La Presse Anarchiste

Histoires vécues du jour et de la nuit

Les feuilles de tem­pé­ra­ture de la pla­nète qui nous sont don­nées par ces mul­tiples agen­das qu’on appelle « la Presse » n’offrent pas de chan­ge­ment impor­tant : l’en­semble pré­sente une morne sta­bi­li­té. C’est avec la même rési­gna­tion, disons avec la même lâche­té, qu’en dépit de leurs angoisses, les hommes aban­donnent leurs galères à des pilotes sans conscience ni bous­sole mais qui se sont arro­gé les droits les plus abso­lus sur l’é­qui­page, les pas­sa­gers et la cargaison.

Il convient tou­te­fois de noter ce curieux sur­saut de bon sens (curieux par son pro­di­gieux et si spon­ta­né suc­cès) pro­vo­qué par le noble geste de Gar­ry Davis. Nous ne sau­rions négli­ger de le noter sur notre car­net de bord en lui sou­hai­tant l’es­sor qu’il mérite…

Cepen­dant, force nous est de consta­ter cette redou­table accep­ta­tion col­lec­tive des mas­sacres à venir, voire de sui­cides par déses­pé­rance. Cette dia­thèse se mani­feste éga­le­ment par les actes indi­vi­duels des « dégoû­tés de la vie » dont les gestes, rela­tés en quelques lignes, n’en sont pas moins significatifs.

Le suicide est-il contagieux ?

Il y a quelque temps, à Lons-le-Sau­nier, Mme Céles­tine Étienne, appre­nant qu’elle allait être inquié­tée parce qu’elle avait déro­bé quelques kilos d’orge, s’é­tait ren­due au bel­vé­dère de Baume-le-Meneur d’où elle s’é­tait pré­ci­pi­tée dans le vide. Son exemple fut sui­vi. En Tou­raine, un vieux can­ton­nier a fait ses adieux à la civi­li­sa­tion en se jetant dans la Loire. Il s’é­tait atta­ché une pierre au cou pour ne point se rater. Motif : crainte du len­de­main. Com­ment paie­rai-je tout ce que le fisc me demande ? avait-il écrit sur le plâ­tras de sa maison.

En Auvergne, un autre pauvre bougre s’est sup­pri­mé après la récep­tion de sa feuille d’a­ver­tis­se­ment qui dépas­sait ses éco­no­mies à la Caisses d’Épargne.

Comme on le voit, il y a encore d’hon­nêtes gens en France ! On a appris ses devoirs de bon citoyen à l’é­cole pri­maire pas vrai ? Et quand l’É­tat l’exige, on s’exé­cute jus­qu’au bout ! Mieux ! On devance l’appel.

Mais il y a des rebelles

Il y a ceux qui ne veulent pas cre­ver avant d’a­voir ten­té le der­nier coup de dés, ceux qui, comme le Ras­ti­gnac de Bal­zac, veulent empoi­gner Paris au col­let en lui criant : « À nous deux ! » Il y a les émules ou les imi­ta­teurs de Car­touche dont on va nous don­ner au ciné­ma une nou­velle édition.

Pas de chance pour eux en ce moment. Tan­tôt, après des études stra­té­giques dignes d’un pro­fes­seur à l’É­cole de Guerre, ils se trompent de sacs dans le camion qu’ils ont fait stop­per et ne trouvent, comme cette semaine, que des faire-part ou des cartes pos­tales à la place des valeurs qu’ils escomp­taient, tan­tôt, comme Abel Danos, dis­ciple de Pier­rot le Fou, ils se voient réduits au fric-frac d’une chambre de bonne. Après quoi, Abel Danos, pour­chas­sé par une foule que le concierge de l’im­meuble avait aler­tée en criant « Au voleur ! » a été lyn­ché par ses pour­sui­vants. Et cela, si copieu­se­ment, qu’il eût certes pré­fé­ré un pas­sage à tabac offi­ciel. Mais sans plus épi­lo­guer sur les hor­reurs du lyn­chage, quel qu’il soit, rete­nons seule­ment ceci : c’est que, d’a­près le pro­cès-ver­bal, la foule igno­rait tota­le­ment l’i­den­ti­té de sa vic­time. Il avait suf­fi au concierge de pous­ser son cri d’a­lerte pour déchaî­ner la meute qui lacé­ra sa proie sans la connaître, sans savoir même de quoi elle était cou­pable. Ç’au­rait pu être vous ou moi. Le « tueur nº1 », comme les jour­naux appellent désor­mais Abel (quel joli pré­nom pour un tueur) n’é­tait alors pour cette foule qu’un modeste inconnu.

Mais d’autres criminels gardent l’incognito

Et nom­breux sont ceux qui échappent à toute vin­dicte grâce à cette conspi­ra­tion du men­songe qui a nom « la Rai­son d’É­tat » et qui, une fois de plus, vient de pré­si­der à la rédac­tion de cet indi­geste ouvrage :

Le IVe tome du dictionnaire diplomatique

Œuvre monu­men­tale, nous annonce-t-on, qui embrasse tous les évé­ne­ments diplo­ma­tiques de ces dix der­nières années. Vingt-sept chefs d’É­tat, 49 ministres des Affaires étran­gères, 500 ambas­sa­deurs et ministres repré­sen­tant 73 États y ont collaboré !

