La Presse Anarchiste

Entre ouvriers

Hen­ri – Pour­quoi as-tu encore attra­pé l’apprenti ?

Émile – Ah ! ne m’en parle pas.

Hen­ri – Mais quoi, qu’est-ce qu’il t’a fait ?

Émile – Je lui demande un ciseau, il me tend une gouge. Je lui dis que c’est un ciseau que je veux, il me donne une autre gouge…

Hen­ri – Et c’est pour ça que tu l’engueules ? Tu crois qu’on ne peut pas lui expli­quer les choses autre­ment ? Il ne se passe pas de jour que ce gosse ne soit rudoyé. Il va prendre le métier en dégoût, et, bien pis, il va t’avoir dans le nez, toi et les ouvriers. Pour peu que le patron sache le prendre, voi­là un gaillard qui va tenir son par­ti contre nous.

Émile – Il ne man­que­rait plus que ça !

Hen­ri – C’est pour­tant bien natu­rel. Tu ne com­prends donc pas que dans quelques années ce gosse sera un ouvrier comme toi et moi, et que si l’on n’a pas été chouette avec lui, il s’en rappellera ?

Émile – Et puis quoi ?

Hen­ri – Tan­dis que si par­mi nous, et de suite, il trouve de bons cama­rades qui lui faci­litent son appren­tis­sage, qui lui disent les trucs du métier, qui l’aident à se tirer d’affaire, il pren­dra confiance en nous, c’est-à-dire dans les ouvriers. Il sera de notre cote­rie, se sen­ti­ra un copain, com­pren­dra qu’il fait par­tie de la classe des tra­vailleurs. Il y aura trou­vé de l’affection, de l’attention, de l’instruction. Il le sau­ra et tire­ra de notre côté chaque fois que nous aurons quelque chose à défendre ou à réclamer.

Émile – Alors tu penses qu’il pour­rait me gar­der ran­cune et s’éloigner des ouvriers ?

Hen­ri – Je com­mence à le craindre.

Émile – Et que si, au contraire, je lui faci­lite son tra­vail et son exis­tence à l’atelier, il se sen­ti­ra peu à peu soli­daire avec nous ?

Hen­ri – Certainement.

[/​Le pot-à-colle/​]

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