La Presse Anarchiste

Le sous-préfet prend son poisson chez les gendarmes

I. État sans socialisme

C’est un mode de socié­té qui est viable, ain­si qu’­hé­las ! l’ex­pé­rience l’a prou­vé, que celui qui concentre dans quelques mains le capi­tal, for­tune ban­caire, pro­prié­té fon­cière, richesses indus­trielles, moyens de transport.

L’in­jus­tice de ce sys­tème appa­raît au pre­mier coup d’œil, puis­qu’une répar­ti­tion arbi­traire per­met à ses pri­vi­lé­giés d’en tirer tout le pro­fit et de vivre dans l’oi­si­ve­té et l’o­pu­lence, alors qu’elle condamne ses vic­times à un tra­vail per­pé­tuel et mal rému­né­ré, c’est-à-dire à la misère.

Ce sys­tème a été par­fois cor­ri­gé, de telle sorte que ses tares soient moins criantes, ses inéga­li­tés moins dolo­sives. Tan­tôt la cha­ri­té allé­geait les souf­frances des pauvres sans rien reti­rer aux droits des riches, tan­tôt des réformes sociales tem­pé­raient le pau­pé­risme d’en bas en limi­tant les pou­voirs de l’oligarchie.

On peut même dire que ces allé­ge­ments et ces res­tric­tions, ces limi­ta­tions et ces réformes, ont été la prin­ci­pale cause de la péren­ni­té du sys­tème ; car celui-ci n’eût pas résis­té aux révoltes, ni sur­vé­cu aux exas­pé­ra­tions des déshé­ri­tés, s’il avait été appli­qué dans toute sa rigueur.

Ceux que ce mode de socié­té défa­vo­ri­sait, et qui consti­tuaient la grande masse, eussent per­du patience, har­ce­lés par la faim et la détresse, s’il n’y avait eu ces pal­lia­tifs qui, sans coû­ter grand’­chose aux déten­teurs de la for­tune, ont fait aux mal­heu­reux un sort plus tolérable.

La cha­ri­té chré­tienne a, pen­dant de longs siècles, sou­la­gé la misère des exploi­tés, tout en lais­sant intactes les pré­ro­ga­tives des exploiteurs.

Après la chute des aris­to­cra­ties occi­den­tales, leur pou­voir a été trans­fé­ré à la bour­geoi­sie, leur héri­tière, et le prin­cipe du sys­tème est demeu­ré le même avec cette dif­fé­rence que ses béné­fi­ciaires avaient chan­gé, mais ses béné­fi­ciaires seuls ; ses vic­times, point.

Ses vic­times conti­nuaient d’être les tra­vailleurs non-pos­sé­dants ; quant à ses pro­fi­teurs – là est la prin­ci­pale dif­fé­rence – ils étaient beau­coup plus nom­breux, car ceux qui déte­naient la for­tune, naguère très concen­trée, désor­mais fort dis­per­sée, s’é­taient multipliés.

Le conflit demeu­rait. Non plus entre des serfs atta­chés à la glèbe et des sei­gneurs pro­prié­taires de la terre, mais entre le pro­lé­ta­riat qui n’a­vait que ses bras, et la bour­geoi­sie qui pos­sé­dait les champs, les usines, les maga­sins et les mai­sons, sources du reve­nu réel concré­ti­sé en valeurs, rentes, béné­fices, loyers et profits.

Pour apai­ser ce conflit, ceux qui avaient tout à redou­ter de son aggra­va­tion eurent recours à divers moyens. La cha­ri­té chré­tienne, tout insuf­fi­sante et déri­soire qu’elle fût, conti­nua de se dépen­ser en aumônes, legs, prix de ver­tu ou de mater­ni­té, secours de toute sorte ; le réfor­misme, avec plus d’ef­fi­ca­ci­té peut-être, appor­ta son aide en assu­rances, allo­ca­tions, indem­ni­tés, primes, et ajou­ta à la phi­lan­thro­pie pri­vée la bien­fai­sance officielle.

En rédui­sant la noci­vi­té du capi­ta­lisme, ces atté­nua­tions le sau­vaient du dis­cré­dit, de l’exé­cra­tion et de la chute, par le fait qu’elles retar­daient d’au­tant le moment où son prin­cipe même serait mis en ques­tion, où sa légi­ti­mi­té serait mise en accu­sa­tion, et son injus­tice dénon­cée, puis abolie.

Il est évident qu’en don­nant un peu de pain chaque jour à un affa­mé, on calme momen­ta­né­ment la révolte de son esto­mac, et qu’en appor­tant de temps à autre quelques dou­ceurs à un cap­tif, on lui fait oublier pen­dant quelques ins­tants sa soif de liberté.

Cer­taines de ces ini­tia­tives étaient d’ailleurs par­fai­te­ment hono­rables et dés­in­té­res­sées, et nous ne condam­nons pas leurs pro­mo­teurs. Il ne faut pas croire que c’est par cal­cul qu’ils ont fait le bien et ten­té – avec suc­cès par­fois – de dimi­nuer la somme de misères dont souf­fraient leurs contem­po­rains. La bon­té existe.

