ju­gés de la foule, qu’ils sont plus péné­trés de démo­cra­tie, n’arrivent que len­te­ment à cette concep­tion nou­velle et comme la trans­for­ma­tion de nos éta­blis­se­ments de déten­tion exi­ge­ra beau­coup d’argent, nous n’en sommes encore qu’à l’inscription des mots de réfor­ma­tion et d’amendement dans les pro­grammes aux­quels font défaut jusqu’à ce jour un com­men­ce­ment d’exécution. » Est-il bien sûr que les gou­ver­ne­ments dési­rent sérieu­se­ment que les réfrac­taires sociaux s’amendent et se réforment ? Ne consti­tuent-ils pas la rai­son d’être appa­rente d’une police nom­breuse des­ti­née à des fins ultimes, autres que celle de la répres­sion de l’illégalisme éco­no­mique ? Et l’indifférence du per­son­nel péni­ten­tiaire ne se fonde-t-elle pas en grande par­tie sur cette consta­ta­tion ins­tinc­tive que la per­pé­tua­tion du réci­di­visme est fonc­tion de l’indispensabilité de leur exis­tence ? On ne sau­rait nier que Cle­men­ceau a vu clair en écri­vant qu’« il est infi­ni­ment plus éco­no­mique de cher­cher à tirer du tra­vail des pri­son­niers le plus grand ren­de­ment immé­diat que de ren­ver­ser le pro­blème en dépen­sant de l’argent pour mettre aux mains de l’homme en faute (au risque d’un échec que je ne veux pas mécon­naître) l’outil de son relèvement. »

J’aurais vou­lu que Loru­lot creu­sât – il n’a fait que les effleu­rer – les rai­sons pro­fondes du fait qu’il existe des cri­mi­nels, des délin­quants et cela mal­gré la sévé­ri­té tou­jours plus grande des sanc­tions répressives.

Peut-on espé­rer dans nos milieux humains actuels, que dis­pa­raisse le « voleur » pro­fes­sion­nel, c’est-à-dire l’homme dépour­vu de res­sources qui veut consom­mer et jouir de la vie sans s’astreindre à un tra­vail quel­conque alors qu’il existe d’autres hommes, pour­vus d’argent ceux-là, qui vivent sans rien faire de fati­gant ou de mal­propre, sans pro­duire d’utilités véri­tables, et qui passent leur temps à voya­ger, à acqué­rir des connais­sances agréables, à jouir de tous les plai­sirs, de tous les amu­se­ments, de toutes les com­mo­di­tés, de toutes les super­flui­tés, que la socié­té contem­po­raine offre à ceux qui sont déli­vrés de la pré­oc­cu­pa­tion du gagne-pain quo­ti­dien ? J’aurais éga­le­ment sou­hai­té que Loru­lot, exa­mi­nant alors à fond le pro­blème de la délin­quance, s’attachât à résoudre ou tout au moins dis­cu­ter cette ques­tion-ci : « sans le délin­quant, sans le trans­gres­seur, sans le réfrac­taire ̶ intel­lec­tuel, éthique, reli­gieux, éco­no­mique, ̶ y aurait-il eu déve­lop­pe­ment, dépla­ce­ment, trans­for­ma­tion des pen­sées, des acquis et de leurs appli­ca­tions, des états de pen­sée des uni­tés et des col­lec­ti­vi­tés humaines.

Loru­lot ter­mine son livre par ce qu’il appelle des « grif­fo­nages ». Ce sont des bou­tades plu­tôt que des pen­sées, esquisses sans grand sou­cis des rémi­nis­cences clas­siques, des répé­ti­tions, par­fois même de la logique. En géné­ral, elles portent à réflé­chir. Cepen­dant il y a dans le nombre des plai­san­te­ries que je n’aurais pas vou­lu voir sous la plume de ce cama­rade. Je sais bien que la plu­part de ces « grif­fo­nages » ont été com­po­sés « entre quatre murs » et, dans ces lieux-là, pour bien trem­pé qu’on soit, s’il est dif­fi­cile que le pes­si­misme ne s’infiltre pas, il arrive aus­si que l’esprit déten­du se laisse par­fois séduire par des asso­cia­tions d’idées pué­riles. Alexandre Dumas écrit quelque part qu’il y a tou­jours de l’enfant chez le pri­son­nier. C’est bien vrai…

[/​E. Armand/​]

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