La Presse Anarchiste

Oui, mais après ?

L. B. dans le Réveil rap­pelle la motion anti­mi­li­ta­riste du congrès d’Amsterdam, en août 1907. La voici :

Les anar­chistes, vou­lant la déli­vrance inté­grale de l’humanité et la liber­té com­plète des indi­vi­dus, sont natu­rel­le­ment, essen­tiel­le­ment, les enne­mis décla­rés de toute force armée entre les mains de l’État : armée, gen­dar­me­rie, police, magistrature.

Ils engagent leurs cama­rades – et en géné­ral tous les hommes aspi­rant à la liber­té – à lut­ter selon les cir­cons­tances et leur tem­pé­ra­ment, et par tous les moyens, à la révolte indi­vi­duelle, au refus de ser­vice iso­lé ou col­lec­tif, à la déso­béis­sance pas­sive et active et à la grève mili­taire pour la des­truc­tion radi­cale des ins­tru­ments de domination.

Ils expriment l’espoir que tous les peuples inté­res­sés répon­dront à toute décla­ra­tion de guerre par l’insurrection.

Ils déclarent pen­ser que les anar­chistes don­ne­ront l’exemple.

En consta­tant que l’espoir a été déçu, il ajoute : « La déci­sion d’Amsterdam n’en reste pas moins la seule logique, dont puisse s’inspirer, aujourd’hui comme hier, notre conduite ».

Nous n’avions pas atten­du la motion d’Amsterdam pour être anti­mi­li­ta­riste, anar­chiste, anti­éta­tiste et par-des­sus tout anti­au­to­ri­taire, et nous avons la pré­ten­tion de l’être encore, il est vrai sans 1e diplôme d’un impé­ni­tent magister.

Mais cette motion, si bien rédi­gée qu’elle soit, est une motion comme tous les congrès du monde en ont voté par cen­taines et dont l’Internationale, la grande, celle du pas­sé, était fort friande aus­si. Les motions donnent beau­coup de mal à leurs auteurs, car il s’agit de dire beau­coup de choses en peu de mots ; puis elles sont sou­vent l’objet de dis­cus­sions sans fin sur des riens, cha­cun vou­lant y ajou­ter le sien sans lequel, pense-t-on, elle serait sans valeur cir­cu­lante. Tout cela sent encore son par­le­men­ta­risme d’une lieue. Lisez donc atten­ti­ve­ment les deux der­niers ali­néas : « Ils expriment l’espoir… », « ils déclarent pen­ser… », qui ils ? – les anar­chistes ? – non pas – les délé­gués. Là-des­sus tout le monde s’en va content. Si après-cela l’État, l’armée, la gen­dar­me­rie, la police, la magis­tra­ture ne sont pas pul­vé­ri­sés ce n’est pas de leur faute, la motion était par­faite, on ne pou­vait pas faire mieux ; mais voi­là, c’était une motion de plus, pas autre chose.

Ren­trés dans leurs foyers, aucun des délé­gués ne s’est avi­sé de don­ner un corps à leur décla­ra­tion, de la faire sor­tir de son état lar­vaire pour abou­tir à des résul­tats pra­tiques. La motion est votée, vogue la galère !

Et si l’espoir est déçu, et si la pen­sée ne se trans­forme pas en actes, toute la faute est-elle impu­table aux seuls indi­vi­dus ? Il fau­drait avoir une sin­gu­lière foi naïve, une cré­du­li­té bien enfan­tine pour se figu­rer qu’une motion est tout, et, parce qu’elle dit en bons termes ce qu’elle peut dire, il ne reste plus qu’à attendre, qu’à lais­ser faire, quitte, plus tard, quand les évé­ne­ments ont démon­tré qu’elle n’avait pas dépas­sé les colonnes des jour­naux qui l’ont insé­rée, qu’elle n’a eu aucune influence, à la reprendre pour démon­trer que nous avions rai­son. Rai­son, oui, en mots, en for­mules, mais tort de les avoir conser­vés comme un monu­ment, sans plus nous en inquié­ter, sans les suivre dans leur route, sans leur don­ner la vie en créant les grou­pe­ments favo­rables à leur mise en pratique.

Ce qui manque le plus aux anar­chistes, c’est cela, la volon­té d’action. Et quand il s’en trouve qui ont cette qua­li­té elle est rare­ment seule. La plu­part du temps elle est accom­pa­gnée d’un grave défaut, celui d’être auto­ri­taire, de s’imposer envers et contre tous, de ne rien admettre en dehors d’elle, de ne pas lais­ser à d’autres volon­tés la liber­té de s’affirmer, de prendre vie sans être écra­sée, anni­hi­lée par une volon­té moins scru­pu­leuse. Rien ne se peut faire sans la liber­té, et la volon­té qui s’affirme au détri­ment des volon­tés plus modestes est une tyran­nie avi­lis­sante dont n’ont peut-être pas entière conscience leurs fau­teurs, mais qui n’en est pas moins défa­vo­rable, pour ne pas dire plus, à une pro­pa­gande effi­cace de nos idées.

[/G.H./]

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