Sans doute y eut-il davan­tage de cal­cul dans l’é­vo­lu­tion qui se mani­fes­ta avec l’ap­pui des pos­sé­dants, et qui accrut leur nombre. Le libé­ra­lisme éco­no­mique a per­mis l’ac­ces­sion à la petite pro­prié­té d’une foule de ci-devant pro­lé­taires, et ce fut là cer­tai­ne­ment la cause prin­ci­pale d’un nou­vel essor du capitalisme.

Ces petits pro­prié­taires, dont la plu­part avaient tout au plus un champ, ou une mai­son, ou un éta­bli, ou un éven­taire, ou un simple livret de caisse d’é­pargne, pos­sé­daient trop peu à eux tous pour mettre ou tenir en échec la grosse pro­prié­té et, tout au contraire, en devinrent les com­plices et les défen­seurs par le seul fait qu’ils pos­sé­daient, si peu que ce fût.

L’homme, dès qu’il pos­sède, quelque chose, tremble de perdre ce qu’il a acquis ; et celui qui n’a que cent francs est l’al­lié du mil­lion­naire contre celui qui n’a rien : voi­là la maxime qui per­sua­da les gros pro­prié­taires bour­geois, plus habiles que les nobles d’au­tre­fois, de favo­ri­ser l’ac­ces­sion du pauvre à un tout petit patri­moine. Le sys­tème, dès lors, tout en demeu­rant mons­trueux à l’é­gard des non-pos­sé­dants inté­graux sur les­quels il conti­nuait à peser de tout son poids, avait recru­té de nou­veaux défen­seurs par­mi les pos­sé­dants infimes aux yeux de qui il acqué­rait une sorte de jus­ti­fi­ca­tion, parce qu’ils ne s’a­per­ce­vaient plus qu’ils en étaient encore les vic­times, ayant au contraire l’illu­sion d’en être les bénéficiaires.

Une gra­da­tion presque insen­sible de la hié­rar­chie sociale éche­lon­na et super­po­sa tant de para­sites entre le pro­duc­teur dépouillé et les grands pro­fi­teurs que cha­cun se conso­lait de la part d’ex­ploi­ta­tion qu’il subis­sait par la part d’ex­ploi­ta­tion com­pen­sa­trice qu’il infligeait.

Comme nous avons mis en lumière le rôle retar­da­teur de la cha­ri­té et du réfor­misme, nous devons aus­si mettre en lumière le rôle retar­da­teur – c’est-à-dire réac­tion­naire – de cet embour­geoi­se­ment éco­no­mique et moral de larges couches populaires.

Mais avec la même indul­gence que nous avons mani­fes­tée envers les réfor­mistes et les phi­lan­thropes, dont les inten­tions étaient cer­tai­ne­ment empreintes d’hu­ma­ni­té, nous consi­dé­rons ceux qui ont suc­com­bé à l’offre d’a­mé­lio­ra­tion de leur sort que l’é­vo­lu­tion sociale leur proposait.

Il se pré­sen­tait à eux l’oc­ca­sion de quit­ter le pro­lé­ta­riat dont la ser­vi­tude était insup­por­table ; l’oc­ca­sion d’a­voir une loca­ture, une échoppe, une bou­tique, un peu de confort, un peu d’é­pargne. Vit-on jamais l’es­clave refu­ser son affran­chis­se­ment ? Ils ont accep­té, c’est nor­mal. L’être humain recherche le bon­heur et ne repousse pas un bienfait.

Des puristes leur en tiennent rigueur. Selon eux, il y a déser­tion, il y a tra­hi­son, à fuir la condi­tion pro­lé­ta­rienne. Certes, le pro­duc­teur seul a un rôle utile dans la socié­té, et une socié­té juste se com­po­se­rait uni­que­ment de pro­duc­teurs dans la limite de l’âge où le tra­vail est pos­sible, et tout para­site en serait ban­ni. Mais dans une socié­té injuste qui écrase qui­conque œuvre uti­le­ment et réserve ses avan­tages à l’in­ter­mé­diaire et au pos­sé­dant, peut-on tenir rigueur à celui qui cède à la ten­ta­tion ? Ces puristes mêmes approuvent la hié­rar­chie des salaires, qui équi­vaut à une exploi­ta­tion d’un pro­duc­teur par l’autre.

Puis­qu’ils admettent bien que les ouvriers, sans tra­hi­son, puissent pas­ser d’une caté­go­rie ou d’une cor­po­ra­tion moins payée à une autre qui l’est mieux, ils se contre­disent en repro­chant à ceux qui ont pro­fi­té d’une occa­sion ou se sont embus­qués dans une siné­cure, d’a­voir tra­hi le pro­lé­ta­riat. Le pro­lé­ta­riat, certes, est tra­hi ; mais ceux qui le com­battent ne sont pas tou­jours si hors de sa por­tée qu’il le croit.

