La Presse Anarchiste

Gaston Rolland et l’amnistie

L’amnistie, si nos gou­ver­nants n’étaient des fous, aurait réso­lu d’innombrables pro­blèmes dou­lou­reux à toutes les consciences.

Le long retard de l’amnistie, qui retient à l’étranger tant de tra­vailleurs pré­cieux et qui sans doute

Entraî­ne­ra les plus habiles à s’y faire une nou­velle patrie, sera appré­cié sévè­re­ment par l’histoire même la plus bour­geoise, com­pa­rée à la révo­ca­tion de l’Édit de Nantes et à quelques autres crimes qui furent à la fois des fautes. Nos gou­ver­ne­ments se mani­festent aus­si inca­pables qu’un Louis XIV d’obéir même à l’intérêt bien enten­du et aux néces­si­tés éco­no­miques. Mais ce n’est pas ce point de vue qui m’émeut.

Quelle folie pour toutes les consciences que de rete­nir en pri­son des hommes qui ont été frap­pés par les conseils de guerre en temps de guerre, qui ont été frap­pés comme des enne­mis, non comme des accu­sés. On sait que plus de vingt mille condam­na­tions sont illé­gales, on sait que sou­vent les droits de la défense n’ont pas été res­pec­tés. On sait que le sang d’innombrables fusillés crie contre l’énorme Caïn qu’est l’État français.

Pour les morts nous ne pou­vons rien. Nous ne deman­dons pas qu’on les réha­bi­lite, qu’on les décore ou qu’on les nomme maré­chaux à titre post­hume, ces vani­tés nous font rire d’un rire trop déchiré.

Que notre indi­gna­tion serve aux vivants qui souffrent. Au nom de nos morts, nous vou­lons la libé­ra­tion de tous nos pri­son­niers de guerre, de tous ceux qui, sans la guerre, ne seraient pas en pri­son. Et comme la vision d’une foule dou­lou­reuse et confuse n’émeut qu’un ins­tant, nous répé­tons inlas­sa­ble­ment l’histoire de ceux que nous connais­sons le mieux, de ceux qui nous appa­raissent les plus beaux et les plus représentatifs.

Nous répé­tons inlas­sa­ble­ment entre autres l’histoire de ces deux héros, si dif­fé­rents et éga­le­ment magni­fiques André Mar­ty, Gas­ton Rolland.

Parce que ce der­nier est moins connu ; parce que nulle orga­ni­sa­tion puis­sante ne s’honore à le défendre, c’est son his­toire que je raconte partout.

Je l’ai contée dans les mee­tings, les réunions publiques, les confé­rences, je l’ai contée plu­sieurs fois au vaillant Jour­nal du Peuple; je l’ai contée dans la Vague nou­velle, je l’ai expo­sée dans tout son détail par une bro­chure « Une conscience pen­dant la guerre ». 10 cen­times à la Bro­chure men­suelle, 39, rue de Bre­tagne, Paris. Et, puisque les cama­rades du Semeur me font l’honneur de me deman­der un article, je m’empresse encore de vous la dire en un trop court et insuf­fi­sant article.

Une soirée de tempête à Marseille.

Gas­ton Rol­land entend frap­per à sa porte. Il court ouvrir.

Devant lui, un être minable, ruis­se­lant de pluie, trem­blant de froid, trem­blant de peur aus­si et de faim. Un pauvre bougre, un cer­tain Bou­chard, que Gas­ton Rol­land connaît à peine. Mais quoi, c’est comme il dira pathé­ti­que­ment « de la matière qui souffre ». C’est un homme qui pleure, un mal­heu­reux que guette le Conseil de guerre et qui ne sait où se réfugier.

Gas­ton Rol­land l’accueille, le réchauffe, le nour­rit, l’habille, jusqu’à ce qu’il puisse et veuille aller autre part. Bou­chard bien­tôt s’en va en décla­rant vague­ment qu’il a trou­vé du tra­vail. J’ai conté ailleurs ses péré­gri­na­tions de demi-fou, com­ment il passe en Espagne, puis d’Espagne en Suisse, de Suisse il rentre en France, mul­ti­plie les impru­dences inutiles, finit par se faire arrê­ter à Évian.

