Anticipation téméraire.
L’empereur d’Allemagne vient de décider que l’uniforme des troupes en temps de paix serait uniformément vert-réséda.
Nous avons bien peur que ce soit Lui qui soit vert.
L’esprit des « coquilles ».
Il s’agit des coquilles typographiques ; on sait qu’il en est de bonnes parfois. La suivante date de l’année dernière mais n’en est pas plus vieille pour cela ; elle provient de ce qu’une « mauvaise ligne » de linotype (machine à composer qui assemble et fond les caractères sur une seule ligne) avait été laissée par mégarde au-dessous de la « bonne ligne » lors de la « mise en pages » :
L’empereur ira l’été prochain à Corfou fou.
Comptabilité en partie trouble.
« Faire part d’enterrement d’un jeune homme écrasé par un tramway :
« Les familles X. Y, ont la douleur de vous faire part de la perte cruelle qui vient de les frapper en la personne de M. X., que Dieu a rappelé à lui accidentellement. »
Il en fait bien d’autres, accidentellement. On demande un expert-comptable pour le Paradis. On tient trop mal les comptes, là-haut.
Courte vue.
Parce qu’il vient de recevoir « d’un officier naguère antimilitariste » une lettre disant le courage des soldats français, un rédacteur du Journal de Genève s’exclame qu’il n’y a plus d’antimilitaristes en France et que le mot est rayé du vocabulaire.
Voilà pourtant comment ces messieurs de la presse bourgeoise comprennent le sentiment de ceux qui se battent pour des droits et pour pouvoir continuer à se battre pour des droits une fois rentrés dans la vie civile.
Mais ils mentent – et le savent. Leurs mensonges les servent trop bien pour qu’ils y renoncent.
La parole est aux paysans du Grütli, qui assurèrent l’indépendance helvétique sans épaulette ni galons, et aux Sans-culotte de 93.
Rendons à César…
Jaurès, dont politiquement nous étions l’adversaire, a été assassiné pour crime d’antimilitarisme par un fanatique du militarisme. Il semble qu’alors sa mort devrait lui valoir une certaine retenue de la part de ceux qui n’en veulent qu’au politicien. Point. Ce mort par erreur doit mourir encore un peu plus. Et pour les besoins d’une cause qui voudrait d’autres moyens on s’applique à ne voir systématiquement que les fautes du politicien, jamais les élans du socialiste.
Il va nous plaire de le déterrer. Et pour ce rappelons simplement que Jaurès eut un jour le rare courage de demander à la tribune de la Chambre le désarmement, alléguant qu’un peuple qui prendrait cette initiative se couvrirait de tant d’honneur qu’aucun autre peuple n’oserait commettre le crime de l’attaquer. Honneur à Jaurès pacifiste !
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« Combien grande serait une humanité où tous les hommes respecteraient la personne humaine en eux-mêmes et dans les autres, où tous les hommes diraient la vérité, où tous fuiraient l’injustice et l’orgueil, où tous respecteraient le travail d’autrui et ne recourraient ni à la violence, ni à la ruse, ni à la fraude !
« Ce serait la société parfaite, l’humanité idéale que tous les grands esprits et les grands cœurs ont préparée par la promulgation du devoir et par la soumission au devoir… »
(Jaurès).
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C’était à l’Élysée Montmartre, il y a quelques années, lors d’une controverse retentissante entre Jaurès et Gustave Hervé qui depuis…
Hervé est déjà là ; la salle est bondée ; on attend Jaurès qui tarde, tarde. Soudain, des clameurs formidables, des vociférations plein l’escalier qui de la rue de Steinkerque conduit au grand hall. C’est Jaurès qui, arrivant, tombe en pleine foule anarchiste, et dame… Des poings se tendent. Cent bras veulent happer le tribun qui, un peu pâle et extrêmement interdit malgré son habitude du populo, ne réussit pas à se dégager et demeure prisonnier des libertaires. Pourtant on ne lui fait aucun mal. Un prestige obscur, le prestige du grand orateur peut-être, lui sert d’égide, avec, sans doute, autre chose aussi qu’on ne discerne pas très bien, et qui doit être quelque chose de commun… Mais les cris n’ont pas discontinué et le tumulte est assourdissant…
– Vive l’anarchie ! Vive l’anarchie ! Vive l’anarchie !
– Mais… parfaitement dit Jaurès.
… Et nous en sommes restés tous comme deux ronds de flan.
Triste retour.
Un souvenir qui nous revient en mémoire c’est celui du socialisme de la malheureuse Belgique. Là-bas, tout était calqué sur le socialisme allemand ; rien ne valait qui ne fût socialisme allemand, politique comme coopération, et tout ce qui en venait était sacré.