Les hommes ne sont pas des saints ; ils recherchent les fonc­tions que la socié­té rému­nère le mieux et fuient celles qui laissent dans la pau­vre­té l’in­di­vi­du qui le rem­plit. On ne peut pas attendre d’une créa­ture aus­si impar­faite que l’homme cette forme d’ab­né­ga­tion et de noblesse qui lui assi­gne­rait de s’as­ser­vir aux tra­vaux les plus durs et à l’in­di­gence la plus ingrate, quand des tâches beau­coup moins pénibles lui apportent plus de bien-être.

Cette pro­li­fé­ra­tion des emplois médiocres, mais aisés, entre les gros déten­teurs du capi­tal d’une part, et la main-d’œuvre déshé­ri­tée d’autre part, a ren­for­cé la posi­tion des pre­miers et ren­du plus tra­gique celle de la seconde.

Pour cette der­nière, le pro­blème demeu­rait – et demeure. Il peut s’illus­trer dans un seul exemple. Je vis, en 1950, dans une ville où la majo­ri­té des ouvriers tra­vaillent dans l’in­dus­trie du cuir. Ils sont extrê­me­ment mal payés, de 10 à 12.000 francs par mois, en temps de semaine com­plète. Or, les maga­sins exposent les chaus­sures qu’ils ont fabri­quées 4 à 5.000 francs la paire. C’est la preuve évi­dente que leur tra­vail est exploi­té à outrance et que d’autres qu’eux en récoltent le fruit.

Qui sont ces autres ? Le patron, le com­mer­çant, natu­rel­le­ment, en pas­sant par tous les gros­sistes, demi-gros­sistes, etc., etc., mais sur­tout l’É­tat qui frappe les uns et les autres et pré­lève de mul­tiples parts sur toutes les tran­sac­tions opé­rées ; l’É­tat deve­nu si dévo­rant que cer­tains d’entre eux, par­mi les petits, gagne­raient plus, s’ils lui don­naient toute leur recette moyen­nant qu’il les rému­né­rât comme chefs d’en­tre­prises ou de magasins.

Rien de plus logique que l’i­dée née dans le cer­veau des pre­miers coopé­ra­teurs, de sup­pri­mer tous les inter­mé­diaires et de faire pas­ser direc­te­ment le pro­duit du pro­duc­teur au consommateur.

Mal­heu­reu­se­ment, la coopé­ra­tion elle-même a fini, la plu­part du temps, par entrer dans le cycle du com­merce tra­di­tion­nel, et loin de noyau­ter le sys­tème capi­ta­liste, elle s’est lais­sée absor­ber par lui.

De sorte qu’au­jourd’­hui, quand un essai de coopé­ra­tion est ten­té, ses pro­mo­teurs évitent tout autant de pas­ser par les coopé­ra­tives que par le réseau du commerce.

Il y a, sur la côte fran­çaise, des pêcheurs qui, chaque semaine, expé­dient du pois­son à 120 francs le kilo dans l’in­té­rieur des terres. Ils l’en­voient direc­te­ment au consom­ma­teur, sans emprun­ter les inter­mé­diaires du com­merce, mareyeurs et autres, mais en se gar­dant éga­le­ment d’u­ti­li­ser les coopératives.

Pour cela, ils ont écrit aux bri­gades de gen­dar­me­rie de tout le ter­ri­toire, en leur offrant un envoi heb­do­ma­daire au prix que je viens d’in­di­quer ; pour étof­fer l’ex­pé­di­tion, les gen­darmes ont réuni quelques clients civils qui joignent leur sous­crip­tion à la leur, et le sys­tème fonc­tionne ain­si depuis des mois.

Depuis des mois, chaque jeu­di, M. le Sous-Pré­fet reçoit son pois­son à la gen­dar­me­rie, à un tarif que ne lui feraient, ni les pois­son­niers paten­tés, ni la coopé­ra­tive ayant pignon sur rue.

Je me réjouis de la réus­site d’une ini­tia­tive de ce genre, comme de tous les échecs, grands ou petits, que subit le capi­ta­lisme ; je déplore seule­ment son peu d’en­ver­gure, et qu’il n’y ait pas un grand nombre de pro­lé­taires à 12.000 fr. par mois pour pro­fi­ter de l’au­baine avec M. le sous-pré­fet et MM. les gendarmes.

Ce n’est pas seule­ment pour la marée, mais pour tous les pro­duits ; ce n’est pas seule­ment dans les gen­dar­me­ries et les sous-pré­fec­tures, mais à l’é­chelle de toute la nation, mieux, du monde entier, que cette coopé­ra­tion spon­ta­née, anar­chiste (au sens réel : sans inter­ven­tion de l’au­to­ri­té), devrait s’effectuer.

Oui, c’est à l’é­chelle de toute la pro­duc­tion et de toute la consom­ma­tion, et ter­ri­to­ria­le­ment à l’é­chelle pla­né­taire, que cette coopé­ra­tion où l’É­tat, ni aucune auto­ri­té, n’in­ter­vient, devrait être conçue et pra­ti­quée. Ce n’est pas dif­fi­cile, puisque cela existe pour un pro­duit dis­tri­bué entre quelques hommes.

