On a parfois confondu (et on le fait encore) l’eudémonisme (l’idée du bonheur comme le bien suprême) d’Épicure avec l’hédonisme (qui fait de plaisir le but de la vie) d’Aristippe de Cyrène qui florissait en Cyrénaïque vers 380 avant l’ère vulgaire. Il est évident que ce n’est pas en quelques lignes que nous pouvons exposer la doctrine cyrénaïque, dont on retrouve les prolongements tant chez les philosophes du
Le fond de la doctrine cyrénaïque est la recherche du plaisir et la fuite de la souffrance ; entre le plaisir et la souffrance existe une zone d’indifférence. Rien n’est par nature juste, honnête ou honteux ; seules les coutumes et les lois ont établi ces distinctions. Le sage peut commettre des larcins, des sacrilèges, des adultères, car presque toutes ces choses ne constituent des crimes que dans l’opinion des ignorants et de la populace ; de même le sage peut accomplir publiquement des actions qui sont tenues pour abominables par le vulgaire.
Mais la recherche et l’obtention du plaisir n’étaient pas les seules idées professées par Aristippe et ses disciples ; ils ne voulaient être les esclaves ni de la sujétion ni du pouvoir, somme toute « ni obéir ni commander ». Le sage, selon Aristippe, n’est pas non plus un insensé qui va se briser étourdiment contre l’obstacle : il sait que tous les plaisirs sont égaux et, que l’un n’est pas plus sensible que l’autre ; il calcule, il choisit, il repousse le plaisir dont l’acquisition entraînerait la souffrance. Le sage se possède et n’est pas possédé. On se souvient de l’anecdote qui veut qu’Aristippe ait répondu à ceux qui l’interrogeaient sur la passion qu’il manifestait à l’égard de sa maîtresse, la célèbre courtisane Laïs : « Je la possède, elle ne me possède pas ». C’est en résumé toute la philosophie d’Aristippe qui assignait à la sagesse deux vertus : l’intelligence et la maîtrise-de-soi. C’est grâce à cette dernière que le sage n’est le serviteur, la possession de quoi que » ce soit. Contrairement à Épicure, il ne tenait pas l’amitié en grande estime.
Les anecdotes foisonnaient sur le compte d’Aristippe de Cyrène. Malgré toutes les bonnes raisons qu’il ait pu fournir, sa situation de courtisan auprès de Denys, le tyran de Syracuse, n’est pas le fait d’un esprit vraiment libre ; s’il est celui d’un béat opportuniste. Et cependant, se vouloir des esprits libres, telle était la prétention des adeptes d’Aristippe.
Le dernier connu des disciples (?) du philosophe de Cyrène fut Hégésias qui vivait à Alexandrie vers l’an 300 avant notre ère. Ce pessimiste disait que le plaisir étant chose insaisissable et fuyante, il engendre finalement la satiété et le dégoût. Aussi, la vie ne semblant un bien que pour l’insensé, le sage ne saurait éprouver pour elle qu’indifférence et la mort lui paraît la solution préférable. Surnommé le pisithanate (qui conseille la mort) ses discours eurent un tel succès que, le nombre des suicides croissant, le roi Ptolémée enjoignit aux magistrats de la grande cité égypto-hellénique de procéder à la fermeture de son école…
[/E. A./]