— Augmentez les salaires, clamèrent les délégués sévères, ou bien nous ne rentrerons plus à l’atelier.
— Insolents ! riposta le patron, parler de la sorte à celui qui vous fait obtenir le pain quotidien, sortez ! et d’un geste brutal, il les jeta hors de son logis luxueux, de sa maison maudite.
Réunis dans la rue, les compagnons exaltés voulurent à l’instant punir cet orgueilleux ; et l’un d’eux, surexcité plus que les autres, s’écria : « Brûlons-le tout vif ; ce sera notre vengeance ».
Ils trouvèrent le conseil excellent ; on apporta de la paille et des fagots, puis on fit un bûcher énorme contre la porte du capitaliste égoïste ; le feu vengeur fut allumé, la flamme crépitante, dans l’éther embrasé, monta majestueuse, et la clarté douteuse de la lune luisait sur cette scène affreuse…
Mais épouvantés de leur acte, les compagnons s’enfuirent soudain en tremblant et en rasant les maisons.
Demeuré seul sur le lieu du sinistre, où j’étais venu en curieux tout simplement, je restai devant le brasier homicide, l’œil en feu, hagard, muet, livide, cherchant mon devoir… mon devoir où était-il ?…
Je n’avais qu’un pas à faire pour éteindre les flammes vengeresses, mais ces flammes n’étaient-elles pas une mesure de justice, et, cruel, le doute m’étreignit. Puis, je restai toujours immobile, regardant, activé par la brise, le feu destructeur consommer petit à petit son œuvre néfaste.
Mais les lois humaines ordonnant à l’homme le pardon des fautes d’autrui et la sauvegarde de la Vie vinrent à ma pensée ; alors, dans un effort courageux, avec ardeur. je dispersai au loin le bûcher de malheur…
M. Grivet-Richard