L’in­ven­tion de la roue est une inven­tion capi­tale. Si l’empire inca n’a­vait pas igno­ré la roue, il gou­ver­ne­rait encore l’A­mé­rique du Sud. Ce qui fut mal­ai­sé, ce fut de construire la pre­mière roue. Mais quand la pre­mière roue eut été fabri­quée, il fut extrê­me­ment facile d’en fabri­quer d’autres.

Pour­quoi, en matière éco­no­mique, le pre­mier essai de coopé­ra­tion n’a-t-il pas été sui­vi de la coopé­ra­tion géné­ra­li­sée, comme, dans le domaine méca­nique, la construc­tion d’une roue a uni­ver­sa­li­sé son usage ?

On a tel­le­ment pié­ti­né en matière coopé­ra­tive que chaque essai renou­ve­lé de coopé­ra­tion semble être le premier.

Un régime poli­tique, cepen­dant, pré­voit la sup­pres­sion du concours pri­vé et la géné­ra­li­sa­tion de la dis­tri­bu­tion coopé­ra­tive : c’est le régime socialiste.

Par­ti­san de la coopé­ra­tion, c’est-à-dire de la répar­ti­tion de tous les pro­duits quels qu’ils soient, direc­te­ment, de celui qui les confec­tionne ou les extrait, entre ceux qui les consomment, et de l’é­li­mi­na­tion de qui­conque pré­tend s’in­ter­po­ser dans un but de lucre per­son­nel sans aucun pro­fit pour la socié­té, je me ral­lie natu­rel­le­ment au régime qui réa­lise cette mesure de justice.

Cha­cun voit sa part de consom­ma­tion accrue, et sa contri­bu­tion labo­rieuse dimi­nuée, par la réforme qui, désor­mais, sup­prime tout pré­lè­ve­ment béné­fi­ciaire sur la mar­chan­dise ; le prix de revient de celle-ci peut être gre­vé de frais de trans­port, même de sto­ckage et de maga­si­nage, mais elle sera libre de tout droit et de tout pro­fit para­si­taire. Cette fois, nous voi­ci hors du capi­ta­lisme, de ses agio­tages et de ses inégalités.

Cepen­dant, tout le monde ne voit pas le socia­lisme de la même façon ; les uns le veulent éta­tique, les autres le veulent libé­ral. Ces deux ten­dances ont leurs par­ti­sans, et c’est ici qu’il convient de choisir.

II. État socialiste

Dans l’un comme dans l’autre sys­tème, la coopé­ra­tion se sub­sti­tue au com­merce pri­vé. Seule­ment, son appli­ca­tion est fort dif­fé­rente dans les deux cas.

Le socia­lisme éta­tique, ou auto­ri­taire, éta­blit la supré­ma­tie et le mono­pole d’un orga­nisme appe­lé l’É­tat. L’É­tat pos­sède la tota­li­té des ins­tru­ments de pro­duc­tion. Pas une usine, pas un ate­lier, pas une enclume, pas un trac­teur, pas un filet de pêche qui ne lui appar­tienne. Ce qui sort des mains du pro­duc­teur est éga­le­ment le bien de l’É­tat. Pas un chau­dron sor­ti de l’u­sine, pas une pomme de terre arra­chée du champ, pas un mer­lan extrait de la mer, qui ne soit à lui. Ensuite, c’est lui qui les répar­tit, c’est à lui qu’on les achète, dans des maga­sins coopé­ra­tifs qui sont aus­si sa propriété.

Ce n’est pas l’É­tat qui pro­duit les den­rées et les mar­chan­dises, car il ne pro­duit rien, et ce n’est pas lui non plus qui les consomme ; mais c’est lui qui en ordonne la confec­tion ou l’ex­trac­tion ou la culture, au pro­ra­ta des besoins des consom­ma­teurs, qu’il connaît par ses sta­tis­tiques, et c’est lui qui les dis­tri­bue et les vend, en attri­buant à cha­cun une part cal­cu­lée d’a­près leur dénombrement.

Entre le pro­duc­teur et le consom­ma­teur, il n’y a plus de mul­tiples inter­mé­diaires ; il n’en sub­siste qu’un : l’É­tat ; mais c’est l’É­tat socia­liste, dont le rôle consiste sim­ple­ment à har­mo­ni­ser les pos­si­bi­li­tés et les besoins.

Dans sa construc­tion théo­rique, ce sys­tème semble satis­fai­sant ; il a éli­mi­né les inté­rêts pri­vés des pos­sé­dants dont le mono­pole, l’am­bi­tion et la concur­rence, cau­saient la misère popu­laire des pays et des siècles bour­geois. Il a évin­cé les acca­pa­reurs, les spé­cu­la­teurs, tous ceux qui pré­le­vaient une dîme sur le pro­duit cir­cu­lant entre leurs mains.

Qu’est donc cet orga­nisme appe­lé l’É­tat qui main­tient la per­ma­nence et assure le fonc­tion­ne­ment du système ?

