La Presse Anarchiste

Le stigmate

Un jour, je sor­ti­rai de cet hor­rible Enfer,
désem­pa­ré, timide et ne sachant que faire.
Ma famille, pour qui je ne fus qu’un far­deau, m’a chassé.
Mes amis me tour­ne­ront le dos.
Ma maî­tresse elle-même, enfant douce et légère,
entre les bras félons d’un ami sans honneur
qui n’a pas hési­té à voler mon bonheur…
Donc, par un matin froid et sinistre d’hiver,
on m’ou­vri­ra la porte impo­sante et sévère,
on me ren­dra la main, on me crie­ra : « va-t’en ! »
Comme cli­gnant les yeux sous un ciel éclatant,
j’hé­si­te­rai, un bras me pous­se­ra dehors,
et je tres­sau­te­rai en enten­dant alors
dans un fra­cas de fer se refer­mer la porte.
Seul, sans amour, sans feu, sans amis, sans escorte,
j’er­re­rai, l’âme en berne et le corps presque nu,
sur le pavé glis­sant d’une ville inconnue,
et le froid cris­pe­ra mes deux. poings dans mes poches.
Les hommes pres­se­ront le pas à mon approche,
puis se retour­ne­ront quelque peu intrigués
par ce col rele­vé et cet œil aux aguets.
Dans l’ombre des mai­sons muettes de stupeur,
des femmes pous­se­ront d’un bras trem­blant de peur
de lourds loquets, traî­nant dans leur mou­vant sillage
des grappes de mar­mots échap­pés au pillage
d’un livre aban­don­né sur le car­reau voisin.
Des amou­reux, sur­pris, devant un magasin
oublie­ront le bai­ser qu’ils allaient gaspiller.
Un poète, dis­trait, per­dra sa rime en « yé» ;
et les roquets eux-mêmes en aboyant suivront
cet incon­nu sus­pect qui bais­se­ra son front
sur lequel, sans que rien puisse un jour l’effacer,
trem­ble­ra le stig­mate hor­rible du Passé.

Pierre Bri­gnon.


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