Ou pour­rait donc tout savoir !

Oui, si ce livre racon­tait « les choses » telles qu’elles se sont pas­sées, ce serait assu­ré­ment mon livre de che­vet. Ah que ce serait donc cap­ti­vant ! Comme il éclai­re­rait d’une lumière crue toutes les impos­tures, les trac­ta­tions, les félo­nies de ceux qui nous ont conduits où nous en sommes ! Et à côté d’eux, tous les gang­sters en renom n’ap­pa­raî­traient-ils pas tels qu’ils sont des petites gens, des tueurs à la sau­vette, des ratés ! Car les béné­fices des racket­teurs de Mont­martre et d’ailleurs sont si aléa­toires que pas un ban­quier ne consen­ti­rait à les subventionner.

Mais, au grand jour, ample­ment com­man­di­tée, une autre pègre, aus­si inat­ta­quable que les Dieux de l’O­lympe, conti­nue à pré­pa­rer ses nou­veaux for­faits. On ne sait même plus les noms de ces cri­mi­nels tant ils sont camou­flés sous les ano­ny­mats que leur confèrent de puis­sants com­plices. Ils existent cepen­dant ; leurs pro­jets nous sont révé­lés chaque jour, à l’a­bri des lois, dans leur pays res­pec­tifs. On nous le dit sans détour :

La bombe atomique est démodée

Sans doute, ajoute-t-on, pour­ra-t-elle être uti­li­sée, mais elle a un grand défaut ; certes, son ren­de­ment est incon­tes­table ; elle a fait ses preuves, mais elle est gre­vée d’un lourd han­di­cap. Il ne faut pas oublier en effet qu’en mas­sa­crant de l’homme elle détruit des bâti­ments, des usines, de la terre, des mines, bref de la richesse réelle (pour ceux qui la possèdent).

Cette bombe était vrai­ment un élé­ment de désordre. Aus­si va-t-elle faire place à ta der­nière trou­vaille de l’année :

La saupoudreuse atomique

Ça, c’est une affaire. N’im­porte quel groupe finan­cier doit s’y inté­res­ser. C’est la guerre avec toutes ses garan­ties pour ceux qui comptent en pro­fi­ter. Sachez donc que les effets de la sau­pou­dreuse ato­mique peuvent se résu­mer ain­si : une chute de neige radio-active qui offre ce gros avan­tage d’a­néan­tir la popu­la­tion d’une ville sans aucun dom­mage pour les bâti­ments (sic).

Répé­tons-le : c’est une trou­vaille. La car­gai­son ne sera pas per­due comme je le croyais naï­ve­ment au début de ce papier. Aucun dom­mage, Récu­pé­ra­tion assu­rée des frais de guerre. Rem­bour­se­ment immé­diat au vain­queur. Mes­sieurs les créan­ciers sont admis à faire valoir leurs droits.

Mais y aura-t-il un vainqueur ?

C’est la ques­tion que nous pour­rions poser à tous les stra­tèges du monde après les résul­tats des grandes manœuvres amé­ri­caines qui viennent de se dérou­ler au large de Terre Neuve. Per­sonne n’en est satis­fait… les simu­lacres n’ont pas suf­fi­sam­ment éclai­ré les grands chefs mili­taires, on se cha­maille pour l’ef­fi­ca­ci­té de ceci ou de cela… on va recom­men­cer. Et nous sommes infor­més que la marine des États-Unis va exi­ger « des cré­dits consi­dé­rables pour y effec­tuer des trans­for­ma­tions néces­saires ». Mais il n’y a pas que la marine. L’a­via­tion proteste :

— Et moi ! on ne me donne rien ! On ne peut pour­tant rien faire sans nous !

— Et nous ! rétorque l’ar­mée de terre. Sans nous, on ne peut pas « occuper » ! 

M. Tru­man ne sait plus où don­ner de la bombe.

Ce n’est pas comme Jean Pipaud

Il est vrai que la bombe de Jean Pipaud n’é­tait qu’un pavé. Mais un pavé lan­cé dans une vitrine, ça suf­fit pour vous envoyer en cor­rec­tion­nelle. Même quand cette vitrine est celle d’un mar­chand de jouets des­ti­nés aux enfants qui veulent apprendre com­ment on fait la guerre. Arrê­té, Jean Pipaud a fait hau­te­ment sa pro­fes­sion de foi : les pano­plies et tous les bazars de guerre le sortent de son excellent natu­rel. Et il ajou­ta qu’il fal­lait débap­ti­ser toutes les rues por­tant des noms de géné­raux pour les rem­pla­cer par les noms des bien­fai­teurs de l’humanité.

Voi­là je pense un très bon pro­gramme. Et je vote­rais pour Jean Pipaud s’il se pré­sen­tait au Conseil municipal.

Aurèle Pator­ni

La Presse Anarchiste