La Presse Anarchiste

La richesse

L’homme ressent des besoins.

De par sa con­sti­tu­tion phys­i­ologique même, les pre­miers qui l’ont sol­lic­ité le plus impérieuse­ment furent d’abord la nour­ri­t­ure, le vête­ment, l’habitation.

Mais à mesure que la civil­i­sa­tion se développe, les besoins se mul­ti­plient, aug­mentent d’in­ten­sité. Aux besoins prim­i­tifs s’a­joutent bien­tôt ceux de sécu­rité, d’hy­giène, de loco­mo­tion d’in­struc­tion, de moral­ité, de dis­trac­tion, de van­ité, de sen­sa­tion du beau, etc.

Tout ce qui sert à la sat­is­fac­tion de ces divers besoins est de la richesse.

« Un clou est de la richesse ; un hec­tolitre de blé est de la richesse ; la fac­ulté qu’a le pro­fesseur de savoir don­ner une leçon est de la richesse comme le résul­tat de cette leçon ; l’air est aus­si de la richesse, etc. En économie poli­tique, le sens du mot richesse est donc plus éten­du que dans le lan­gage ordi­naire, où richesse est pris dans le sens d’op­u­lence et d’abon­dance de biens. » (J. Gar­nier. — Élé­ments de l’É­conomie poli­tique.)

Avec Ad. Smith, J.-B. Say, Rossi, Dunoy­er, Bas­ti­at, J.-S. Mill, J. Gar­nier et H. Passy, nous dis­ons donc, pour nous résumer, que la Richesse c’est : l’u­til­ité et la valeur, les pro­duits et les ser­vices. Tan­dis que, pour les phys­iocrates Malthus, Sis­mon­di, Droz, Dutens, E. Daire, etc., les pro­duits matériels seule­ment sont de la richesse. En élim­i­nant ain­si « les résul­tats du tra­vail s’ap­pli­quant aux hommes, ils mécon­nais­sent l’analo­gie de ces résul­tats avec ceux du tra­vail s’ap­pli­quant aux choses ». Pour être com­plet, men­tion­nons aus­si l’opin­ion de Mac Cul­loch, Ricar­do, A. Clé­ment et Wal­ras qui n’ac­cor­dent la qual­ité de richesse qu’aux choses ayant de la valeur ou échange­ables. Ceux là, ain­si que les phys­iocrates « muti­lent la sci­ence en omet­tant une par­tie des choses qui sat­is­font les besoins des hommes, la richesse naturelle. Ils sont con­duits à dire qu’un pays où la nature a répan­du ses dons n’est pas un pays riche, ce qui est diamé­trale­ment opposé au sens usuel du mot richesse ».

En repous­sant ces deux théories et en admet­tant, avec nous, que la Richesse, c’est l’u­ni­ver­sal­ité des choses qui sat­is­font les besoins des hommes, on est amené, si l’on veut être pré­cis, à la divis­er en matérielles et en immatérielles. Les pre­mières sont celles qui rési­dent dans les choses, ain­si que l’air, les sub­sis­tances, les minéraux, etc.; les sec­on­des com­pren­nent celles qui rési­dent dans les hommes, comme les tal­ents, le savoir, les ser­vices, etc.

Puis, dans un autre ordre d’idées, on sub­di­vise encore la Richesse comme suit :

1°. Les richess­es naturelles, ain­si qual­i­fiées parce qu’elles sont octroyées toutes faites par la nature. Nous citerons dans cette caté­gorie : « l’air, la lumière, la force de la vapeur, l’élec­tric­ité et toutes les forces et agents de la nature, com­prenant la force végé­ta­tive et la richesse métallique des ter­res sus­cep­ti­bles de pro­duc­tion (sols cul­tivables, potagers, mines, étangs, cours d’eau); telles sont encore les fac­ultés intel­lectuelles et physiques des hommes. »

Par­mi ces richess­es — qui devraient toutes être, logique­ment, col­lec­tives et gra­tu­ites — il en est qui ont été acca­parées, et leurs pro­prié­taires n’en cèdent la pos­ses­sion ou l’usage qu’à titre onéreux. De là, cette arbi­traire sous-clas­si­fi­ca­tion des richess­es naturelles en gra­tu­ites et en onéreuses. Il va sans dire que nous nous refu­sons énergique­ment à admet­tre comme sci­en­tifique cette sous-clas­si­fi­ca­tion qui tend de plus en plus à dis­paraitre sous la poussée for­mi­da­ble des idées social­istes. C’é­tait l’opin­ion de Proud­hon que Bas­ti­at, dans ses Har­monies économiques, et Carey dans son livre Past, present and future, admet­taient aus­si ; avec cette dif­férence toute­fois, c’est que Carey et Bas­ti­at con­sid­éraient la gra­tu­ité des agents naturels comme un fait accompli.

2°. Les richess­es appelées pro­duites, arti­fi­cielles ou sociales, lesquelles ne se peu­vent obtenir que par des moyens qui ne sont pas gra­tu­its, qui néces­si­tent une dépense de force, des sac­ri­fices, etc., comme les sub­sis­tass­es, les habits, les maisons, les machines, les pro­duits de toute nature, comme aus­si les tal­ents, le savoir et les ser­vices de toute sorte. Pour en jouir, il faut les avoir pro­duites ou achetées en les échangeant con­tre d’autres valeurs. En effet — et la con­clu­sion des écon­o­mistes est ici inat­taquable — les richess­es sociales pour­ront devenir de moins en moins onéreuses ; mais, quel que soit le développe­ment que prenne le machin­isme, la sci­ence, le pro­grès en un mot, elles ne sauraient devenir absol­u­ment gratuites.

3°. Quelques écon­o­mistes ajoutent encore aux précé­dentes les richess­es qu’ils croient à la fois « naturelles et sociales ». Ils citent comme exem­ple les « divers­es par­ties du sol dans les pays occupés où règne un com­mence­ment de civil­i­sa­tion ; telles encore les fac­ultés de l’e­sprit et du corps. » Cette troisième caté­gorie de richess­es a été ajoutée aux deux ci-dessus, comme la sous clas­si­fi­ca­tion des richess­es naturelles en gra­tu­ites et onéreuses, dans le but de légitimer la rente, le fer­mage et le mono­pole. L’une et l’autre sont toutes de con­ven­tion, puisqu’elles ten­dent à dis­paraitre et qu’une clas­si­fi­ca­tion doit être immuable pour être rigoureuse­ment scientifique.

A. Rougé.


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