À la véri­té, l’É­tat n’existe pas. Pas plus que Dieu, il n’a d’exis­tence réelle, maté­rielle, visible, tan­gible, humaine. C’est une enti­té mys­tique, une vue de l’es­prit, une affaire de croyance, un article de foi. Certes, un État peut être socia­liste ou bour­geois, comme un Dieu peut être musul­man ou hugue­not ; il n’en est pas moins, en fait, une pure conven­tion juri­dique, comme Dieu une conven­tion religieuse.

Tou­te­fois, de même que Dieu trouve une per­sonne phy­sique en celle des membres du cler­gé, ses repré­sen­tants, de même l’É­tat trouve une per­sonne phy­sique en celle de ses repré­sen­tants, les hommes de gou­ver­ne­ment et de loi.

Nous décou­vrons de toute part des gens qui parlent au nom de Dieu, au nom de l’É­tat ; cela ne nous a jamais encore per­mis de décou­vrir Dieu, ni l’É­tat, ni de nous convaincre de leur réalité.

Le socia­lisme éta­tique est gou­ver­né par un État inexis­tant, dont les repré­sen­tants – comme les repré­sen­tants de Dieu – ont une exis­tence bien réelle. Ces repré­sen­tants et leurs ser­vi­teurs ne tardent pas à deve­nir fort nom­breux, comme les moines du moyen âge. Il en faut au gou­ver­ne­ment ; il en faut dans les minis­tères ; il en faut dans les comi­tés ; il en faut dans les bureaux qui four­nissent ces sta­tis­tiques dont je par­lais tout à l’heure…

Bureaux de sta­tis­tiques de plus en plus mul­ti­pliés ; cela se com­prend : il faut « sta­tis­ti­quer » les besoins d’une part, leur satis­fac­tion d’autre part ; savoir com­bien tel dis­trict devra ou pour­ra absor­ber de morues ou de poêles à frire entre la Chan­de­leur et la Pen­te­côte ; savoir com­bien de tra­vailleurs font défaut ici, com­bien sont en sur­nombre là, et com­bien l’in­fluen­za en a ren­dus indisponibles.

Puis, viennent les bureaux de répar­ti­tion : celui du fer, celui du bois, celui du papier, celui du coton ; les sous-bureaux : car chaque branche de la pro­duc­tion se sub­di­vise presque à l’in­fi­ni ; et voi­là que, déjà, plus de la moi­tié de la popu­la­tion est employée à rédi­ger des for­mu­laires, des bul­le­tins, des états (bien réels, ceux-là, et point du tout méta­phy­siques), etc., etc. Tous ces gens-là consomment et ne pro­duisent pas.

Que se passe-t-il, dans un pays, quand une caté­go­rie d’in­di­vi­dus, cesse de pro­duire et conti­nue de consommer ?

Il se passe ceci, qu’elle exploite — qu’on le veuille ou non — ceux qui pro­duisent, et qu’elle vit à leur détri­ment.

Et à mesure qu’elle vit davan­tage au détri­ment des pro­duc­teurs, cette caté­go­rie d’in­di­vi­dus prend davan­tage conscience de son rôle spé­cial dans la socié­té ; et à mesure qu’elle en conçoit davan­tage le para­si­tisme, elle s’emploie à en jus­ti­fier davan­tage la pseu­do-néces­si­té. Alors, elle se consti­tue en classe.

Le phé­no­mène se maté­ria­lise depuis les chefs suprêmes du gou­ver­ne­ment jus­qu’à la plus humble dac­ty­lo du bureau des char­bons dans le moindre chef-lieu de canton.

Une classe nou­velle est née dans la socié­té nou­velle, et plus elle sent ses pré­ro­ga­tives injustes, plus elle incline à les défendre ; plus elle sait son rôle super­flu, plus elle a ten­dance à le main­te­nir ; plus elle se rend compte com­bien son joug est pesant, plus elle l’ap­pe­san­tit encore. Le pri­vi­lège tech­no­cra­tique suit le même pro­ces­sus que son pré­dé­ces­seur le pri­vi­lège bour­geois.

Et que se passe-t-il encore ? Il se passe que la nou­velle classe, qui n’a que du bien à pen­ser d’un régime qui lui per­met de vivre aux dépens du pro­duc­teur, la nou­velle classe qui tra­vaille certes, mais dont le tra­vail est sté­rile et rému­né­ra­teur, décrète que cette socié­té est par­faite, que qui­conque y apporte une cri­tique, qui­conque y pro­pose une réforme, est un traître et un contre-révo­lu­tion­naire. Elle ins­taure une ortho­doxie sociale qu’une police rigou­reuse a mis­sion de faire res­pec­ter inexorablement.

Elle déclare sacré le prin­cipe de l’É­tat, et devient le plus sûr et le plus ferme appui d’un gou­ver­ne­ment somp­tuaire et dis­pen­dieux qui l’u­ti­lise et la protège.