– Une ! deux ! une ! deux !
Dans les rues, cependant, les Jeunes-Gardes criaient à pleins poumons : « À bas l’armée ! » C’était le tempérament wallon et l’influence française qui reprenaient le dessus. On ne l’eût pas osé, en Allemagne – ni toléré. Seulement, en Belgique on le criait dans les rangs et par ordre. On gardait la manière du voisin de l’ouest : c’était entré dans la peau.
Triste décalque, triste servitude. La Leçon est dure, elle portera.
Pitreries.
Que de place tiennent les cabotins à notre époque !
Si nous en croyons le Journal de Genève (10 oct.), madame Isadora Duncan s’en est allée à Athènes pour y danser en voiles légers devant la maison de Venizelos et enflammer le peuple d’une sainte émotion, cependant que M. Son Frère l’accompagnait d’un gramophone.
Le populo n’a pas marché. La Beauté même classique et hellénique l’a laissé froid. Il lui faudra autre chose que des « pointes » et des « jetés battus ».
Ici même, en gare de Genève, au passage des grands blessés français, madame Duncan est apparue un matin en costume tricolore et baisant le drapeau français.
Les pauvres troufions se croyaient déjà rendus à Charenton.
Juste retour.
Les journaux allemands et les journaux autrichiens ont été et sont remplis de l’écho de la « trahison italienne ». Rafraîchissons les mémoires.
En 1864 l’Allemagne et l’Autriche associées arrachent au Danemark les duchés de Schleswig et d’Holstein. L’Autriche prend l’Holstein.
Deux ans après, l’Allemagne déjà vorace écrase l’Autriche à Sadowa et reprend l’Holstein.
Les Danois sourirent, comme d’autres sourient aujourd’hui de voir l’Italie sortir du concert où l’avait fait entrer Bismarck.
Qui donc rappellera à l’Autriche qu’avant la « trahison italienne » il y eut la trahison allemande ?
Autre cloche.
On vient de rappeler un mot du peintre Ferdinand Hodler : « Ce qui unit les hommes est plus fort que ce qui les différencie ».
Voilà un mot de poète et de brave homme. D’un bel esprit aussi si l’on songe à la colère que le peintre suisse s’est attirée en Allemagne, auprès de ses amis, pour avoir protesté contre le sac de la Belgique.
Puissent-ils imiter sa vengeance.
Pitié pour Lui
Dans tous les pays en guerre les prêtres assurent que Dieu est avec le peuple. Et le pape, sur des charbons ardents, n’ose démentir ni les uns ni les autres et ne sait à quel saint se vouer.
Mais ces gens-là sont comme les chats, ils retombent toujours sur leurs pattes.
Il est temps.
« L’affirmation si souvent répétée que le meilleur moyen d’empêcher la guerre c’est de la préparer à été tragiquement s démentie par un cataclysme mondial. »
Nous avons cueilli ceci dans un journal protestant. Nous applaudissons. Mais pourquoi faut-il que nous ayons passé pour des fous quand nous tenions les mêmes propos en temps de paix ?
Vous courbez la tête, fiers sicambres Vous pouvez. Vous ne la courberez jamais au point d’atteindre l’angle que faisait votre échine lorsqu’il s’agissait d’assurer le salut de la patrie à grands renforts de canons.
Et, surtout, que n’allez-vous dire cela chez le voisin !
Le coin des louf’s
D’un factum piétiste :
« À l’apparition inattendue du nuage de la guerre… le monde fut saisi d’épouvante, et de toutes les lèvres s’échappa ce cri : « Est-ce Harmaguédon ? »
Harmaguédon ?… d’où sort-il encore, celui-là ! Harmaguédon, Belzébuth, Astaroth, Frangipane et Topinambour, « ils » n’ont pas de trop de tout leur arsenal d’enfer pour rejeter sur lui leur propre sottise.
La Tour d’ivoire.
On annonce de différents côtés que de petits clans anarchistes, décidément dégoûtés de la « politique », se sont transformés en groupe d’admiration mutuelle – que pourtant l’on ne garantira pas réciproque eu égard aux principes de liberté.
Condoléances.
Frappez fort, s. y. p.!
Alphonse
Le médecin, dit-on, se propose de renouveler l’expérience, mais en criant cette fois dans les augustes oreilles le mot de « république ».
Poésie populaire.
Sait-on comment les ouvrières couturières appellent ces diaphanes blouses de mousseline de soie que leurs doigts de fée apprêtent pour les belles madames ?
« Un déjeuner de soleil »
Même pour d’aussi petites choses, on souhaiterait autant d’art et de sentiment aux esprits supérieurs qui n’ont rien de commun avec la vile multitude.