Il n’est qu’un responsable dans l’ignoble tuerie actuelle : c’est la Bêtise humaine.
Seulement la Bêtise humaine est partout et dans tout.
Ce serait une bénédiction si on ne la rencontrait qu’une ou deux fois par siècle sur un champ de bataille.
La Bêtise humaine étant partout et dans tout, cela revient à dire qu’on ne la rencontre nulle part, puisque chacun s’en nourrit, s’en habitue, s’en accommode, et la retrouve chez le voisin toute pareille à celle qu’il sent en lui-même – sans bien entendu vouloir le reconnaître.
À vrai dire, et au risque de scandaliser de bonnes âmes promptes au jugement définitif, ce qui se passe en ce moment nous semble à peine plus monstrueux que ce qui se passe d’habitude. Cela se voit davantage, et voilà tout.
Le meurtre réciproque d’aujourd’hui se fait surtout répugnant à cause des rivières de sang répandu. Ce tableau repoussant d’un abattoir humain sera peut-être même repoussant à tel point qu’il réussira à tuer la guerre. Mais tuera-t-il la Bêtise humaine, d’où découlent toutes les guerres, les « européennes », et les « nationales », les occultes, les sournoises, les rampantes.
Nous voulons l’espérer. Car si nous n’avions pas cet espoir nous ferions comme le Candide du roman de Voltaire après toutes ses tribulations : nous cultiverions notre jardin, c’est-à-dire que nous ne ferions plus rien du tout et que nous laisserions tourner la Terre et se massacrer ses habitants.
Acceptons-le : l’événement est une leçon pour les hommes, qui en ont déjà tant subies et qui savent en éviter si peu. Combien de ce calibre en faudra-i-il à l’humanité pour qu’elle parvienne à égaler la race animale Voilà ce que l’on ne saurait prophétiser.
Pourtant il semble que cette fois la mesure est si pleine qu’elle doive déborder et qu’on ne songera point de sitôt à la remplir.
— Tais-toi, moraliste – dit ici un manieur de chiffres qu’on appelle « économiste », – les sentiments ne font rien à l’affaire ; il n’y a que les sous qui comptent et on ne fait la guerre que pour ça et qu’à cause de ça.
Ce n’est vrai qu’à moitié. La sagesse humaine ne sortira pas que d’un registre de comptabilité ou d’un livre de statistique. Les hommes apprendront à régler leurs comptes à l’amiable quand ils verront à quoi les conduit la manière forte. Ils feront taire une fois pour toutes les organisateurs de massacres, et sur les tombes fraîches refermées viendront méditer les vers du poète :
Qui, vous à peine enterrés,
Se feront des politesses
Pendant que pourrirez.
[/G.D./]