Ce gou­ver­ne­ment, assu­ré d’une base solide, l’af­fer­mit encore en uti­li­sant la cré­du­li­té popu­laire, qui fut dans les siècles pas­sés une cré­du­li­té reli­gieuse deve­nue de nos jours une cré­du­li­té poli­tique ; et le sys­tème est désor­mais sta­bi­li­sé, et peut-être immuable pour on ne sait com­bien de géné­ra­tions. Le phé­no­mène tech­no­cra­tique se cris­tal­lise et se fige his­to­ri­que­ment comme jadis le phé­no­mène patri­cien ou le phé­no­mène féodal.

À la base, cepen­dant, le pro­blème est demeu­ré. L’ou­vrier qui pro­duit force chaus­sures et force vête­ments conti­nue à être mal frin­gué et à por­ter de vieilles godasses, tan­dis que le direc­teur d’u­sine, le chef du bureau des plaques de fibro­ci­ment et le fonc­tion­naire du par­ti, endossent de chaudes pelisses et vont bot­tés jus­qu’au der­rière. Il conti­nue à man­ger maigre quand les tech­no­crates mangent gras, en ver­tu d’une hié­rar­chie des salaires dont l’ins­ti­tu­tion par­ti­cipe du prin­cipe sacro-saint de toutes les choses bénies de l’É­tat. Le seul salut qu’on lui offre réside dans une sou­mis­sion béate à des volon­tés qu’il ne contrôle pas plus qu’il ne les influence.

Il se peut bien qu’il soit à l’a­bri du besoin, qu’il béné­fi­cie d’as­su­rances et de retraites ; il se peut bien qu’il soit heu­reux, sur­tout si sa nature l’in­cline à la rési­gna­tion. Il n’en est pas moins évident que toute une gamme d’i­né­ga­li­tés et de para­si­tismes s’é­che­lonne entre les hauts digni­taires qui repré­sentent l’É­tat tout-puis­sant et les assu­jet­tis qui l’a­dorent et le servent.

Ceux qui, sous ce régime socia­liste, comme sous les régimes oli­gar­chiques, font vivre l’É­tat, traînent une exis­tence ingrate, très dif­fé­rente d’ailleurs selon leur caté­go­rie, depuis l’hôte du camp de tra­vail qui n’est guère qu’un esclave sans droits, sans patri­moine, presque sans salaire, vivant plu­tôt sous la menace de la socié­té que sous sa pro­tec­tion, jus­qu’au citoyen qui jouit de cer­taines liber­tés et de l’a­van­tage d’une situa­tion et d’une rému­né­ra­tion régu­lières, et à qui le régime confère une aisance et une digni­té per­son­nelles moyen­nant qu’il n’en cri­tique aucune des lois, non plus qu’au­cun des légis­la­teurs. Ceux qui, en revanche, vivent de l’É­tat, sont assu­rés de droits et de reve­nus consi­dé­ra­ble­ment supé­rieurs ; ce sont ceux qui roulent en auto­mo­bile et qui écla­boussent le piéton.

Pour le pié­ton, c’est-à-dire pour le pro­lé­taire, le moment serait venu, s’il vou­lait remé­dier à cette situa­tion, de faire venir du pois­son à 120 fr. le kilo, en coopé­rant avec les gen­darmes de sa bri­gade et le sous-pré­fet de son arron­dis­se­ment. Il ne deman­de­rait sans doute pas mieux, et le pêcheur de la côte se ferait un plai­sir de lui en expé­dier. Mais ils ne le peuvent ni l’un, ni l’autre, parce que, s’il est dif­fi­cile d’é­lu­der les inter­mé­diaires en régime capi­ta­liste, il est tout à fait impos­sible, en régime socia­liste auto­ri­taire d’é­vin­cer l’État.

Le pêcheur com­met­trait un vol s’il sous­trayait un seul mer­lan d’É­tat, pêché avec son filet d’É­tat, sur sa barque d’É­tat ; et le des­ti­na­taire se ren­drait com­plice de ce vol en ache­tant ce pois­son volé ailleurs que dans un maga­sin d’É­tat ; et tous les deux iraient dans la pri­son d’É­tat médi­ter sur les risques de la libre coopé­ra­tion en régime socia­liste, sans que per­sonne puisse pro­tes­ter, puisque nul jour­na­liste d’É­tat ne pour­rait, dans la presse d’É­tat, prendre contre l’É­tat le par­ti de deux consciences et de deux éco­no­mies impar­fai­te­ment étatisées.

III. Socialisme sans État

Mais le socia­lisme tel que je viens de le décrire me parait com­por­ter, sinon les mêmes tares que le capi­ta­lisme, du moins des tares égales aux siennes.

L’autre socia­lisme est le socia­lisme liber­taire. Il met direc­te­ment en rap­port sans inter­ven­tion d’au­cun orga­nisme d’É­tat, les asso­cia­tions de pro­duc­teurs et les asso­cia­tions de consom­ma­teurs ; il réa­lise la coopé­ra­tion pure, et fait dis­pa­raître toute excrois­sance sociale indésirable.

Les pro­duc­teurs savent par­fai­te­ment ce qu’ils sont capables de pro­duire ; pas une usine, pas une exploi­ta­tion agri­cole, pas une entre­prise quel­conque, n’i­gnore son ren­de­ment moyen approxi­ma­tif à plus ou moins longue échéance ; cer­taines sont plus régu­lières, d’autres plus assu­jet­ties aux hasards, mais chaque ouvrier a une claire conscience de sa cadence de production.

