Voici un petit volume qui, inférieur par la forme à « Chez les loups » m’a plu bien davantage que ce dernier roman sur lequel j’entends bien revenir ailleurs. Ces « Méditations » et ces « Souvenirs » sont une collection d’observations, de réflexions, d’anecdotes sur le régime des prisons que l’auteur a entendu, recueilli et compilé pour son plus grand plaisir personnel, je n’en ai aucun doute. Si tous les détails que contient ce petit livre n’apprennent rien au vieil abonné que je suis des villégiatures pénitentiaires, il n’en est pas de même pour ceux des lecteurs des « Vagabonds » – nombreux je l’espère – qui n’ont pas encore tâté de la vie en cellule ou en atelier de maison d’arrêt ou de maison centrale. S’étayant sur son expérience, sur une masse de remarques et d’annotations personnelles, sur un certain nombre d’extraits d’ouvrages de criminologistes, A. Lorulot expose et veut démontrer l’impuissance du régime pénitentiaire, tel qu’il est appliqué, à régénérer, tout au moins à réformer celui qui y est astreint. Le système de répression en vigueur non seulement n’amende pas moralement le délinquant, mais encore se montre incapable de réprimer le délit, d’empêcher, non pas la récidive, mais que se perpètre de nouveaux délits.
Le détenu ne sort donc pas de la prison meilleur qu’il y est entré, il en sort pire simplement parce qu’au cours de son emprisonnement, tout est calculé pour l’indisposer, pour le mortifier, pour l’aigrir. La mentalité de ceux qui le surveillent n’est pas sensiblement différente de la sienne. Et le meilleur des gardiens de prison demeure un fonctionnaire à qui hâte de voir s’écouler les 25 ans qui lui sont nécessaires pour jouir de sa retraite. Dans les circonstances les plus favorables, il demeure un rouage, un rouage que l’administration est prête à remplacer par un autre s’il entrave le fonctionnement de la machine à mater, à comprimer et à terroriser ceux qui lui sont abandonnés.
Le problème de l’amélioration des criminels a préoccupé des hommes intelligents, comme notre ex-copain Georges Clemenceau. Dans ces « notes de voyage dans l’Amérique du Sud » il se déclare : « en faveur de l’institution d’un régime d’amendement ou de réformation dans les établissements où sont assemblés les détenus » et il défend avec vigueur la thèse qui est « celle de tous les criminologistes dignes de ce nom ». Seulement « comme les gouvernements les mieux intentionnés, d’autant plus imprégnés des préjugés de la foule, qu’ils sont plus pénétrés de démocratie, n’arrivent que lentement à cette conception nouvelle et comme la transformation de nos établissements de détention exigera beaucoup d’argent, nous n’en sommes encore qu’à l’inscription des mots de réformation et d’amendement dans les programmes auxquels font défaut jusqu’à ce jour un commencement d’exécution. » Est-il bien sûr que les gouvernements désirent sérieusement que les réfractaires sociaux s’amendent et se réforment ? Ne constituent-ils pas la raison d’être apparente d’une police nombreuse destinée à des fins ultimes, autres que celle de la répression de l’illégalisme économique ? Et l’indifférence du personnel pénitentiaire ne se fonde-t-elle pas en grande partie sur cette constatation instinctive que la perpétuation du récidivisme est fonction de l’indispensabilité de leur existence ? On ne saurait nier que Clemenceau a vu clair en écrivant qu’« il est infiniment plus économique de chercher à tirer du travail des prisonniers le plus grand rendement immédiat que de renverser le problème en dépensant de l’argent pour mettre aux mains de l’homme en faute (au risque d’un échec que je ne veux pas méconnaître) l’outil de son relèvement. »
J’aurais voulu que Lorulot creusât – il n’a fait que les effleurer – les raisons profondes du fait qu’il existe des criminels, des délinquants et cela malgré la sévérité toujours plus grande des sanctions répressives.
Peut-on espérer dans nos milieux humains actuels, que disparaisse le « voleur » professionnel, c’est-à-dire l’homme dépourvu de ressources qui veut consommer et jouir de la vie sans s’astreindre à un travail quelconque alors qu’il existe d’autres hommes, pourvus d’argent ceux-là, qui vivent sans rien faire de fatigant ou de malpropre, sans produire d’utilités véritables, et qui passent leur temps à voyager, à acquérir des connaissances agréables, à jouir de tous les plaisirs, de tous les amusements, de toutes les commodités, de toutes les superfluités, que la société contemporaine offre à ceux qui sont délivrés de la préoccupation du gagne-pain quotidien ? J’aurais également souhaité que Lorulot, examinant alors à fond le problème de la délinquance, s’attachât à résoudre ou tout au moins discuter cette question-ci : « sans le délinquant, sans le transgresseur, sans le réfractaire ̶ intellectuel, éthique, religieux, économique, ̶ y aurait-il eu développement, déplacement, transformation des pensées, des acquis et de leurs applications, des états de pensée des unités et des collectivités humaines.
Lorulot termine son livre par ce qu’il appelle des « griffonages ». Ce sont des boutades plutôt que des pensées, esquisses sans grand soucis des réminiscences classiques, des répétitions, parfois même de la logique. En général, elles portent à réfléchir. Cependant il y a dans le nombre des plaisanteries que je n’aurais pas voulu voir sous la plume de ce camarade. Je sais bien que la plupart de ces « griffonages » ont été composés « entre quatre murs » et, dans ces lieux-là, pour bien trempé qu’on soit, s’il est difficile que le pessimisme ne s’infiltre pas, il arrive aussi que l’esprit détendu se laisse parfois séduire par des associations d’idées puériles. Alexandre Dumas écrit quelque part qu’il y a toujours de l’enfant chez le prisonnier. C’est bien vrai…
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