En ces circonstances, le Parti éprouve une frousse mortelle devant la grande haine du peuple, et recourt pendant les obsèques à des mesures draconiennes contre d’éventuels désordres. Et comme il ne peut exiger que le peuple soit plongé dans un deuil réel, il sème la terreur. L’attitude du pouvoir envers le peuple pendant de telles cérémonies funèbres donne l’impression que les communistes considèrent que le seul responsable du sort cruel qui frappe leur Parti, c’est le peuple.
Pendant le carnaval funèbre organisé en l’honneur du plus émérite parmi les plus fidèles du « Saint Siège du Kremlin », la même mascarade que celle des obsèques de Brejnev un an auparavant a été répétée. Les soldats de l’armée et du ministère de l’intérieur (se haïssant les uns les autres), les cadres supérieurs et les proches du régime ayant occupé la place Rouge et représentant 100% des présents, le reste de ce pourcentage a été… réservé au peuple. Les paisibles citoyens soviétiques ont été stoppés aux portes de Moscou par les militaires et la milice, « armés jusqu’aux dents ». On les a empêchés de visiter, comme dit la chanson, « leur Moscou ». On a même refusé les visas d’entrée aux journalistes étrangers.
La messe d’absoute et l’oraison funèbre exaltant les mérites du défunt, ainsi que la légalisation des crimes collectifs commis pendant son ère, ont été confiées et célébrées par le nouveau patriarche du Saint Synode moscovite, Tchernenko, accompagné de la chorale du reste des membres de « l’asile de vieillards du Kremlin ». La cantate « Gloire à la très sainte société communiste » a été exécutée par Gromyko. Quand à Oustinov, il a proféré les menaces et les insultes à l’adresse de « notre père (américain)» qui leur donne « leur pain quotidien…»
Andropov, comme son prédécesseur Brejnev, était une personnalité politique piteuse, très détestée et méprisée par les peuples soviétiques. Il est entré dans l’histoire soviétique en tant que Premier Secrétaire Général du Parti Communiste, à la cinquième place après Brejnev, grâce à la prépondérance officieuse des staliniens dans les luttes pour le pouvoir. Immédiatement après la mort de Brejnev, les staliniens barricadés au Kremlin autour de Souslov et qui manifestaient une certaine activité politique, ont jugé le moment opportun pour rétablir « le bon et glorieux passé…». Dans ces circonstances, ils s’arrêtèrent sur celui qu’ils avaient préalablement placé à la tête du KGB, le bon élève Andropov au temps du professeur en « droit du plus fort » ― le tristement célèbre Staline.
Avec l’élection d’Andropov, on croyait que la conquête du Kremlin par les staliniens vers la fin de l’An 82 se consolidait de plus en plus et qu’elle aurait pu devenir une réalité s’il n’était pas mort prématurément. Pendant son année de présence au Kremlin, les dernières oasis du dégel qui existaient encore à la surface de l’Empire Soviétique ont disparu, dans tous les domaines de la vie du temps du « dégel kroutchevien », et ont laissé place au « gel polaire stalinien ».
Andropov a dû sûrement commencer sa carrière dans le Parti communiste en s’illustrant comme tortionnaire dans la prison de Boutyrka, et il a obtenu une énergie potentielle en 1956 dans les souterrains de la Légation soviétique à Budapest lors de la révolution hongroise, en réussissant à l’étouffer. Pendant ces évènements, il a obtenu son diplôme de machiavélisme avec la mention « très bien », ce qui lui a permis 11 ans plus tard d’accéder au poste de chef du KGB. Ayant acquis la virtuosité dans les méthodes policières de l’Antiquité à nos jours, il les applique au profit de son Parti, en n’oubliant pas, comme Staline, de garder pour lui la « part du lion », ce qui lui assura plus tard son élection comme Secrétaire Général du Parti Communiste Soviétique. Et comme disent les russes : « Te voilà, Salut ! ». Après la mort de Brejnev, meilleur grimpeur, il escalade le premier le mur du Kremlin et se fait proclamer par le jury du CC du PCUS Premier Secrétaire Général.
Andropov laissera aux peuples soviétiques l’image d’un homme au sourire policier figé sur son visage, et il sera associé dans leurs esprits à la terreur qu’il provoquait par des mesures policières staliniennes.
Il débuta en suivant la voie tracée par les dictateurs sud-américains et africains : lutte contre la corruption et l’alcoolisme, dans le pays de l’éternelle construction du socialisme, là où depuis 70 ans on ne cesse de répéter que le Parti n’a d’autres soucis que celui de l’homme. La réalité n’est semble-t-il rien d’autre qu’un Parti appareil incubateur de gens les plus corrompus.
On a limogé 11 ministres et licencié des centaines de hauts fonctionnaires, parmi lesquels bon nombre ont été livrés à la justice et condamnés à la peine capitale. Une purge a frappé plus du tiers des employés du Parti et de l’appareil d’État, remplacés par de nouveaux cadres. Mais une question se pose : ces nouveaux et jeunes cadres, pas encore corrompus, arriveront-ils à faire marcher cette machine de l’État, lourde, surchargée et bien embourbée dans le marécage de la doctrine fossilisée du Marxisme-Léninisme, sans porter atteinte aux nids des parvenus-corrupteurs C’est une doctrine qui exporte une littérature marxiste-léniniste à bon marché et qui importe du blé capitaliste et la technologie moderne de l’Occident.