De même, les consom­ma­teurs savent par­fai­te­ment ce qu’ils ont besoin de consom­mer ; cha­cun peut dire à peu près ce qu’il consomme de pain, de viande, de pois­son, de légumes, de vête­ments, de chaus­sures, d’us­ten­siles de cui­sine ou de cou­rant électrique.

Le socia­lisme liber­taire, le socia­lisme sans l’É­tat, le socia­lisme anar­chiste, c’est l’ex­ten­sion à toute la socié­té de cette coopé­ra­tion spon­ta­née qui s’est éta­blie sans aucune inter­ven­tion des auto­ri­tés entre les pêcheurs et les gen­darmes dont je par­lais plus haut, en plein régime capitaliste.

Qu’on laisse les pro­duc­teurs s’as­so­cier, et s’as­so­cier les consom­ma­teurs, cha­cun de nous étant à son tour consom­ma­teur et pro­duc­teur, et le libre échange des pro­duits, la libre coopé­ra­tion, sup­plan­te­ront auto­ma­ti­que­ment le sys­tème de pro­duc­tion pour le pro­fit et de dis­tri­bu­tion pour le gain, sans qu’il soit néces­saire d’in­ter­po­ser une classe de fonc­tion­naires gou­ver­ne­men­taux ou de rhé­teurs poli­ti­ciens entre les uns et les autres ; et même s’il fal­lait main­te­nir une cer­taine sur­veillance elle n’au­rait rien de com­pa­rable avec l’in­qui­si­tion poli­cière qui s’in­si­nue jus­qu’au tré­fonds des consciences pour y détec­ter les germes de cri­tique et les fer­ments d’op­po­si­tion. Je ne vois pas ce que les camps de concen­tra­tion vien­draient faire dans un tel régime. On a pré­ten­du que ce sys­tème ne pou­vait se réa­li­ser d’un seul coup et que le socia­lisme éta­tique, ne se consi­dé­rait lui-même que comme une étape pré­li­mi­naire du socia­lisme sans État. Cela est notoi­re­ment erro­né, puisque le socia­lisme éta­tique, une fois qu’il est ins­tau­ré, affirme le carac­tère intan­gible de son prin­cipe et s’op­pose à tout expo­sé d’ar­gu­ments de la part du socia­lisme liber­taire ; il ne le regarde donc pas comme son suc­ces­seur natu­rel, des­ti­né à recueillir son héritage.

Sous le régime du socia­lisme éta­tique, toute ten­ta­tive de pas­ser au stade du socia­lisme sans État est répri­mée exac­te­ment comme le serait toute ten­ta­tive de faire renaître le capi­ta­lisme pri­vé. Elle est même dénon­cée comme une entre­prise de réac­tion, et non point annon­cée comme un per­fec­tion­ne­ment révo­lu­tion­naire. On lui dénie tout ave­nir et on la condamne avec le pas­sé. Si le socia­lisme, après la chute du capi­ta­lisme pri­vé, s’as­sor­tit d’é­ta­tisme, l’ap­pa­reil oppres­sif et répres­sif de l’É­tat le main­tien­dra le plus long­temps qu’il le pour­ra à ce stade impar­fait et déce­vant ; et il est peut-être plus dif­fi­cile d’ac­cé­der au socia­lisme sans État en par­tant du socia­lisme éta­tique qu’en par­tant du libé­ra­lisme bour­geois. L’op­po­si­tion ren­con­trée, en tout cas, n’est pas moindre.

Cette opi­nion est la nôtre, mais nous ne sau­rions nous dis­si­mu­ler qu’elle n’est point géné­rale. Le socia­lisme a conquis de nom­breux adeptes, mais leur qua­si-tota­li­té se sont pro­non­cés en faveur du socia­lisme d’É­tat, contre le socia­lisme sans État.

C’est incom­pa­ra­ble­ment dans les rangs du socia­lisme éta­tique qu’on ren­contre le plus de mili­tants ; il est à lui seul presque tout le mou­ve­ment socia­liste, alors que notre ten­dance n’est par­ta­gée que par une faible minorité.

Bien enten­du, cette sanc­tion du nombre ne signi­fie pas que la rai­son soit de leur côté et non du nôtre ; que nous ayons peu de par­ti­sans ne prouve point qu’ils sont dans le vrai et que nous ayons tort. Cela lais­sé seule­ment pré­sa­ger que nous avons moins de pro­ba­bi­li­tés qu’eux de l’emporter dans un proche avenir.

Plus tard, il peut en aller dif­fé­rem­ment ; nous ne déses­pé­rons pas qu’il en aille dif­fé­rem­ment. Peut-être fau­dra-t-il que l’hu­ma­ni­té passe par toutes les expé­riences ratées, par toutes les décep­tions, tous les désap­poin­te­ments, au tra­vers de sys­tèmes exces­si­ve­ment com­pli­qués – dont la com­pli­ca­tion sert à mas­quer les tares – avant de se résoudre au plus rai­son­nable, au plus juste, qui est en même temps le plus simple.