Ce demi-fou est d’après un rap­port médi­cal, men­teur et « mytho­mane ». Dès qu’il est devant un juge d’instruction, il éprouve le besoin de lui faire d’abondantes confi­dences où se mêlent véri­tés, ima­gi­na­tions, méchancetés.

Il fait arrê­ter Armand avec qui il n’a jamais eu de rela­tion d’aucune sorte ; il fait arrê­ter son hôte de Mar­seille et les réfrac­taires qui avaient trou­vé asile, comme lui, chez Gas­ton Rolland.

L’officier ins­truc­teur a conçu contre Armand, intel­li­gence trop libre et sub­ver­sive, une haine féroce. Aux autres incul­pés, il demande de char­ger Armand, moyen­nant quoi le Conseil de guerre leur sera indul­gent. Car, d’après cet autre fou, ce feuille­to­niste ridi­cule, de Dumo­lard, ils sont tous des jouets aux mains d’Armand, seul vrai­ment res­pon­sable de leur insou­mis­sion ou de leur désertion.

Pas plus que Bou­chard, Gas­ton Rol­land n’a jamais eu de rela­tions avec Armand, il le dit net­te­ment, le répète. Et c’est contre lui et Dumo­lard une lutte de plus en plus farouche.

De sorte que le Dumo­lard finit par haïr Gas­ton Rol­land, ce cou­rage et cette sin­cé­ri­té autant qu’Armand, cette pensée.

Pour pou­voir les frap­per très fort l’un et l’autre, il dis­so­cie l’affaire Gas­ton Rol­land. À Gre­noble, Armand sera frap­pé comme un chef. Ailleurs Gas­ton Rol­land devien­dra le grand responsable.

Tous ceux qui aiment la beau­té morale liront dans la bro­chure dési­gnée plus haut, les deux inter­ro­ga­toires de Gas­ton Rol­land à Gre­noble et à Paris. Son cou­rage fut puni de 15 ans de tra­vaux for­cés. Alors que Bou­chard, plus cou­pable devant la loi, condam­né non seule­ment pour des faits ana­logues à ceux repro­chés à Rol­land, mais pour intel­li­gences avec l’ennemi, n’avait que cinq ans de pri­son. Nous sommes quelques-uns qui trou­vons abo­mi­nable toute condam­na­tion contre Gas­ton Rol­land, conscien­tious objec­tor, que l’Angleterre aurait respecté.

Les hommes même de droite trouvent exces­sive sa condam­na­tion et com­prennent qu’il devrait aujourd’hui être libre.

D’autre part, il est malade, tuber­cu­leux et car­diaque. Il mour­ra en pri­son, si nous ne nous hâtons de le déli­vrer. C’est pour­quoi nous fai­sons cir­cu­ler en sa faveur une péti­tion. Le moyen ne nous plaît guère. Mais entre un moyen qui nous déplaît et la vie du meilleur des cama­rades, nous n’hésitons pas.

Romain Rol­land, qui n’aime guère les péti­tions, lui non plus, est pour­tant le pre­mier signa­taire de celle-ci.

Que tous ceux qui s’intéressent à Gas­ton Rol­land demandent des feuilles de péti­tions à Gon­tran Rol­land, 55 rue de la Plaine, Paris (20e) et qu’ils recueillent les signatures.

S’ils veulent plai­der effi­ca­ce­ment la noble cause, qu’ils demandent, en même temps que la feuille de péti­tion, une bro­chure. Ils y trou­ve­ront, après un expo­sé com­plet de toute l’affaire, un choix d’arguments propres à frap­per les esprits les plus indifférents.

Nul ne lira cette bro­chure sans admi­rer Gas­ton Rol­land et éprou­ver le désir de le sauver.

Arra­chons à la pri­son, c’est-à-dire, à la nuit pro­chaine un des meilleurs et des plus fra­ter­nels hommes d’aujourd’hui.

Han Ryner


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