Ces nouveaux cadres arriveront-ils à irriguer le désert de l’économie Soviétique avec un travail librement consenti et intelligent, qui jusqu’à présent ne « fleurissait » que dans les pages des moyens de propagande soviétique comme la littérature, les journaux, les magazines, la radio, les émissions télévisées, les discours et les divers compte-rendus, mais qui en pratique ne donnait aucun fruit, c’est-à-dire aucun résultat.
Si la mort ne l’avait pas atteint dans les couloirs à son entrée au Kremlin, Andropov pouvait-il compter sur ces nouveaux cadres, mis en place d’ailleurs par lui-même, et espérer redresser l’économie, la science et la culture soviétique?!!! Sans spéculer sur ce qu’a fait Andropov ni essayer de deviner l’utilité que les peuples soviétiques auraient pu en tirer, nous pouvons dire qu’il n’a fait qu’un seul acte humain durant sa vie : mourir. Il a été inhumé près du Mur Rouge, avec les honneurs dus à une divinité et ceci d’une façon que seuls les bolchéviks savent faire. Mais à combien de veuves a‑t-il refusé le droit de connaître l’endroit où sont enterrés les corps de leurs proches, et combien de journalistes et de commentateurs de radio et de télévision ont-ils compati au deuil de sa « malheureuse veuve » ! « Acte de courtoisie » diront certains. Que vraiment Andropov ait été animé uniquement d’intentions nobles dans l’application des mesures draconiennes, nous ne l’admettons pas, et en nous appuyant surtout sur notre expérience et nos idées, nous pouvons dire que lui comme tous ses prédécesseurs ont été sur la mauvaise voie.
Il ne suffit pas seulement de lutter contre la corruption, mais il faut lutter avant tout contre l’appareil de l’État et ses institutions, qui pervertissent les citoyens et les conduisent à l’arbitraire dans le Parti, parce que tout se faisait au nom du Parti ― privilège qu’il a acquis par les complots, la malhonnêteté, le mouchardage, les intrigues, les déportations de familles entières, les transplantations des régions et… des nationalités.
Qui fait avancer la fameuse machine bolchévique et son peuple ? Indiscutablement la terreur draconienne que les idéologues du Parti et de l’État sèment parmi leurs propres peuples, et à des moments de rare « lucidité » se transmettent à eux-mêmes, prend la forme d’une épidémie perpétuelle et dirige la sacrée société bolchévique en avant, vers la banqueroute politique et économique. Pour réveiller la société et l’économie soviétiques, nées sous le signe zodiacal de l’octobre « bolchévique », du sommeil léthargique dans lequel elles sont plongées, il faut s’attaquer aux institutions fondamentales du Parti et de l’État, mais… c’est l’affaire du peuple et ce même peuple est exclu de la gestion de la société soviétique.
Une atteinte au Parti et aux institutions de l’État, selon l’évangile marxiste-léniniste, est considérée comme un péché mortel. Pour cette raison, une déviation de l’actuelle politique des Soviets n’aura pas lieu non plus sous Tchernenko, l’idéologue actuel (dirigeant les services du département de l’idéologie de Marx et Lénine) au Kremlin. Indépendamment de cela, comment sera transcrite sur les pages du Livre d’Or du Kremlin la politique que suivra le Parti Soviétique pendant l’ère Tchernenko, individuelle ou collective ? Sans doute suivra-t-elle le cours déjà tracé par le Parti Communiste des Soviets.
Sous prétexte de préserver les « acquis des ouvriers » et du régime, leur but le plus cher est de conserver leurs privilèges, leur propre existence, et de couvrir les crimes commis sur le chemin les conduisant au sommet du pouvoir ni de permettre, en aucun cas, aux gens qui ont vécu les horreurs des goulags soviétiques de gagner la confiance populaire, et de ne pas admettre un second Kroutchev qui les aurait accusés d’infraction aux normes du Parti.
Ils s’efforcent aussi de rester à leurs postes le plus longtemps possible, ce qui leur garantit l’opulence et leur donne le droit de manifester leur présomption, leur arrogance et la possibilité d’abaisser et de détruire leurs semblables ― qualités acquises durant leur longue pratique dans le Parti et devenues chez eux une seconde nature.
les « années de sécheresse » vont continuer à jamais dans le désert économique des Soviets, ceci pour disculper leur ignorance dans le domaine de l’agriculture, et les réseaux de barbelé le long des frontières augmenteront dans trois dimensions : longueur, largeur et hauteur.
C’est sur ordre d’Andropov qu’ont eu lieu des actes les plus atroces : altercations sanglantes avec des victimes innocentes enchaînées dans les souterrains des prisons et des commissariats de police, des déportations de centaines d’êtres humains et portés disparus, dont le seul crime était celui de penser différemment du Parti communiste. Si tous ces actes ignobles n’ont pas pesé sur la conscience d’Andropov, s’il en avait une, un jour viendra où les futures générations en auront honte !
Tant que les idéologues du Parti Soviétique et de l’État ne cesseront pas de traiter l’homme comme un petit gosse, un « enfant à tout faire », et n’abandonneront pas l’idée-fixe que le calendrier de notre ère ne commence pas avec la Révolution d’Octobre et n’accepteront pas la maxime que les anales de l’humanité commencent bien après que l’Homme utilisant le langage articulé, s’est séparé du reste du monde animal, s’est organisé en communautés et devient créateur de bien et porteur de liberté, la peur organique qu’ils ressentent de leurs propres peuples ne les quittera jamais et ils n’arriveront pas à gagner sa confiance, dont ils aiment tellement parler.
Nicolas Tenzerkov