IV. Malentendu dans la classe pauvre

Le régime capi­ta­liste trouve encore quelques sou­tiens pour l’ai­der de leurs pis-aller, de leurs expé­dients, de leurs répa­ra­tions de for­tune, mais il n’a plus de défen­seurs cha­leu­reux, parce que rien ne peut plus pal­lier ses tares, ni les contre-balancer.

Le pro­lé­taire le hait, parce qu’il ne peut pas vivre avec 12.000 francs par mois ; le com­mer­çant – qui en fut le pilier – le hait, parce qu’il ne peut plus rien vendre à des gens qui n’ont pas d’argent pour ache­ter ce qu’ils ont pro­duit ; et le patron lui-même en arrive à haïr un tel régime, parce que, culti­va­teur ou indus­triel, il ne peut plus vendre à des com­mer­çants qui, ne ven­dant plus, n’a­chètent pas.

Seuls, de hauts salaires dont la majo­ra­tion ne se réper­cu­te­rait pas sur les prix de vente parce que la sup­pres­sion des inter­mé­diaires et de la fis­ca­li­té la résor­be­rait, pour­rait redon­ner au sys­tème un essor pas­sa­ger ; mais cette solu­tion est une uto­pie, car les inter­mé­diaires et le fisc sont les pre­miers à faire croître le coût des mar­chan­dises avant que leur prix de revient ait aug­men­té. La pros­pé­ri­té fac­tice des riches pays de l’A­mé­rique illu­sionne, seule encore, ceux qui répugnent à se rendre à l’évidence.

Tous glissent insen­si­ble­ment à l’a­po­lo­gie d’une trans­for­ma­tion, au désir de voir naître un régime qui domine les fata­li­tés éco­no­miques, qui enchaîne ces fata­li­tés aux­quelles le libé­ra­lisme fait dan­ser une sara­bande désor­don­née. Seul, le socia­lisme peut, évi­dem­ment, maî­tri­ser l’é­co­no­mie de la façon qu’ils sou­haitent. Ins­tau­ré par un État cen­tra­liste, le socia­lisme peut, en effet, mettre de l’ordre dans l’é­co­no­mie, jugu­ler ses inco­hé­rences, mais il est inca­pable de sup­pri­mer les classes, de créer une éco­no­mie éga­li­taire, de sup­pri­mer la pau­vre­té ; peut-être, au sein de ses par­ti­sans et de ses fonc­tion­naires se révé­le­ra-t-il quelques saints laïcs, quelques bien­fai­teurs dés­in­té­res­sés, qui ne seront que les excep­tion­nels Vincent de Paul d’un cler­gé opu­lent et jouis­seur ; en fait, il main­tien­dra l’i­né­ga­li­té sociale, des cor­po­ra­tions bien payées et des cor­po­ra­tions mal payées, des postes rému­né­ra­teurs et des emplois à cre­ver de faim, et spo­lie­ra ceux qui pro­duisent pour gaver ses créa­tures, par­mi les­quelles les chiens de garde des spo­liés ; l’É­tat se ral­lie­ra une par­tie des citoyens en les payant bien, et répri­me­ra toute pro­tes­ta­tion de ceux qu’il paie­ra mal.

Que ceux qui aspirent à gou­ver­ner, à régner sur leurs sem­blables, à exer­cer un pou­voir, ou à vivre aux dépens du pro­lé­ta­riat en pré­ten­dant repré­sen­ter sa volon­té et asseoir sa dic­ta­ture, soient par­ti­sans de ce régime, cela est natu­rel. Mais ceux qui n’ont point de telles ambi­tions ne le peuvent récla­mer que par suite d’un malentendu.

S’ils n’é­taient pas vic­times d’un mirage et d’un qui­pro­quo, entre­te­nus par la pro­pa­gande, ils convien­draient que ce n’est pas cela qu’ils sou­haitent, mais bien un régime de socia­lisme liber­taire, où la pro­duc­tion sera libre­ment déci­dée et exé­cu­tée par les pro­duc­teurs, où la consom­ma­tion sera libre, où la coopé­ra­tion sera uni­ver­selle, entre tous et pour toutes choses. C’est pour cela qu’ils croient lut­ter, mais aucun gou­ver­ne­ment, libé­ral, démo­cra­tique ou socia­liste ne le leur appor­te­ra, car tous les gou­ver­ne­ments, s’ils changent la richesse de mains, main­tiennent tou­jours une classe pauvre.

Le jour où ce régime serait réa­li­sé, rien ne s’op­po­se­rait plus à ce que les pêcheurs de harengs envoient, sans inter­mé­diaires, le pro­duit de leurs pêches aux gens de l’in­té­rieur, et pas seule­ment aux sous-pré­fets et aux gen­darmes, dont le rôle et l’u­ti­li­té, en un tel sys­tème social, pour­raient bien être réduits à leur plus simple expression.

Pierre-Valen­tin Berthier


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